Située dans la ville verte de Benguérir, à moins d’une centaine de km de Marrakech, l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) est un hub de formation d’excellence pour les futures élites du Maroc et de l’Afrique. De l’école d’ingénieur à la faculté de gouvernance et de sciences sociales ou de médecine, en passant par des centres de recherche en intelligence artificielle…, cette institution de classe mondiale, portée par la Fondation OCP, qui a noué des passerelles avec des universités de renom telles que  MIT, Stanford, Harvard, Ecole Polytechnique de Paris, Université de Jerusalem…, contribue aujourd’hui à former des leaders compétents, en Afrique pour l’Afrique.

Hicham El Habti, Président de l’UM6P, revient en exclusivité pour AFRIMAG sur les ambitions de l’université.

«L’UM6P ambitionne de se positionner parmi les établissements prestigieux de notre ère»

 

AFRIMAG : Six ans après son inauguration, l’UM6P continue de se positionner comme un hub de formation d’excellence pour les futures élites marocaines mais aussi du continent africain. Comment expliquez-vous cet objectif de placer l’Afrique au cœur de ce grand projet ?

Hicham El Habti : On ne peut pas mentionner le focus de l’UM6P sur l’Afrique sans le placer dans son contexte général. En effet, en tant qu’université marocaine, la dimension africaine de notre stratégie n’existe pas en vase clos. Le Maroc a durant la dernière décennie fait le pari de la coopération Sud-Sud en investissant dans l’essor de son continent, et ce dans tous les secteurs : télécoms, engrais, agroalimentaire, finances, assurances… Il va de soi que cette stratégie s’accompagne aussi de grandes initiatives appartenant plus au registre du «soft power». Catalyser l’émergence de l’Afrique, c’est aussi impulser une économie du savoir robuste et souveraine. La place des universités dans cette économie est primordiale.

Certes pour l’Afrique, les enjeux sont de taille : sécurité alimentaire, infrastructure, développement économique, croissance démographique… Là où beaucoup verraient des obstacles au développement, nous choisissons à l’UM6P de célébrer le potentiel qu’offre le continent à travers ses multiples richesses. Savez-vous que près de 60% des Africains ont moins de 25

ans ? Cette génération qui a grandi à l’ère de la pénétration digitale tient entre ses mains les clés de l’essor du continent, car elle est en phase avec les progrès technologiques malgré ses difficultés. L’énergie et la créativité de cette même génération doivent trouver des canaux aptes à les optimiser. Pour cela aussi, il n’y a pas mieux que les universités.

 

AFRIMAG : Comment a évolué le rythme des demandes d’inscription à l’UM6P émanant des pays d’Afrique subsaharienne depuis l’inauguration de l’institution ?

Hicham El Habti : Depuis notre inauguration officielle en 2017, la proportion des étudiants subsahariens à l’UM6P continue de croître. Comme toutes les universités ouvertes à l’international, nous avons connu un certain ralentissement dans l’admission des étudiants subsahariens durant la pandémie du Covid-19. Aujourd’hui, 6% des effectifs estudiantins de l’UM6P proviennent de 26 pays du continent. Le «top 10» inclut le Sénégal, le Nigéria, le Ghana, le Bénin, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Congo, le Rwanda et le Gabon. Tous ces étudiants sont des boursiers.

Pour la rentrée 2023-2024, nous estimons que 12% des étudiants de l’UM6P proviendront de pays subsahariens, soit le double du pourcentage actuel. Ceci s’explique par l’intérêt croissant des étudiants de ces pays – et de leurs parents – pour l’UM6P et pour le Maroc comme destination d’études. En mi-février 2023, le total des candidatures a frôlé les 3000. Une fois les restrictions de la pandémie levées, nos campagnes envers l’Afrique ont pu porter leurs fruits. Sans parler des premières promotions d’étudiants subsahariens de l’UM6P qui n’ont pas hésité à être nos ambassadeurs dans leurs patries respectives.

