Du 5 septembre 2021 au 5 septembre 2022, nous avons atteint un an de transition en Guinée. Quel bilan en tirer et comment réussir la rectification au vu des divergences affichées dans la gestion des affaires fortement décriée par la classe politique ?
Le 5 septembre 2022, il y a un an jour pour jour, le Comité National du Rassemblement et du Développement (CNRD) prenait le pouvoir, suite à un putsch. Aux commandes du bataillon des forces spéciales, le colonel Mamady Doumbouya, chef de la junte, qui a déposé le mythique opposant, le Pr. Alpha Condé, devenu Président en 2010.
Le tombeur du président Condé, justifie le coup de force par la «chosification » du pouvoir, l’accaparement des richesses, la corruption, les détournements et surtout l’arrogance poussée née du 3eme mandat du président déchu désavoué par une grande partie des Guinéens. Ce que promettait de rectifier ce jeune légionnaire à la tête du CNRD, de l’armée française, devenu chef de la force anti terroriste en 2018.
Un an après, que reste-t-il du premier discours du colonel Mamady Doumbouya venu du Morya et que retenir de la gouvernance du CNRD ?
Les militaires sont arrivés suite à une grogne portant sur l’augmentation de l’essence prise par le gouvernement dirigé par le Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana. Avant fin septembre 2021, le CNRD prend sa toute première mesure forte en diminuant le prix du carburant à la pompe de 11 000 à 10.000 GNF. C’était juste quelques jours après la prise du pouvoir.
Mais en juin 2022, le CNRD se ravisera face à la crise en Ukraine en plafonnant le prix à 12 000 GNF. Cette augmentation provoque une vague de colère à Conakry. Depuis, les prix des produits de grande consommation ont augmenté. Le transport aussi avec l’inflation partie à la hausse, 11% en glissement annuel en avril dernier.
Les fondamentaux de l’économie maîtrisés
Dans un contexte d’embargo décrété par la CEDEAO avec des frontières fermées, le gouvernement guinéen en place a réussi un exploit : la dette publique a baissé de plus de 180 millions de dollars entre le premier et le second trimestre 2022. Une annonce officielle sera faite par le ministère de l’Economie, via un communiqué publié sur son site Internet, le 23 août dernier.
Selon le Bulletin statistique dédié, la dette publique est passée de 7,203 milliards de dollars au premier trimestre à 7,018 milliards le trimestre suivant. Ce recul du taux d’endettement est le résultat de ‘’la gestion prudente de la dette, qui privilégie le recours aux emprunts concessionnels, en conformité avec les réformes des finances publiques’’. Au même moment, la dette intérieure augmente de 19,47%.
Quid du franc guinéen ?
Les autorités de la transition ont réussi à redonner du souffle au franc guinéen face aux devises étrangères. À l’arrivée du CNRD, 100 euros s’échangeaient contre1 200 000 FG. Nous sommes aujourd’hui à 880 000 FG.
Monnaie dominante dans l’espace communautaire de la Guinée, le FCFA n’a pas échappé. En effet, 5 000 FCFA avant le CNRD aux commandes équivalaient à 90 000 FG contre 65 000 FG aujourd’hui !
Ironie du sort , la cherté de la vie part en hausse malgré ces prouesses monétaires. Cette ‘’bonne santé’’ du Franc guinéen n’a eu aucune incidence positive sur le panier de la ménagère. Les prix ont flambé car avant le CNRD, une baguette de pain valait 4 000 FG contre 5000 actuellement, les prix du lait, du sucre, du riz… ont flambé.
Un paradoxe sur lequel les spécialistes locaux de l’économie, sont attendus afin de mieux aider à comprendre.
Mines et corruption dans la ligne de mire du pouvoir
Dans le domaine minier, le dossier à rebondissements sous l’ère Alpha Condé fut maîtrisé par le Colonel Doumbouya qui s’est impliqué personnellement.
Le CNRD a renégocié le contrat juteux du projet Simandou en instaurant un comité de pilotage rattaché directement à la présidence. Le deal prévoit en outre l’octroi de 15% du chemin de fer et du port dédié à l’État guinéen, en plus des 15% du minerai qu’il avait déjà. Ces participations sont gratuites et non diluables, les infrastructures seront gérées par une agence gouvernementale qui reste à créer.
Dans le domaine de la lutte contre la corruption, le colonel a créé la CRIEF, Cours de répression des infractions économiques et financières. Organe judiciaire, bête noire des barons du régime déchu du RPG et ceux qui faisaient des constructions et investissements au vu et au su de tous sans aucune impunité.
Plusieurs cadres de l’ancien régime sont d’ailleurs détenus à la prison centrale en attente de procès. Parmi eux, l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, l’ex-président de l’Assemblée nationale Damaro Camara, l’ancien ministre de l’Environnement Oyé Guilavogui. Dans le lot le tout-puissant ministre délégué à la Défense, Mohamed Diané qui était chargé des affaires présidentielles : c’était lui le vis-à-vis du président Condé.
Au moins, celui qui pilotait le département de la Sécurité, notamment Albert Damantang Camara a obtenu une libération provisoire. Quant à l’ancien président de la CENI, Louceny Camara, il est mort en détention.
Les poids lourds de l’arène politique sont aussi poursuivis. Le chef de l’opposition Cellou Dalein Diallo, en exil à Dakar, est visé dans le dossier Air Guinée. Mohamed Camara, ancien ministre de l’Economie et des finances est également visé dans le même dossier Air Guinée, et certains cadres sur d’autres dossiers comme Mohamed Lamine Bangoura, ancien président de la Cour constitutionnelle.
