C’est reparti. Depuis que le transport aérien a retrouvé plus ou moins son niveau de l’année historique 2019, le tout agrémenté d’une sérieuse augmentation des tarifs, on entend de nouveau revenir le refrain des rapprochements, fusions et autres accords stratégiques entre les compagnies aériennes. Le tout sous le prétexte que le contrôle d’un transporteur par un autre serait une source d’importants bénéfices, grâce aux miraculeuses synergies. Est-ce si vrai ?
Il est certain que la fusion de deux transporteurs entraine immédiatement des effets bénéfiques, surtout si leurs réseaux sont complémentaires et si les inévitables doublons peuvent être utilisés pour ouvrir de nouvelles destinations. Ainsi lorsque Air France et KLM se sont rapprochées, il a été possible, avec le même outil industriel, en clair les flottes des deux transporteurs, d’améliorer très sensiblement le programme d’exploitation de l’ensemble par rapport à ce qu’il était lorsqu’ils étaient séparés. Dans les trois années suivant le mariage des deux compagnies, les résultats économiques ont été très bénéfiques.
La rationalisation des réseaux ne constitue pas le seul avantage des fusions entre transporteurs. Le nouvel ensemble pèse beaucoup plus dans les négociations avec les fournisseurs en particulier les constructeurs et les sociétés de leasing, sans parler des achats de pétrole et autres contrats avec les aéroports et les sociétés de handling ou de catering. Et puis finies les concurrences stériles dès lors que les réseaux sont rationalisés et qu’il est possible d’utiliser pour le bien commun les moyens commerciaux de chaque compagnie. Enfin le bénéfice est réel quant aux négociations avec les grands clients affaires auxquels une offre globalisée est souvent un argument majeur pour acquérir leur clientèle.
Seulement il y a le revers de la médaille et il est important. Une fois passée la période de la lune de miel qui peut durer d’ailleurs plusieurs années au cours desquelles se met en place l’optimisation des moyens de production et de commercialisation, viennent les premières difficultés. Cela commence souvent par l’unification des procédures et des moyens de gestion. Il est très rare que les deux partenaires utilisent les mêmes outils de réservation, de « yield management, de « revenue accounting », de systèmes d’enregistrement et des « Frequent Flyers Programs » pour ne parler que de ce qui est le plus visible. C’est alors que chacun veut défendre ses propres méthodes ce qui freine considérablement les décisions. Il n’a par exemple jamais été possible de rapprocher les logiciels entre Air France et Alitalia au temps de leur fiançailles, et ce n’est pas fautepour Air France d’avoir essayé. Rajoutons que les flottes ne sont, la plupart du temps, pas homogènes, or il est bien connu que plus on augmente le nombre de types d’avions et plus les coûts s’envolent.
Ce n’est pas tout. Dans tout rapprochement il y a un dominant et un dominé. Cela entraine inévitablement de fortes tensions dans les relations personnelles. Les uns veulent donner des instructions et les autres défendent leur connaissance de leurs marchés et la valeur de leurs méthodes. Le résultat est la mauvaise coopération entre les équipes. Alors les dirigeants cherchent à ménager la chèvre et le chou, ce qui diminue l’efficacité des mesures à prendre pour accéder aux fameuses synergies.Dans les cas extrêmes la marque del’un des deux transporteurs disparaît ce qui amène des frustrations etune perte d’impact sur un marché attaché la marque de sa compagnie nationale. N’oublions surtout pas la fierté que les pays peuvent ressentir vis-à-vis de leur transporteur porte drapeau.
Au fond l’idée que plus un opérateur est gros et plus il est rentable n’a jamais été démontrée. Beaucoup de très grosses compagnies ont disparu, Pan Am, TWA, Varig, Alitalia pour n’en citer que quelques-uns alors que des opérateurs beaucoup plus modestes continuent à tirer leur épingle du jeu, je pense à Air Caraïbes, Ethiopian Airlines, Singapore Airways et d’autres. La différence tient dans la qualité du management. La détention du capital est secondaire à partir du moment où chacun reste dans son rôle. Mais dès lors que les actionnaires laissent travailler les dirigeants et que ces derniers ont des rapports confiants avec les propriétaires, tout se passe très bien. La difficulté vient lorsque les politiques se mêlent à la gestion en nommant au gré des alternances électorales les présidents des compagnies. Ces derniers, quelles que soient leurs qualités ne disposent jamais la durée suffisante pour assurer la rentabilité de l’entreprise qui leur est confiée.
Alors, plutôt que de chercher des rapprochements, les dirigeants et les actionnaires feraient mieux de consacrer leur énergie à améliorer sans cesse la gestion de leur compagnie. La continuité dans l’action et la durée sont des facteurs clefs de la réussite dans le transport aérien.