La Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) est très préoccupée pour la situation de la dette de certains pays en développement, notamment en Afrique. Dans un rapport portant le titre de « Trade and Development Report Update » publié le 12 avril 2023, la Cnuced indique que sur l’ensemble des 38 pays couverts par le cadre conjoint de viabilité de la dette des pays à faible revenu (CVD PFR) du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM), 8 pays africains seraient déjà en situation de surendettement et 13 autres présenteraient un risque élevé de surendettement. Les détails.
La hausse des taux d’intérêt dans le monde renchérit la charge de la dette des pays pauvres, déjà confrontés à des niveaux «sans précédent» d’endettement, et pourraient ainsi les priver de centaines de milliards de dollars de ressources, prévient une agence de l’ONU mercredi 12 avril à travers un rapport de la Cnuced. Ces hausses, enclenchées depuis plusieurs mois notamment aux États-Unis et en Europe pour freiner l’inflation, pourraient coûter aux pays en développement 800 milliards de dollars d’ici à 2025, a calculé l’organisme onusien dans un rapport Intitulé «Trade and Development Report Update » dans lequel il se base sur une analyse de viabilité de la dette des pays à faible revenu arrêtée au 28 février 2023. Selon l’agence onusienne, le nombre de pays ayant dépensé davantage pour le service de leur dette extérieure que pour leur système de santé a quasi doublé au cours de la dernière décennie, passant de 34 à 62. Les relèvements de taux directeurs décidés par les banques centrales «renchérissent le coût de la charge de la dette pour tout le monde, mais pèsent davantage sur les pays en développement», a souligné Jeronim Capaldo, un des experts onusiens auteurs du rapport, qui met par ailleurs en doute l’utilité de la politique monétaire pour contenir la hausse des prix.
Portée par les prix énergétiques et alimentaires, l’inflation reste, selon lui, soutenue parce qu’elle n’a «rien à voir» avec les taux d’intérêt et qu’elle est en réalité liée à la manière dont ces matières premières «s’échangent au niveau mondial». «Le risque (…), c’est qu’on soit en train de faire fausse route», estime ainsi Jeronim Capaldo. Ce n’est pas un hasard si la dette des pays en développement figurait bien au menu des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, qui se sont tenues en mi-avril à Washington, mais les solutions à l’étude restent «symboliques», déplore l’expert. La Cnuced appelle ainsi à une refonte du système mondial de la dette souveraine et plaide pour faciliter l’accès des pays en développement aux liquidités quand ils traversent des crises. L’agence voudrait également mettre sur pied un organe indépendant d’évaluation de la soutenabilité de la dette des pays, actuellement assurée par le FMI ou la Banque mondiale. Ces institutions «sont d’importants créanciers, mais sont en même temps chargées d’auditer les comptes publics des États», relève Jeronim Capaldo, assurant que ce conflit d’intérêts «n’aide personne et surtout pas les pays débiteurs». Quid concrètement de l’Afrique ?
Huit pays surendettés
Croulant déjà sous le poids de la dette, plusieurs pays africains sont appelés à rembourser durant les années à venir des euro-obligations émises au cours de la décennie précédente.
Ces remboursements devraient atteindre leur plus haut niveau en 2024 et rester élevés sur la prochaine décennie.
Sur les 38 pays couverts par le cadre conjoint de viabilité de la dette des pays à faible revenu (CVD PFR) du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, 8 pays africains sont déjà en situation de surendettement et 13 autres présentent un risque élevé.
Les 8 pays en situation de surendettement sont la République du Congo, le Malawi, le Mozambique, Sao Tomé-et-Principe, la Somalie, le Soudan, la Zambie et le Zimbabwe. Les 13 pays présentant un risque élevé de surendettement sont le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique, le Tchad, les Comores, Djibouti, l’Ethiopie, la Gambie, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Kenya, la Sierra Leone et le Soudan du Sud. Le rapport souligne également que de nombreux pays africains s’approchent actuellement d’un «mur d’échéances», car la plupart des euro-obligations émises au cours de la décennie précédente arriveront à échéance au cours des prochaines années. Qui plus est, «la plupart des gouvernements africains ne sont pas en mesure de faire appel aux marchés internationaux pour refinancer leurs dettes», précise l’institution onusienne.