Justice et rectification
Si plusieurs pratiques animaient les débats ou étaient devenues banales, la junte n’a pas abondé dans le même sens. Un trimestre après son arrivée au pouvoir, le CNRD a renvoyé à la retraite plus de 7 000 agents de l’État.
Le but : assainir le fichier de la fonction publique guinéenne, annonçant séance tenante des recrutements pour remplacer les partants.
Pourtant sous le régime déchu, l’instauration des machines identifiant les présences fut effective. Le Pr. Alpha Condé misait dailleurs sur la digitalisation des ressources et des finances pour mieux administrer.
Sauf que ceux qui ont été limogés au début de la transition ont diverses étiquettes : des cadres qui ne sont pas en poste ; qui sont postés, mais ne travaillent jamais et qui, pourtant continuent d’émarger ; des fictifs qui sont sortis depuis des années de la base de données ou des défunts dont la matricule est utilisée à satiété pour perdurer le salaire.
Dans le pire des cas, ils sont poursuivis en justice s’ils échappent aux sanctions disciplinaires ou paiement d’amende.
Le pouvoir s’active à vider le plus gros chantier judiciaire qui n’a pu être concrétisé par l’ancienne administration : l’organisation du procès dans le dossier des massacres du 28 septembre.
Déjà, le juge Charles Wright a composé une liste de jury qui conduira le procès. Une avancée significative, quand on sait que le régime précédent a passé 11 ans sans rien faire malgré les interpellations des victimes. Une délégation de la CPI vient de quitter Conakry dans le but de s’assurer des dispositions prises pour la faisabilité du procès attendu de tous.
Aussi, le colonel président a réactivé les chantiers dormants du défunt régime, notamment l’échangeur de Bambéto, dont il a posé la première pierre, celui de Kagbélin et du Kilomètre 36 qui symbolise l’entrée de la capitale.
Le chantier Conakry-Mamou-Dabola a été rapidement activé depuis que le port de Conakry est devenu de facto celui du Mali. Les sanctions de la CEDEAO ont conduit Bamako à se rabattre sur le groupe Albayrak qui reste déterminant pour les exportations maliennes. Un rapprochement qui a poussé le CNRD à réchauffer les liens avec la Chine qui détient le marché.
Divorce, desertion du PM…
À l’heure du premier bilan de la politique générale du président Mamady Doumbouya, la rupture semble de mise.
Au fil des mois, le CNRD se radicalise et semble se détourner des premiers discours du colonel. Pourtant, la plus grande force citoyenne née pour combattre le 3eme mandat d’Alpha Condé avait fait allégeance au CNRD.
Avec le FNDC, le courant ne passe plus depuis l’avortement du dialogue lancé par l’ancien Premier ministre Mohamed Béavogui. L’ex chef du gouvernement avait rendu le tablier pour défiance des ministres à son endroit et le manque de soutien du Colonel Doumbouya. Les brouilles étaient permanentes entre eux. Et l’alternative trouvée par le Premier ministre a été un exil sanitaire de deux mois. L’opinion publique a été mise finalement devant le fait accompli : sa désertion.
D’ailleurs, le refus du CNRD de publier la liste de ses membres, déclarer les biens des ministres et présidents d’institution, ou encore de raboter le délai de 36 mois validé par le CNT ont mis le feu aux poudres. Les divergences ont conduit à des manifestations avec des morts par balles et pour couronner le tout, le gouvernement a dissous le FNDC, qui évolue désormais dans la clandestinité. Ses cadres comme Oumar Sylla ‘’Foniké Mengué’’, Ibrahima Diallo et autres sont en prison. Les autres, recherchés donc portés disparus.
L’opération de récupération des domaines de l’Etat a aussi touché certains responsables dont Cellou Dalein Diallo qui a été obligé de quitter son domicile rasé alors que le dossier était confié à la justice. Idem pour l’homme politique, Dr. Sidya Touré qui verra son domicile remis au Bureau guinéen des droits d’auteurs comme siège : il avait pourtant saisi la justice. Les deux leaders sont en exil avec Cellou Dalein Diallo à Dakar et Sydia à Abidjan.
Il faut noter que le CNRD a interdit toute manifestation jusqu’à la fin de la transition, en violation de sa propre charte à l’article 8. Toutes les manifestations sont systématiquement réprimées. Le dialogue, rompu. Autant de frustrations qui ne favorisent pas un apaisement.
Néanmoins, le numéro 1 guinéen peut se reprendre car le 25 août dernier, il a reçu le rapport de la Commission réconciliation nationale. Même si le contenu n’est pas rendu public en totalité, on apprend qu’il lui est demandé d’indemniser les victimes des violences et manifestations et surtout, de diminuer le nombre des partis politiques. S’il a fini par accepter la nomination d’un médiateur par la CEDEAO, ce ne sera pas suffisant pour calmer les esprits.
Il est donc tenu de relancer le dialogue de façon sincère avec les partis politiques les plus représentatifs, le FNDC et les organisations qui ont des revendications.
Il urge de rétablir le droit de manifester qui figure même dans la charte de la transition que le CNRD a rédigé tout seul ; boucler les dossiers judiciaires, organiser les procès ou libérer les prisonniers en attendant ; honorer son engagement de ne pas recycler les anciens cadres surtout ceux qui sont clivants ; faire des enquêtes pour situer la responsabilité de chacun dans les tueries lors des manifestations.
Si le CNRD capitalise ses résultats économiques, relance le dialogue pour apaiser les frustrations, établit un calendrier clair et précis du retour à l’ordre constitutionnel, il n’y a aucune raison que la crise perdure.