Tenue les 3 et 4 mai 2023 à Aix-En-Provence, la 13e édition des Tables Rondes de l’Arbois et de la Méditerranée a porté sur le thème : «Hydrogène demain : mythe ou réalité». Organisées par Aix-Marseille Université en partenariat avec l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), ces Tables Rondes ont été l’occasion, comme il est de coutume, pour des éminents chercheurs de débattre et d’explorer l’ensemble des enjeux liés à cette thématique aussi importante pour l’avenir de la planète et des sociétés.
Jules Verne le prédisait dans L’Île mystérieuse dès 1875. «L’hydrogène et l’oxygène, qui constituent l’eau, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisable et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. Un jour, les soutes des steamers et les tenders des locomotives, au lieu du charbon, seront chargés de ces deux gaz comprimés, qui brûleront dans les foyers avec une énorme puissance calorifique», faisait-il dire à l’un de ses personnages de roman, le savant Cyrus Smith, il y a plus de 140 ans.
Combustible non polluant, l’hydrogène est au cœur de toutes les stratégies énergétiques. C’est comme s’il faisait un retour en force depuis quelques années. L’heure H2 a-t-elle sonné ? C’est ce à quoi se sont attelés à répondre d’éminents chimistes, physiciens, climatologues, biologistes, hydrauliciens à la 13e édition des Tables Rondes de l’Arbois et de la Méditerranée. Ils en sont convaincus : l’hydrogène est le combustible du futur. Pour ces chercheurs et scientifiques l’hydrogène est «la solution miracle aux problèmes énergétiques». À l’heure où le nucléaire est remis en question et où l’on sait que les ressources pétrolières et gazières ne sont pas inépuisables, il s’agirait là du seul moyen de continuer d’alimenter l’industrie et les véhicules en énergie. Et mieux, ce vecteur d’énergie devra, à l’avenir, permettre de booster la production agricole et de servir de l’eau potable aux populations des pays en stress hydrique. Voilà pourquoi, «l’hydrogène entre mythe et réalité est un thème porteur pour le futur. L’hydrogène issu des dernières avancées technologiques pourrait-il devenir une réalité apportant des solutions aux problèmes de production mais surtout de son stockage ? Il appartient aux chercheurs d’essayer de résoudre ces problèmes scientifiques», a fait savoir le Président d’Aix-Marseille Université, Éric Berton à l’ouverture de ces Tables Rondes. En réalité, «pour plusieurs raisons, la discussion sur l’hydrogène vert continue de fasciner.
L’UM6P ambitionne de faire du Maroc, un leader mondial de l’hydrogène vert
La question géopolitique de l’intervention russe en Ukraine, en Europe, nous rappelle combien l’accès à l’énergie est vital à la stabilité et à la prospérité. «Faute de quoi une disruption de nos modes de vie est inévitable», a relevé Fahd Benkirane, Directeur pour la France de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). De son avis, suite à la guerre en Ukraine, les flambées de prix de gaz et de pétrole ont subitement ravivé les débats sur l’importance de la souveraineté énergétique en Europe comme en Afrique. Chaque COP annuelle, insiste-t-il, est l’occasion de revisiter un constat global, on ne peut plus clair, que la crise climatique est réelle et ne doit pas être sous-estimée. Elle se manifeste de manière tangible par la hausse des températures, les catastrophes naturelles, la perte des moyens de subsistance et l’appauvrissement des écosystèmes. Les émissions de gaz à effet de serre des combustibles fossiles conventionnels contribuent dramatiquement à ce changement climatique. Pour atténuer cette réalité, d’après Fahd Benkirane, l’hydrogène vert bénéficie d’une pertinence temporelle sans précédent car il offre justement une lueur d’espoir dans la résolution de problématiques économiques et environnementales. L’exploitation des capacités excédentaires des énergies renouvelables pour créer de l’hydrogène constitue un cercle vertueux dans la quête humaine d’une croissance plus verte et plus durable. Utilisé comme carburant, l’hydrogène vert n’émet donc que de la vapeur d’eau, ce qui limite la nocivité des émissions à effet de serre. Comme pays africain, le Maroc est conscient de la taille des enjeux. Le contient africain subit disproportionnellement les effets du réchauffement climatique alors qu’en réalité il émet moins de 4% des émissions de gaz à effet de serre. Conséquence : le changement climatique réduit les PIB des pays africains de 5 à 15%. Paradoxalement, de ce tableau sombre sur l’impact du changement climatique, l’Afrique reste le continent des opportunités. Une récente étude de la Banque européenne d’investissement (BEI), de l’Alliance solaire internationale et de l’Union africaine révèle que l’Afrique est en mesure de produire 50 millions de tonnes d’hydrogène vert par an d’ici 2035. Pour le Maroc en particulier, les fondements de la souveraineté énergétique durable sont là. «A titre d’exemple, pour ceux qui le connaissent, le complexe de Ouarzazate abrite l’une des plus grandes centrales solaires du monde. Avec une telle dynamique, notre objectif de 52% d’énergie renouvelable d’ici 2030 y compris l’hydrogène vert est à portée de main», indique Fahd Benkirane de l’UM6P. Et d’enchainer : «Il va de soi qu’une autonomisation aussi ambitieuse requiert également une souveraineté en termes d’expertise et de savoir-faire. C’est en partie notre raison d’être à l’UM6P. Fruit d’un partenariat avec l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles, notre Green hydrogène energy cluster ambitionne de faire du Maroc un leader mondial dans l’industrialisation et le développement de l’hydrogène vert.» L’UM6P, selon son directeur pour la France, «continue d’établir des partenariats stratégiques au niveau national et international particulièrement s’agissant de l’instauration de projet pilote de production d’ammoniac vert dans les sites industriels du Groupe OCP en vue d’une industrialisation à plus grande échelle.»
