«Questions d’énergie au cœur des enjeux de développement»

C’est peu dire que la question de l’énergie est vitale. Pour s’en convaincre il suffit de regarder l’importance de l’usage de l’énergie notamment électrique dans notre quotidien qui, plus est, s’est généralisé. Pour autant, les ressources énergétiques ne sont pas infinies. Pour continuer à les exploiter, alerte Moustapha Kadi Oumani du Conseil national de régulation de l’autorité de régulation et de sûreté nucléaire du Niger, il va falloir apprendre à les gérer durablement. Car paradoxalement, rabâche-t-on au sein de l’association SOS Futur, organisation dotée du statut spécial du Conseil économique et social des Nations-unies (ECOSOC). Entretien.

AFRIMAG : Qui est l’association droit à l’énergie SOS Futur, ses objectifs, sa finalité ?

Moustapha Kadi Oumani : Avant de rentrer dans le vif du sujet, permettez-moi d’adresser mes sincères remerciements à l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) qui a bien voulu accueillir l’assemblée générale de notre association, les 8 et 9 juin 2023 à l’hôtel le Palace d’Anfa de Casablanca et féliciter tout particulièrement M. Salama Laaroussi, Vice-président au titre du Maghreb, qui n’a ménagé aucun effort pour la réussite de cette rencontre statutaire et, enfin saluer tous les participants qui ont accepté de faire le déplacement du Royaume chérifien. Revenons maintenant à votre question. Créée en 2000 à Nice en France, l’association droit à l’énergie SOS Futur dispose du statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations-unies (ECOSOC). Plus concrètement, les textes la destinent à agir pour la reconnaissance du Droit à l’énergie comme un droit fondamental de l’homme. Ses missions s’inscrivent dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). L’association regroupe plusieurs organisations nationales issues des organisations syndicales, des ONG, des associations de développement et acteurs de la société civile, provenant de plusieurs pays sur quatre continents, représentant plusieurs millions d’adhérents. L’association organise des foras mondiaux sur le droit à l’énergie, dont un forum tenu à Marrakech du 19 au 21 juin 2004. Ces grandes rencontres internationales constituent une étape préalable et nécessaire à la formulation d’une charte sur le droit fondamental à l’énergie et à l’émergence d’une éthique mondiale.

L’association associe à ses projets les grands opérateurs industriels publics et privés du secteur de l’énergie. Elle entend œuvrer pour l’intégration de ce droit dans les textes fondamentaux et les activités des institutions européennes, africaines et internationales. Elle lutte pour un meilleur accès à l’énergie dans le monde. Parmi ses grandes ambitions, elle prévoit la mise en place d’une journée mondiale de l’accès à l’énergie pour tous, ainsi que la reconnaissance par l’organisation des Nations unies du droit d’accès à l’énergie comme droit fondamental en vue de contribuer à l’amélioration du développement social et économique de toutes les nations. En outre, elle contribue à promouvoir les efforts consentis par l’ONU dans le domaine énergétique, notamment, la proclamation en 2012,de «l’année internationale de l’énergie durable pour tous» et agit dans le renforcement des décisions de l’ONU dans son projet de création d’une journée mondiale de l’accès à l’énergie qui sera un temps fort de la mobilisation de tous les acteurs à savoir institutions internationales, gouvernements, entreprises et société civile. Elle a pour objectifs de :

– faire reconnaître l’accès à l’énergie comme un besoin essentiel ;

– organiser l’accès à l’énergie sur le plan international ;

– mettre en place une gouvernance pour la sécurité énergétique et les approvisionnements en ressources fossiles respectueuses des peuples, de leur sous-sol et de leur environnement;

– valoriser et favoriser l’utilisation des sources d’énergies renouvelables ;

– mettre en place une réflexion sur l’efficience énergétique et décider des ressources correspondantes ;

– créer un fonds de développement pour l’accès à l’énergie (infrastructures, formation, recensement), permettant de lancer des projets structurants dans les pays en développement en partenariat avec la société civile ;

– favoriser les transferts technologiques permettant une organisation du secteur énergétique (moyens de production, système d’exploitation) ;

– promouvoir une politique de recherche et son financement associé en vue de satisfaire les besoins énergétiques et de réduire l’empreinte écologique ;

– faire inscrire dans la constitution de chaque nation le droit à l’énergie comme un droit fondamental de l’être humain.

