Selon l’OMS, 80% des cas de tuberculose sont dans les pays en voie de développement. Parmi eux, on estime que 3 millions de cas ne sont pas détectés. Principale raison : les tests de dépistage de la tuberculose nécessitent des infrastructures et du personnel médical. 

Une start-up EpiLAB a conçu un test de diagnostic portatif, simple d’utilisation et fiable de la maladie et très peu coûteux. Son co-fondateur et CEO, Maurice Lubetzki, revient sur cette innovation dans le marché du diagnostic de la tuberculose.

AFRIMAG : Qui est EpiLAB ? Dans quel contexte a germé l’idée de cette start-up appelée à se positionner dans le secteur de la santé ?

Maurice Lubetzki : EpiLAB est une entreprise qui développe un test portable de diagnostic de la tuberculose. L’idée de cette start-up a émergé pendant la crise de la Covid-19. C’est à ce moment-là qu’avec Clément Dubois [co-fondeur et CTO d’EpiLAB], nous avons mesuré l’importance des financements dirigés vers la R&D pour des tests de diagnostic rapide et portable. Ce constat nous a également permis de prendre conscience du retard de ceux-ci pour une solution innovante de diagnostic de la tuberculose. Solution qui serait parfaitement adaptée pour les pays en développement qui regroupent 80% des cas annuels.

La tuberculose est une maladie infectieuse causée par la bactérie qui se propage par voie aérienne. Elle est particulièrement mortelle dans les pays où l’accès aux soins de santé est limité et où les conditions socio-économiques favorisent la propagation de la maladie.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la tuberculose est la deuxième cause de mortalité infectieuse dans le monde. En 2020, la maladie a fait 1,6 million de victimes et 10 millions de personnes ont été infectées. Cependant, il est estimé que 4,2 millions de cas ne sont pas détectés chaque année, ce qui représente un véritable défi dans la lutte contre la maladie.

La principale raison de ce sous-diagnostic est l’absence de tests adaptés aux conditions des pays touchés. Les tests actuellement disponibles nécessitent des infrastructures et du personnel médical, ce qui les rend souvent inaccessibles dans les zones rurales et les régions éloignées. C’est pourquoi il est urgent de développer des solutions innovantes pour faciliter le diagnostic de la tuberculose dans ces zones.

C’est dans ce contexte que la start-up EpiLAB a développé un test portable de diagnostic de la tuberculose. Ce test se positionne à la base de la pyramide sanitaire, c’est-à-dire qu’il permet un dépistage rapide et peu coûteux de la maladie, précédant des tests plus précis mais également plus coûteux. Le test répond aux exigences de l’OMS en matière de portabilité, de simplicité d’utilisation, de fiabilité et de rapidité. Les résultats sont produits en moins de deux heures et sont envoyés dans un cloud, ce qui permet une traçabilité des cas et une prise en charge efficace des patients. Ce test représente donc une solution innovante pour lutter contre la tuberculose dans les pays où les besoins en matière de diagnostic sont les plus importants.

AFRIMAG : Pourquoi l’intérêt d’EpiLAB pour la tuberculose alors même que cette start-up a vu le jour dans un pays, en l’occurrence la France, où cette maladie infectieuse a été pratiquement éradiquée ?

Maurice Lubetzki : La vision et l’objectif d’EpiLAB dépassent les frontières nationales. Le brevet à l’origine de notre technologie de détection a été mis au point par deux chercheuses françaises de l’université de Dijon. L’ambition d’EpiLAB est d’exploiter cette découverte scientifique permise par le dynamisme de l’écosystème de recherche français afin d’en faire bénéficier les populations qui en ont besoin à travers le monde.

Le problème auquel l’entreprise souhaite répondre est d’ampleur internationale et sa résolution pourrait contribuer à améliorer la santé globale par l’éradication d’une pandémie meurtrière. Malgré les progrès réalisés dans les pays développés pour contrôler la tuberculose, elle continue de représenter une menace importante pour la santé publique dans les pays les plus pauvres.

Il est également important de noter que les maladies infectieuses ne connaissent pas de frontières géographiques, et que des épidémies peuvent facilement se propager à l’échelle mondiale. Par conséquent, il est dans l’intérêt de tous, et notamment de la France, de contribuer à l’éradication de ces maladies.

Enfin, notons que selon l’Organisation mondiale de la santé, pour la première fois depuis 20 ans en Europe, le nombre de morts dues à la tuberculose est remonté en 2021. Selon les premières données disponibles, la maladie pulmonaire a tué 27.300 personnes contre 27.000 l’année précédente, et ce, après deux décennies de recul ininterrompu.