Les remboursements devraient atteindre leur plus haut niveau en 2024 et rester élevés durant la prochaine décennie, à l’heure même où la plupart des pays du continent ne sont pas en mesure de faire appel aux marchés internationaux pour refinancer leurs dettes. Déjà, en février 2023, l’agence de notation Fitch avait indiqué que les pays africains, exceptés la Zambie et le Ghana, paieront près de 23 milliards de dollars pour la dette extérieure en 2023. Un chiffre qui augmentera de 12% pour atteindre 25 milliards de dollars en 2024.
La Cnuced estime d’autre part que l’Afrique devrait connaître une croissance moyenne de 2,5% en 2023, un taux en baisse par rapport à celui de 2022 et qui demeure insuffisant pour y réduire les niveaux de pauvreté. Ce ralentissement prévu de la croissance économique découlera essentiellement de l’affaiblissement de la demande extérieure et du resserrement des conditions financières. Dans le cas des pays exportateurs de matières premières, l’atténuation des effets de la flambée des prix enregistrée en 2022 assombrit davantage l’horizon économique. La hausse des taux d’intérêt à l’échelle mondiale a par ailleurs déclenché d’importantes sorties de capitaux, réduisant ainsi la marge de manœuvre budgétaire à un moment où les finances publiques sont déjà pleinement mobilisées par des programmes de subventions coûteux qui visent à lutter contre les effets néfastes de la hausse des prix des denrées alimentaires.
Parmi les points positifs, la Cnuced cite notamment la reprise du tourisme alors que les pays africains dépendants de ce secteur ont en moyenne récupéré en 2022 deux tiers de leurs niveaux de fréquentation (nombre de visiteurs) d’avant la pandémie du coronavirus. La tendance haussière devrait se poursuivre cette année. En outre, la levée des restrictions sanitaires en Chine devrait stimuler la demande de certaines matières premières clés telles que le minerai de fer, le platine, le cuivre et l’acier, même si l’embellie pourrait ne pas se poursuivre à moyen terme. Il est en effet peu probable que le secteur chinois de la construction à forte intensité de matières premières connaisse une croissance rapide durant les années à venir.
Un «observatoire» de la dette des Etats membres de l’Union africaine
Prenant les devants, l’Union africaine a lancé en février dernier un «observatoire» de la dette de ses Etats membres afin de les aider à améliorer la gouvernance de leurs finances publiques. «Il s’agira d’un observatoire de la dette qui nous permettra de surveiller les situations d’endettement. Nous avons l’intention de disposer de données en temps réel concernant la gestion de la dette dans tous les pays d’Afrique», a déclaré Albert Muchanga, le Commissaire de l’UA pour le développement économique, le commerce, le tourisme, l’industrie et les mines lors d’une conférence de presse tenue à Addis-Abeba, le 17 février dernier. Selon lui, l’objectif de cette «banque de données» sur les situations budgétaires des divers pays membres de l’UA est de «mettre en place un système d’alerte précoce». L’observatoire de la dette constitue la première initiative du genre lancée par l’organisation panafricaine, qui s’est traditionnellement concentrée sur le volet politique. Selon une étude publiée par l’ONG britannique Debt Justice en juillet 2022, les dettes extérieures cumulées des pays africains s’élèvent à 696 milliards de dollars. 35 % de ces stocks de dettes sont dus à des créanciers privés occidentaux, contre 12 % dus à des créanciers chinois, 39% à des institutions multilatérales (Banque mondiale, FMI, BAD, etc.) et 13% à d’autres créanciers bilatéraux publics. Alors que 60% des pays africains courent un risque élevé de surendettement selon un rapport publié récemment par le Fonds monétaire international (FMI), quatre pays du continent ont déjà demandé la restructuration de leur dette au titre du Cadre commun du G20 sur le traitement de la dette (Zambie, Ethiopie, Tchad et Ghana).