DAE fait ainsi face à des enjeux immenses et c’est un grand honneur pour moi de m’exprimer dans les colonnes de votre magazine AFRIMAG que je remercie très sincèrement.

AFRIMAG : Dans les pays du Sahel en général, au Niger en particulier, le déficit énergétique est une réalité, notamment pour la majorité aux revenus modestes. Que pourrait apporter une association comme la vôtre à cette catégorie de consommateurs ?

«Aujourd’hui, au Niger, 80% des ménages n’ont pas accès aux sources d’énergie moderne et continue à utiliser du bois de chauffe prélevé sur un écosystème très fragile menacé par l’avancée presqu’inexorable du désert».

Moustapha Kadi Oumani et le Canadien Richard Perreault, Président sortant de DAE lors de l’AG de Casablanca.

Moustapha Kadi Oumani : Pour répondre à votre question, avant toute chose, je pense qu’il faut partir d’une constatation simple et d’une nécessité: le Niger est le pays africain qui consomme le moins d’énergie par habitant et dispose d’un énorme potentiel énergétique, estimé à plus de 269 000 tonnes d’uranium et des dizaines de milliards de barils de pétrole et de gaz. Tous les pays sont frappés par les hausses successives du prix du gaz et le désordre qui en résulte sur le marché des hydrocarbures, aussi bien dans les pays en voie de développement que dans les pays occidentaux devient pesant. Si rien n’est fait, les problèmes énergétiques risquent de s’aggraver. Les pays du Sahel en général et bien d’autres pays du continent africain ne seront pas épargnés. Ils traversent déjà une crise énergétique sans précèdent dont l’ampleur est comparable à celle du premier choc pétrolier de 1973. L’opportunité de la rencontre de Casablanca, est qu’elle soit axée sur la recherche des voies et moyens par lesquels le manque de l’énergie sera comblé dans nos pays, en s’appuyant sur les apports du Sud et connaissances du Nord. La pertinence de nos débats, est qu’il s’agit de rare initiative devant sensibiliser les acteurs publics et privés sur les enjeux énergétiques mondiaux en s’appropriant les besoins et les innovations issues de la recherche. Il est apparu nécessaire de dresser un état des lieux des sources d’énergies disponibles pour limiter drastiquement le recours aux énergies fossiles. En Europe, les prix du gaz et de l’électricité sont 15 à 20 fois supérieurs à leurs niveaux de 2019-2020. De cet état des faits, il ressort que le continent africain regorge abondamment de sources d’énergies fossiles et renouvelables pouvant permettre d’alimenter les pays démunis. Parmi celles-ci, on peut citer les ressources primaires énergétiques comme l’uranium dont le Niger est le 4ème producteur mondial, le charbon fossile, le pétrole, le gaz naturel, le soleil (une denrée gratuite en Afrique), les bassins hydrauliques, le vent, sans compter la biomasse, les déchets urbains, et les résidus de culture. L’accès à l’énergie étant au cœur des préoccupations de l’association SOS Futur, sa disponibilité pose un certain nombre de défis qui vont des enjeux climatiques aux questions de paix et de sécurité. En outre, l’approvisionnement énergétique est devenu un facteur de conflit et de reconfiguration de la géopolitique mondiale comme en témoignent les conséquences de la guerre dans certaines parties du monde. L’enjeu du décor se pose en termes de menaces, pour les consommateurs qui manquent d’énergie en vue de vivre dignement, tout comme sur le plan des risques liés à la production, à la distribution et au transport de l’énergie. Dès lors, vous comprendriez que les situations énergétiques des pays du Sud sont différentes des pays du Nord. De toute évidence, nous traversons des zones d’ombres et il nous faut trouver les vraies solutions avec nos partenaires traditionnels. Il en irait autrement si face au contexte mondial les Etats africains venaient à serrer les rangs en vue de mieux utiliser ce qui existe comme sources d’énergies offertes aux consommateurs et minimiser les coûts d’exploitation pour concomitamment mettre fin aux incessants délestages et sécuriser les approvisionnements. L’enjeu est de taille. Ce qui met à l’ordre du jour la question de transferts de technologies. Les chercheurs nationaux, les ingénieurs français, américains, russes, turcs et chinois peuvent prendre part à cet effort. Ceci contribuerait à redonner du sens à leur travail et à leurs recherches, trop souvent détournés vers la seule recherche du profit. Dans cette perspective, nos pays trouveront des ampoules à faibles coûts à leurs populations. Alors, vous me diriez peut-être, peut-on aller plus loin dans cette démarche ? Oui, car l’explosion démographique, les conflits, l’essor des classes sociales moyennes, la fin prochaine des énergies fossiles nous conduira inévitablement vers d’autres sources d’énergies propres. Le nucléaire, le gaz naturel, le soleil, le vent, on en parle partout dans les grands centres d’intérêts, puisque les populations veulent mieux vivre. Il y a certainement des risques que les grands pays industriels ont su contrôler sachant que le risque zéro n’existe pas dans le domaine nucléaire. Même en temps normal, le nucléaire fait peur dans beaucoup de parties du monde, notamment en Allemagne où des politiques sont mises en place pour fermer les centrales, j’en suis conscient. Comme on dit «ventre qui a faim n’a point d’oreilles.» En ce sens, c’est une clairvoyance de n’avoir pas ignoré cette inquiétude, car c’est un vrai stress sous d’autres cieux. Cependant, ne mettons pas la poussière sous le tapis !