Tout cela s’inscrit évidemment dans le cadre d’une stratégie bien réfléchie. Notre ambition est d’atteindre une population estudiantine internationale autour de 20% pour la rentrée 2025-2026.

 

AFRIMAG : Jusque-là, les élites africaines étaient formées dans les grandes écoles ou universités de renom en occident notamment la France, les Etats unis, le Canada, l’Angleterre… mais exceptionnellement en Afrique. Est-ce à dire qu’avec des structures de formation comme l’UM6P, les Africains ont désormais des possibilités de faire leur cursus sur le continent ?

Hicham El Habti : Avouons qu’en vue d’un développement durable et légitime, l’Afrique se doit de développer des modèles académiques enracinés dans ses préoccupations et ses priorités. Que ce soit en éducation, en recherche ou en innovation, l’Afrique gagnerait à former une relève consciente des enjeux de son continent.

Il ne s’agit pas ici de réinventer la roue. Mais il ne s’agit pas non plus de copier des modèles académiques étrangers aux réalités africaines. Cette dernière approche a en effet déjà montré ses limites dans l’impulsion de modèles de développement africains, pour l’Afrique.

A l’UM6P, nous avons tout d’abord fait des problématiques de développement en Afrique des piliers thématiques dans l’élaboration de programmes et de cursus, que ce soit en formation ou en recherche. En plus du fond, il y a la forme aussi. L’apprentissage à l’UM6P se fait suivant une philosophie de «learning by doing», qui bouscule les traditions purement théoriques en encourageant l’apprentissage par la pratique. Cette insistance sur l’importance de la pratique est aussi une manière directe pour nous de rester proches des réalités locales, nationales et continentales. Je cite à titre d’exemple l’agriculture durable, qui comme sujet d’étude et de recherche bénéficie d’une infrastructure à échelle réelle illustrée en une ferme expérimentale. Que ce soit en étude des sols, du climat, de la fertilisation, de l’eau ou de la biodiversité, nos étudiants et chercheurs trouvent en ce modèle de «living labs» un champ fertile pour tester leur apport cognitif dans des conditions pertinentes aux problématiques abordées.

um6p

Le campus de l’UM6P

 

AFRIMAG : De l’école d’ingénieur à la faculté de gouvernance et de sciences sociales ou de médecine, en passant par des centres de recherche en intelligence artificielle, une école d’éco-agriculture ou encore d’hôtellerie, nous avons l’impression que l’UM6P a tout orienté vers les problématiques essentielles des pays africains. Comment tout cela est-il conçu ?

Hicham El Habti : Telle est l’intersectionnalité des enjeux de développement en Afrique.

Dans un continent qui détient 60% des terres arables non utilisées du globe, comment penser la nutrition sans investir dans la santé ? Maintenant que l’intelligence artificielle fait partie de notre quotidien, un ingénieur peut-il vraiment percer aujourd’hui sans un bagage en sciences des données ? Les spécialistes de ces domaines, et de bien d’autres, peuvent-ils réellement contribuer au développement de leurs communautés sans des politiques publiques raisonnées et ancrées dans les soucis de société ?

En pensant ainsi, on dévie un peu des modèles classiques d’enseignement axés sur la spécialisation, et qui ont pour longtemps caractérisé les pays africains. Mais il est temps que les disciplines académiques cessent d’opérer en silos. A l’UM6P, notre vision holistique du savoir émane justement d’une compréhension que tout modèle de développement se doit de galvaniser l’ensemble des secteurs, spécialités et expertises.

 

AFRIMAG : Votre institution déploie des moyens importants pour attirer de grands professeurs et intervenants à travers le monde sans compter les partenariats avec de grandes institutions. Quel est l’objectif visé ?