Les pays africains restructurent leur dette
Les pays africains, à l’exception de la Zambie et du Ghana qui ont déjà fait défaut, paieront près de 23 milliards de dollars au titre du service de la dette extérieure en 2023. Ce chiffre augmentera de 12 % pour atteindre 25 milliards de dollars en 2024, selon l’agence de notation Fitch. La Zambie a demandé un allègement de sa dette et attend la décision de ses créanciers. D’ailleurs, la Vice-présidente américaine Kamala Harris a réitéré vendredi 31 mars son appel à une « finalisation rapide » de la restructuration de la dette colossale de la Zambie, lors d’une visite dans le pays d’Afrique australe, dernière étape d’une tournée continentale. Les Etats-Unis ont fait pression pour que les créanciers, dont la Chine, allègent la dette extérieure du pays estimée à 17,3 milliards de dollars. Ils ont accusé la Chine, principal créancier de nombreux pays africains, de traîner les pieds depuis que Lusaka a demandé une aide dans le cadre d’un mécanisme du G20 pour la restructuration de la dette des Etats les plus pauvres.
A l’instar de la Zambie, le même sort attend le Ghana, l’Éthiopie et la Tunisie, entre autres. Au Ghana et en Zambie, le FMI a accordé respectivement 3 milliards de dollars et 1,3 milliard de dollars de prêts de sauvetage. Toutefois, les critiques ont fait valoir que la restructuration des prêts ne peut que retarder une crise de la dette, mais ne la résoudra pas. Ils pointent du doigt le système financier international, qui, selon eux, est centré sur les créanciers et les pratiques de prêt qui limitent les choix des pays en développement.
Hausse du taux d’endettement de la majorité des pays développés et émergents
D’après un rapport publié par le FMI, le taux d’endettement des Etats devrait retrouver, en 2028, les niveaux observés pendant la pandémie de Covid-19. Après deux années de baisse, notamment grâce à la reprise économique et l’inflation, les dettes publiques des Etats devraient progresser mondialement à moyen terme pour retrouver en 2028 les niveaux observés durant la pandémie si rien n’est fait, a alerté également mercredi 12 avril le FMI.
C’est tout du moins la conclusion du rapport sur les politiques budgétaires, le Fiscal Monitor, publié par le Fonds monétaire international (FMI). « Nous avons assisté à un ajustement marqué du ratio d’endettement après la hausse observée en 2020, grâce à la réouverture de l’économie et la forte reprise observée mais également grâce à l’inflation, parce qu’elle était inattendue, qui a contribué en augmentant temporairement les recettes fiscales », a expliqué le directeur du département des Affaires budgétaires du Fonds, Vitor Gaspar.
« 100% du PIB »
« Mais nous observons une stabilisation dans la baisse des déficits publics et même une inversion concernant l’endettement, qui repart à la hausse en 2023. La conséquence est que le niveau d’endettement en 2028 devrait de nouveau approcher 100% du PIB », soit le niveau atteint durant la pandémie, a-t-il ajouté. En cause, une hausse du taux d’endettement de la majorité des pays développés et émergents, à la notable exception de la zone euro.
La Chine et les Etats-Unis sont particulièrement concernés, leur ratio d’endettement par rapport à leur PIB devant atteindre respectivement, dans 5 ans, 100% et 135%, des niveaux jamais observés jusqu’ici pour les deux pays. Pour la Chine, cela représentera même un doublement de son niveau d’endettement pré-pandémie, a souligné le FMI.
Une hausse concentrée sur une poignée de pays
Les deux premières puissances économiques représenteront d’ailleurs la majorité de la hausse cumulée d’ici à 2028, le FMI soulignant qu’une fois ces deux pays non pris en compte, le taux d’endettement mondial va au contraire diminuer.
Ainsi, dans le cas des Etats-Unis, « on observe une hausse de l’endettement assez rapide et persistante. Certes, ils profitent du fait que les bons du Trésor sont vus comme étant les actifs les plus sûrs sur le marché financier. Mais nous pensons qu’un ajustement de leur politique budgétaire est nécessaire », a détaillé Vitor Gaspar. L’endettement de la première puissance mondiale fait actuellement l’objet d’un bras de fer au Congrès alors que le pays a atteint son plafond de 31.400 milliards de dollars en janvier et pourrait risquer le défaut l’été prochain si aucun accord n’est trouvé entre Républicains et Démocrates.