Ce n’est pas une nouveauté. Depuis la création de l’aéronautique les gouvernements se sont toujours intéressés au transport aérien ne serait-ce que pour mettre la main dessus. Disons-le franchement, sans le support des États, les compagnies aériennes n’auraient eu aucune chance de se développer comme elles l’ont fait, mais les transporteurs «low costs» n’ont pu attirer une nouvelle tranche de clientèle qu’en restant indépendants des gouvernements. Bref, la gouvernance de ce secteur par les politiques et les autorités administratives est à la fois la meilleure et la pire des choses qui pouvait lui arriver.
C’est d’abord la meilleure parce qu’il fallait bien réguler l’espace aérien. Et qui d’autre que les États pouvaient le faire ? La création de l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) par la convention de Chicago en novembre 1944 est le fruit de la coopération intelligente des États et de leurs délégués. Elle est à l’origine de toute l’aviation civile que ce soit le partage de l’espace aérien, les règles sécuritaires et même la validation des appareils. Le principe selon lequel l’ensemble du transport aérien serait administré selon les mêmes règles et ce quel que soit le pays est tout simplement génial. Il n’était pas si simple de le décider, n’oublions pas qu’on était alors en pleine deuxième guerre mondiale. La même conférence a délégué aux États les modalités d’application des grands principes qu’elle édictait. C’était à la fois le moyen de préserver la volonté de chaque pays pour gérer son espace aérien tout en l’obligeant à appliquer des règles communes.
Une fois arrêtées les grandes lignes de gestion du transport aérien, il fallait bien créer les opérateurs auxquels était dévolue la charge d’ouvrir des lignes aériennes et de développer les marchés. Encore une fois, cela n’aurait pas été possible sans le soutien des pays. C’est ainsi que la plupart des grandes compagnies historiques ont commencé par être nationalisées. Elles ont pu se développer sous la protection administrative et économique des gouvernements et créer ainsi le premier maillage mondial du transport aérien. On s’est alors aperçu combien il pouvait devenir indispensable non seulement à l’économie des pays mais à leur prestige international. Récemment d’ailleurs les gouvernements ont dû intervenir massivement pour éviter la faillite de nombreux transporteurs pendant la déplorable traversée du Covid.
Mais tout bon côté d’une médaille a également son revers. Tout d’abord cela a mis les compagnies nationales dans un confort matériel à l’abri duquel elles ont certes prospéré, sauf qu’elles ont oublié les fondamentaux économiques sachant que leurs gouvernements ne les laisseraient jamais tomber. Et les dérives de gestion ont commencé, souvent d’ailleurs parce que les gouvernants en profitaient pour mettre à la tête des transporteurs nationaux les amis auxquels on devait quelques services. Or ces responsables n’étaient pas toujours les meilleurs professionnels, et de copinages en copinages on a vu prospérer l’octroi de billets gratuits, souvent dans les classes les plus élevées, de manière excessive. Finalement dans beaucoup de pays, la compagnie aérienne est devenue un refuge agréable pour des personnes dont on ne savait pas que faire.
Seulement après la période au cours de laquelle le transport aérien moderne a été construit, est venue celle de la concurrence farouche à partir du moment où l’espace aérien a été libéré avec la création des «Open skies» et où les tarifs ont été libéralisés. Voilà qui a laissé un espace suffisant aux nouveaux transporteurs construits à partir des fondamentaux économiques et non politiques. Ils ont pu mettre sur le marché des tarifs tels que les compagnies historiques n’étaient pas capables de les suivre sauf à perdre de l’argent. Le public était ravi, les constructeurs pouvaient développer de nouvelles gammes d’appareils beaucoup plus performants et les vendre par milliers dans tous les coins du monde. Alors pour protéger leur compagnie nationale et éviter de devoir la renflouer en permanence, les états ont inventé des règles administratives qui sous prétexte de protéger les populations riveraines des aéroports, étaient créées pour empêcher les compétiteurs d’accéder aux plateformes les plus pratiques aux horaires les plus convenables. C’est exactement ce qui s’est passé à Orly qui est géré avec des quotas de mouvements alors que Roissy l’est avec des quotas de bruit. On arrive d’ailleurs à des restrictions similaires dans de nombreux autres pays.
Et finalement les États ont profité formidablement du transport aérien pour y trouver une manne fiscale de première importance. Certains tels que la République Dominicaine en ont d’ailleurs abusé en prélevant des taxes excessives sur le carburant avion à tel point que cela a fait fuir nombre de transporteurs qui amenaient une clientèle touristique dont le pays a énormément besoin. C’est la confirmation de l’adage «trop d’impôts tue l’impôt».
On ne peut pas se passer de la mainmise des Etats, encore faut-il qu’ils restent uniquement dans leur domaine de compétence.