AFRIMAG : En 2022, vous avez levé 1 million d’euros auprès de Bpifrance et certains business angels. Depuis, comment vos activités ont évolué ? À quoi a servi ce fonds ?

Maurice Lubetzki : Depuis notre première levée de fonds, nous avons travaillé avec ardeur pour consolider notre équipe, et nous sommes aujourd’hui fiers de compter 16 membres talentueux répartis entre l’École polytechnique, l’APHP et l’Université de Dijon. Les fonds que nous avons levés ont permis non seulement d’élargir notre équipe, mais également de poursuivre nos activités de recherche et développement qui sont actuellement au cœur de nos préoccupations. Nous avons conçu un prototype microfluidique de notre produit et l’avons validé en laboratoire, ce qui a permis d’obtenir nos premières données cliniques encourageantes.

Grâce à la consolidation de notre équipe et à l’avancée de notre recherche et développement vers le produit final, EpiLAB a eu la possibilité de nouer de nombreux partenariats et de bénéficier d’un accompagnement par des conseillers experts et des mentors seniors avec lesquels nous échangeons régulièrement. Nos mentors sont des dirigeants de sociétés dans le secteur de la santé et du diagnostic, des entrepreneurs et investisseurs expérimentés, des docteurs français et internationaux spécialisés dans la tuberculose, ainsi que des scientifiques spécialisés dans les domaines liés à la recherche et développement du kit.

AFRIMAG : En termes de valeur, qu’est-ce qu’EpiLAB a à apporter à la détection de la tuberculose et l’efficacité des soins comparée à ce qui se fait jusque-là ?

Maurice Lubetzki : Il existe actuellement deux principales solutions pour dépister la tuberculose : le test Xpert MTB/RIF et le test microscopique réalisé à partir d’un échantillon d’expectoration. Bien que ces tests aient des performances compétitives, ils sont coûteux et nécessitent un personnel qualifié ainsi que des infrastructures importantes. De plus, la microscopie est un test sujet à des biais car le résultat dépend de l’interprétation de l’opérateur.

Cependant, ces tests existants ne sont pas toujours adaptés aux populations ciblées, ce qui est reflété dans le fait que 4,2 millions des 10 millions de cas annuels de tuberculose ne sont pas détectés. C’est là que le test EpiLAB prend tout son sens, car il comble cette lacune grâce à son faible prix, sa portabilité, sa rapidité et sa simplicité d’utilisation.

AFRIMAG : L’Afrique et les pays en développement de façon générale sont au cœur de votre stratégie d’ensemble. Qu’avez-vous réalisé dans ces régions depuis votre levée de fonds ?

Maurice Lubetzki : Nous avons réalisé 3 missions sur le terrain : au Togo, au Bénin et au Cameroun. Cela nous a permis d’affiner notre produit : comprendre les réels besoins et contraintes des utilisateurs. Nous espérons que ces 3 pays seront les premiers bénéficiaires de notre test.

Concernant les premiers essais cliniques prévus à la fin du semestre, EpiLAB sera rejointe par le Programme National de Lutte contre la Tuberculose au Cameroun ainsi que l’Institut Pasteur.

Ces premières utilisations constitueront une preuve irréfutable du bien-fondé sanitaire et médico-économique de la solution de dépistage EpiLAB.

AFRIMAG : Quel niveau de partenariat vous lie à l’École polytechnique de Paris?

Maurice Lubetzki : Après avoir passé un an dans l’incubateur de l’École polytechnique, EpiLAB a désormais ses locaux au sein de l’X avec qui elle collabore. Nous avons accès à un fablab avec des conseils en matière de prototypage et d’industrialisation, ainsi que des ressources sur le volet de la biologie.

 AFRIMAG : Pouvez-vous nous parler de votre parcours jusqu’à la création d’EpiLAB ?

EpiLab

L’équipe d’EpiLAB

Maurice Lubetzki : Actuellement Président d’EpiLAB, je suis diplômé des Arts-et-Métiers et de Georgia Tech. Pendant mes études, j’ai fondé une autre entreprise, aero-mess, une start-up qui commercialisait des drones pour fluidifier et sécuriser le trafic autoroutier. Puis, j’ai travaillé pour une start-up issue d’un laboratoire du MIT où j’ai développé des algorithmes cryptographiques couplés à des données de patients. En rentrant en France, où j’ai réalisé des missions de conseil pour des sociétés basées en Afrique de l’Ouest, j’ai finalement créé EpiLAB avec Elodie Barbier, Murielle Rochelet et Clément Dubois, mes associés.