AFRIMAG : Au Sahel, il existe une corrélation négative entre le déficit en investissement dans l’électrification, singulièrement rurale et la rareté du bois de chauffe pour les populations démunies. Que pourriez-vous apporter comme solutions durables aux populations, mais également aux politiques publiques ?

Moustapha Kadi Oumani : C’est une question très pertinente. Dans nos pays, les attentes en matière énergétique sont énormes et légitimes. C’est pourquoi, nous avons une noble mission à laquelle nous tenons beaucoup. Sur la base des recommandations issues de nos rencontres régionales, nous espérerons que des changements substantiels interviendront pour assurer la prospérité du secteur énergétique et la défense des intérêts des populations rurales. Dans cette hypothèse, nous soutiendrons toute action tendant à revoir les méthodes d’exploitation et les contenus des contrats, l’édification d’un environnement sain autour des centrales électriques, la gestion des millions d’hectares de bois, la satisfaction des besoins des consommateurs et la lutte contre le réchauffement climatique. Pour l’instant, poser ces préoccupations prioritaires, c’est revenir à la source du problème, d’où notre appréhension qui vise à demander l’instauration de véritables bases de développement durable en Afrique. Depuis plus de soixante ans, les multinationales se la coulent douce en Afrique, tandis que peu de gains sont récoltés par nos régies financières en termes de revenus tirés des ressources énergétiques. Qui aurait pensé, que jusqu’à présent, cette situation demeurerait inchangée ? En clair, la volonté mercantile dans l’optimisation des tâches, a provoqué de graves détériorations de notre environnement. Les actes de destruction du bois sont prouvés et documentés par la société civile, mais rien ne se passe, parce que la raison économique prévaut. Pareillement, des rapports évoquent les alertes des riverains concernant la désertification, la pollution et, c’est déjà suffisamment grave dans certains pays. Cependant, nous apprécions le fait que les élus et les populations sont de plus en plus exigeants par rapport à l’intérêt général et ambitionnent un mieux vivre dans leur terroir. De ce fait, pour assurer la crédibilité et la pérennité des exploitations, les dirigeants des compagnies doivent faire preuve de flexibilité, d’agilité et de redevabilité avec l’art et la bonne manière de servir. Dès lors, les entreprises du secteur doivent mener plusieurs actions en direction des communautés, notamment dans les domaines de l’eau, l’éducation, la santé, l’emploi, les infrastructures et le soutien à l’économie locale.

