Sur le papier, le tarif extérieur commun en vigueur au sein de la Cédéao depuis 2015 devrait stimuler les échanges agricoles dans la sous-région en orientant les excédents de certains pays vers les membres déficitaires. Dans les faits, on en est loin. En cause, la corruption des agents de l’Etat et le racket généralisé sur les tronçons routiers intrarégionaux. Dans une note de synthèse, le Centre d’études prospectives d’informations internationales (Cepii) rappelle ce cauchemar que vivent au quotidien les transports routiers.

L’adoption du tarif douanier extérieur commun par la Cédéao visait à stimuler les exportations au sein de la sous-région, nomment de produits agricoles, des pays traditionnellement excédentaires vers les pays déficitaires mais aussi de favoriser la circulation des produits importés du reste du monde – céréales, huile de palme, sucre de canne – dans une région qui ne dispose que de quelques ports desquels partent les marchandises pour approvisionner trois pays enclavés (Burkina Faso, Mali, Niger) et six pays aux infrastructures portuaires limitées (Cap Vert, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Sierra Leone). Mais la corruption généralisée des agents de l’Etat tout le long des corridors de commerce est venue plomber cette ambition. Pour les experts du Cepii, le bakchich entrave le commerce de produits agricoles, contribue à la hausse des prix à la consommation, diminue les prix à la production et aggrave le gaspillage de produits agricoles périssables lors du transport, la corruption participe aussi à l’insécurité alimentaire de pays de la sous-région.

 Une union douanière inachevée

Dans la mesure où la Cédéao est une union douanière, la circulation des marchandises ne devrait pas rencontrer d’obstacles à l’intérieur de la région. Les autorités peuvent cependant effectuer des contrôles sur le transport de marchandises, mais uniquement aux lieux d’embarquement, de débarquement et aux passages des frontières, selon le règlement communautaire. Ces contrôles doivent uniquement porter sur les certificats sanitaires et phytosanitaires, le respect par les véhicules des normes de sécurité routière et pour dédouaner les produits importés du reste du monde. Mais dans les faits, tous les pays mettent en place des «points de sécurité» le long des corridors de commerce, en nombre bien supérieur à ceux prévus par les textes réglementaires. Ces arrêts sont souvent l’occasion de prélever des pots-de-vin qui s’élevaient à 379 dollars aux 100 kms au Togo en moyenne entre 2017 et 2020. Dans ce pays, sur le seul corridor côtier Abidjan-Lagos, qui traverse le pays d’ouest en est sur 52 kilomètres, entre 7 et 13 points de contrôle ont été organisés entre 2017 et 2020 pour un prélèvement variant de 132 dollars à 418 dollars. Au-delà de la dimension pécuniaire, cette corruption fait également perdre beaucoup de temps avec pour conséquence une dégradation des denrées périssables.

Cédéao : Le racket sur les routes plombe les échanges agricoles !

Les points de sécurité sont souvent l’occasion de prélever des pots-de-vin qui s’élevaient à 379 dollars aux 100 kms au Togo en moyenne entre 2017 et 2020.

L’intensité de cette corruption est très inégale d’un pays à l’autre, que ce soit dans sa dimension financière ou temporelle. Les pots-de-vin les plus faibles représentaient, en moyenne entre 2016 et 2020, 13 dollars aux 100 kms au Ghana et 25 dollars en Côte d’Ivoire, soit un rapport de respectivement 1 à 15 et 1 à 29 avec ceux observés au Togo (379 dollars aux 100 kms), le paiement illicite moyen le plus élevé dans la région. Les écarts entre pays sont plus faibles en ce qui concerne la durée des arrêts pratiqués le long des corridors de commerce : c’est encore au Togo qu’en moyenne sur la période, ils durent le plus longtemps, 83 minutes, contre 7 minutes en Guinée et 8 minutes au Burkina Faso et au Mali. Les gouvernements s’accommodent apparemment de cette corruption qui assure un complément de salaire aux fonctionnaires et surtout, la paix sociale. Du moins, croient-ils.