Hicham El Habti : L’expertise et la compétence ne connaissent pas de frontières. En tant qu’université marocaine et africaine, l’UM6P ambitionne de se positionner parmi les établissements prestigieux de notre ère. Très tôt, nous avons saisi l’importance de nouer des liens étroits avec les grandes universités internationales : MIT, Stanford, Harvard, HEC, Ecole Polytechnique, Université de Jerusalem… la liste est longue. Ce sont des partenariats de recherche et d’échange d’expertise qui visent la montée en compétence. Ce sont aussi des partenariats pertinents de par les thématiques spécifiques dont ils traitent. Que ce soit en informatique, en médecine ou en entreprenariat, chacun de ces partenariats nous offre l’opportunité de nous ouvrir aux nouvelles tendances et innovations à l’international. Tout en gardant en perspective les enjeux propres à notre continent, bien sûr. Le même souci de qualité fait partie de notre politique de recrutement des professeurs. Après tout, quelle université ne souhaiterait pas abriter les meilleurs penseurs de son ère ? Ce qui nous distingue à cet égard, c’est surtout l’accent mis sur la diaspora des chercheurs marocains et africains. En investissant dans leur recrutement où qu’ils soient au monde, l’UM6P vise à maintenir un hub d’expertise capitalisant sur une expertise globale, au service d’enjeux nationaux et continentaux.

 

AFRIMAG : L’UM6P investit beaucoup dans la recherche appliquée et l’innovation. Dans ce cadre, l’université, en partenariat avec le Groupe OCP, a placé l’innovation et l’accélération des startups au Maroc et en Afrique au centre de ses préoccupations. Pourquoi ?

Hicham El Habti : Développer du savoir, c’est bien. Pouvoir le tester à échelle réelle, c’est mieux. Ce qui est encore mieux, c’est de pouvoir en créer de la valeur. Grâce à son partenariat avec le Groupe OCP, l’UM6P se distingue de ses pairs car elle opère en tant qu’écosystème. De la théorie à la pratique à la valorisation, de tels écosystèmes sont capables de galvaniser des communautés entières et diverses où plusieurs parties prenantes trouvent leur compte.

StartGate, notre campus de startups à Benguerir, en est la preuve vivante. Conçu pour accompagner les startups à toute phase de maturité, il bénéficie d’une proximité stratégique de l’université, où les idées innovantes des étudiants et des chercheurs sont à un jet de pierre. En retour, ces derniers ont l’opportunité de porter leurs projets tout en bénéficiant du réseau et du support de l’écosystème.

La jeunesse africaine est en train de changer dans son rapport au travail, car elle prend de plus en plus son destin en main. La multiplication des «start-up hubs» au Maroc, au Nigéria, au Ghana ou au Kenya prouve que les jeunes du continent se tournent de plus en plus vers l’entreprenariat, créant ainsi des emplois au lieu d’en chercher.

AgriEngage, une initiative entamée en 2021 pour renforcer les capacités des universités africaines (Benin, Maroc, Kenya & Uganda) à former les agri-entrepreneurs et les communautés agricoles.

 

AFRIMAG : L’UM6P a noué de nombreux partenariats avec des universités africaines. Quelles sont les bases de ces rapprochements ?

Hicham El Habti : Ce qui nous lie à l’Afrique, ce n’est pas seulement la géographie mais des enjeux communs aussi. Notre coopération avec nos confrères africains est basée principalement sur ce constat.

Prenons l’agriculture. Sécheresse, manque d’eau ou salinité des sols sont des obstacles qui existent partout sur le continent. Ils nécessitent donc une coopération scientifique pour des solutions plus efficaces.

Je pourrai donner l’exemple de notre rôle en tant que membre du Regional Universities Forum for Capacity Building in Agriculture (RUForum), un consortium d’universités et de chercheurs dédié à promouvoir la coopération académique en sciences liées à l’agriculture en Afrique (agronomie, biosciences, climatologie, usages de la data…). De même pour AgriEngage, une initiative entamée en 2021 pour renforcer les capacités des universités africaines (Benin, Maroc, Kenya & Uganda) à former les agri-entrepreneurs et les communautés agricoles.