AFRIMAG : Quel est l’impact du déficit en électricité sur la scolarisation des enfants, particulièrement en milieu rural en Afrique?

Moustapha Kadi Oumani : Pour tenter de répondre à cette question, posons l’équation de la situation paradoxale de mon pays le Niger : nous constatons que le gouvernement travaille de manière accélérée à accroitre les capacités énergétiques avec le démarrage de la société de raffinage de Zinder (Soraz), des nouvelles centrales thermiques de Goroubanda et de Istithmar à Goudel et Kagna, la centrale solaire de Malbaza, du lancement de celles de Niamey et Agadez. Et dernièrement a eu lieu à Niamey le démarrage des grands projets comme Haské et Kandadji financés par la Banque mondiale. Ce panorama devrait nous mettre à l’abri de pénurie de toute sorte. Mais, ce n’est pas le cas. Au contraire ! En plus, puisque nous sommes un état démocratique et donc respectueux de notre loi fondamentale, nous y avons même mis l’accent sur cette énergie indispensable à notre souveraineté, l’article 147 stipule, à son alinéa premier, «l’Etat s’attèle à développer son potentiel énergétique en vue d’atteindre la souveraineté énergétique, l’accès à l’énergie et à bâtir un secteur industriel, minier, pétrolier et gazier dynamique et compétitif, orienté vers la satisfaction des besoins nationaux et des exigences du développement.» Cela veut dire que l’énergie ne peut être un problème exclusivement technique laissé aux seuls experts, mais au centre de notre future, du futur de notre nation. Soulignons le second membre du paradoxe de notre équation qui est que disposer d’immenses potentialités énergétiques ne signifie pas une autonomie énergétique, même avec le soutien explicite de la loi. Aujourd’hui, au Niger 80% des ménages n’ont pas accès aux sources d’énergie moderne et continue à utiliser du bois de chauffe prélevé sur un écosystème très fragile menacé par l’avancée presqu’inexorable du désert. Des coupures intempestives et interminables nuisent aux activités industrielles et éducatives, parce que comme le dit un économiste, «l’économie, c’est de l’énergie qu’on brûle», donc une mauvaise fourniture d’énergie, et j’y inclue son coût très élevé, ce qui signifie un sous-développement permanent. Si nous ramenons cet état de fait au niveau de l’éducation, ce sont des connaissances perdues, des niveaux scolaires très bas, des équipements scolaires endommagés, etc., du fait des désagréments énergétiques. Dans ce contexte, on ne peut parler du droit à l’énergie quand une frange importante de la population n’a pas accès à l’électricité. Et comment peut-on accéder aux avantages que donne l’énergie, quand les coûts sont exorbitants pour la scolarisation des enfants, particulièrement en milieu rural, avec un taux de couverture de moins de 3% ? C’est pour dire que l’électricité, le pétrole et le gaz sont les leviers de la croissance économique et la guerre en Ukraine le démontre aisément. Alors, comment résoudre ce problème épineux ? Comment résorber le déficit énergétique actuel ? Une solution doit être la restructuration en profondeur des sociétés nationales dans le volet amélioration de la distribution