Les pays du Sud fertiles en innovations
Le chercheur Daniel Nahon n’a pas manqué de faire remarquer que de nos jours «le mètre carré de béton vaut 10 000 fois plus cher que celui de terre arable. C’est inadmissible. Il faut donc sanctuariser les terres, repenser les villes, repenser l’agriculture entièrement, et les énergies. Et c’est à ce prix que l’Afrique va enfin compter. Si l’on prend l’exemple du Maroc avec une grande façade maritime, de par sa maîtrise de dessalement, il pourra recharger ses nappes fossiles dont le niveau est descendu de 60 mètres et apporter l’excédent aux pays du Sahel.»
Hicham El Habti, Président de l’UM6P, estime que l’Afrique, dans sa transition énergétique, va sauter des étapes pour atteindre plus vite une industrialisation décarbonée. Pour y arriver, «il y a un vecteur qui va pouvoir nous accompagner : l’hydrogène. Le Maroc ne dispose ni de pétrole ni de gaz mais il a un territoire qui recèle un immense potentiel solaire et de vent. Donc, pour nous c’est important d’exploiter cette richesse qui existe pour pouvoir sauter des étapes dans le développement», a-t-il relevé. Pour illustrer son propos, il a pris l’exemple dans la technologie du mobile en indiquant que l’Afrique n’a pas emprunté, par exemple, le même chemin que l’Europe à savoir, disposer d’un téléphone fixe avant d’atteindre ce taux de pénétration dans le GSM et ses nombreuses implications. «On a même inventé le mobile banking au Kenya. Ce qui veut dire que les pays du Sud sont une terre fertile pour les innovations. Le domaine de l’hydrogène n’échappera pas à cette réalité. Concrètement, ce que nous apportons en tant qu’université, ce sont des plateformes à échelle réelle de 4 à 10 mégawatts, des fermes qui vont être installées bientôt et qui peuvent donner lieu à des collaborations ou coopération entre le Nord et le Sud mais en s’attaquant directement à des questions qui sont d’intérêt pour le développement économique de l’Afrique», a-t-il poursuivi avant d’inviter la communauté scientifique à considérer «l’Afrique comme la solution de demain sur deux niveaux : le changement climatique et la sécurité alimentaire.»
«C’est inadmissible que l’Afrique continue d’avoir des problèmes liés à la sécurité alimentaire alors que nous Africains avons 60% des terres arables non encore utilisées au monde. C’est une opportunité unique de pouvoir produire de la nourriture en abondance pour la population africaine qui ne cesse de croître. C’est possible à l’aide des pratiques nouvelles telles que celles développées au cours du panel sur l’hydrogène et l’agriculture», développe Hicham El Habti, Président de l’UM6P.
Enfin, on ne le dira jamais assez, ces Tables Rondes de l’Arbois et de la Méditerranée sont les occasions où experts, décideurs, industriels et membres de la société civile peuvent débattre ouvertement d’enjeux cruciaux. Aujourd’hui, elles s’imposent comme une grand-messe des débats scientifiques.
Du reste, pour Daniel Nahon, «ces Tables Rondes sont l’occasion pour les scientifiques de haut niveau de porter la science directement au public. Face aux marchands d’illusions capables de démolir des innovations, de la recherche scientifique, il est indispensable que les scientifiques sortent de leur chapelle.» De son avis, «aucune innovation ne pourra être appliquée sans l’assentiment de la population.» Et Fahd Benkirane de soutenir que «les contextes diffèrent certes, mais nous faisons tous face à des enjeux intrinsèquement liés à la condition humaine.»
En tous les cas, à cette 13e édition, les participants ont réaffirmé leur bonne volonté de continuer de faire de la science, une force de bien.