d’énergie et un plan de réduction des coûts pour les ménages, et même les entreprises. Autre solution, beaucoup vont la trouver présomptueuse, c’est l’installation et l’exploitation de centrales nucléaires dans chaque pays africain pour couvrir nos territoires à 100%. C’est aberrant que des producteurs du précieux minerai ne disposent d’aucune centrale nucléaire. Ayons le courage patriotique d’aller dans cette voie en nous appuyant sur l’expertise des pays qui se servent de cette énergie depuis des décennies. Evidemment que la préservation de l’environnement doit être prise en compte au plus haut point. Regardez la guerre de l’énergie (sans mauvais jeu de mot) dans la guerre qui se passe en Europe ; les prix de l’énergie flambent, des entreprises sont asphyxiées, d’autres fermes, les populations descendent dans les rues… C’est pour dire, l’énergie est la pierre angulaire de toute croissance économique. A titre d’exemple, nous avons apporté l’énergie aux populations de la ville minière d’Arlit au nord du Niger. Le choix a été fait après appréciation des critères qui sont notamment: le poids démographique, la forte demande des consommateurs, la sécurité des personnes et les activités commerciales. A l’époque, des inquiétudes ont été soulevées par la société Orano, ex Areva qui exploite les mines d’Arlit, quant à l’extension des quartiers retenus vers les périmètres industriels de la Compagnie minière d’Akouta(Cominak) et la société des mines de l’Aïr (Somair). Les responsables de la commune urbaine se sont engagés à stopper toute extension des quartiers au-delà des limites de sécurité fixées tout autour des usines uranifères. Concernant plus de 50 000 familles, dans la logique de sa préparation, non seulement l’électrification des quartiers a changé le cadre de vie à travers le petit commerce, l’éducation, la santé et l’artisanat, mieux encore a développé certaines infrastructures connexes. Pour son originalité, le projet a été présenté en mai 2007 à Genève au Secrétaire général des Nations unies Ban Kimoom, qui a été très impressionné par la démarche participative mise en avant. Nous avions démontré qu’une fois que les populations ont accès à l’électricité, elles goûteront de ses biens faits et mieux prennent toutes les dispositions pour payer ce besoin essentiel. Tout au long de la mise en œuvre du projet, nous avions attiré l’attention des usagers qui n’ont pas encore l’habitude, que s’ils ne paient pas leurs factures, l’opérateur national, coupera, parce que l’électricité a un coût, c’est ainsi que nous leur avions conseillé de cibler des activités qui leur permettront de prendre en charge leur consommation. Il fallait donc qu’ils utilisent cette électricité autrement que juste pour regarder la télévision ou allumer une ampoule. Pour nous, on ne peut pas se contenter d’amener de l’électricité, pour servir juste de produit de consommation. Les populations qui en bénéficient doivent tirer davantage de profits que l’électricité peut engendrer. L’engouement des populations à se brancher pour créer des emplois, a eu un véritable impact et plusieurs opérations de branchements sociaux ont été organisées.

AFRIMAG : Depuis de longues années, votre pays le Niger dépend du Nigeria pour son alimentation en énergie électrique. Selon vous, comment le Niger pourra-t-il assurer son indépendance énergétique ?

Moustapha Kadi Oumani : Cette question touche une triste réalité, mais il n’y a pas lieu de se décourager. Il faut garder espoir que la situation s’améliorera rapidement face aux promesses électorales du nouveau Président du Nigeria, Bola Tinubu qui pousse intelligemment nos dirigeants à prendre le taureau par les cornes. Dès lors dans chaque pays limitrophe du Nigeria, la disponibilité de l’énergie en quantité suffisante et à moindre coût apparaît comme l’une des conditions primordiales pour le développement économique et social. Le Niger qui vit dans le noir avec 70% de sa consommation importée du Nigeria voisin, cherchera à résorber son déficit énergétique pour faire face à la demande croissante. L’enjeu est de disposer dans chaque ville et campagne d’une énergie fiable, de bonne qualité, équitablement répartie sur l’ensemble du territoire, et accessible à tous. Evidemment, depuis des années, les installations de la société nigérienne d’électricité (Nigelec) montrent un grave déficit dans la fourniture électrique. Dans ce contexte de fortes demandes sociales en termes d’accès au service électrique, cette situation impacte négativement l’économie nationale. Pour qu’un pays se développe, il lui faut maîtriser ses propres moyens de production énergétiques. Il y a lieu de se convaincre de l’impérieuse nécessité de garantir la souveraineté énergétique du Niger. La capitale Niamey et les grandes villes ont énormément besoin d’éclairage public, comparativement à beaucoup d’agglomérations africaines. Par exemple, la nuit, la ville de Niamey offre l’image d’une cité endormie. Dans les quartiers périphériques la plupart des habitants vivent dans la psychose, du fait d’une insécurité galopante la nuit, caractérisée par les agressions, les vols, les cambriolages ou autres accidents de la circulation. Pour offrir de meilleures chances d’avènement et d’instauration de véritables bases d’un développement énergétique qu’ambitionnent de matérialiser nos états, il y a lieu de se poser une question fondamentale qui comporte deux fenêtres : comment initier des choix, et comment entreprendre des actions qui vont permettre de palier les handicaps en matières énergétiques auxquels notre région est confrontée ? Les réponses à cette question se trouvent au niveau d’investissements conséquents, donc dans la volonté affirmée de nos gouvernants d’accroître des projets d’offre énergétique fortement ruraux dans l’espoir qu’une plus grande consommation d’énergie puisse impulser l’amélioration des conditions de vie, mais aussi d’investir dans les grands réseaux d’énergie solaire en vue de la modernisation des unités de productions énergétiques existantes. A ce niveau de ma réflexion, je pense à l’indispensable question d’économies d’énergie et à l’intégration d’autres sources d’énergies renouvelables aux unités traditionnelles de productions reposant sur le fuel. Dans cette démarche, il s’agit de viser la qualité, de penser à l’environnement et à la protection de la société humaine. L’efficacité et la sécurité d’approvisionnement passent par les ajustements dont nous ne pouvons plus faire l’économie. Ainsi, les nouveaux investissements, contribueront sans nul doute à renforcer l’accès à l’énergie et la croissance économique. A très court terme, voire très urgemment, il s’agit de fournir aux populations une ampoule chacune à un prix et à un coût accessible. Dans ce sens, on doit tendre vers la diversification des productions énergétiques, ce qui contribuera à sécuriser les approvisionnements et la dépendance exclusive des populations des villes comme des campagnes au bois de chauffe. Aussi, pour être en mesure de satisfaire les besoins énergétiques des consommateurs nigériens, les Etats membres de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) doivent mutualiser leurs efforts, comme les accords internationaux le prévoient. Cela mettra au goût du jour l’ambitieux programme électronucléaire du Ghana, du Niger et du Nigeria en partenariat avec l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). Nous avons pleinement confiance aux différents responsables qui ont montré leur dynamisme et leur grande capacité de résilience. Nous osons espérer que les programmes se poursuivent, car personne ou presque ne s’y oppose. Il s’agit là d’un gros challenge qu’on ne doit céder à n’importe quel prix. En effet, les pays qui maîtrisent les technologies les plus avancées doivent offrir aux autres, des perspectives de développement dans l’accès à l’énergie. Enfin et surtout dans cette perspective, nos pays trouveront des opportunités qui leur permettront de produire en toute indépendance l’énergie à faibles coûts.

AFRIMAG : Des incidents récents ont démontré que les centrales nucléaires présentaient des dangers. Que proposez-vous afin d’éviter tout incident en Afrique ?

Moustapha Kadi Oumani : Croyez-vous que les mesures de sécurité et de sûreté nécessaires n’aient pas été prises dès le départ dans les pays où les accidents se sont produits? Être conscient des risques signifie qu’il faut veiller à toutes les étapes pour assurer les garanties évidentes. En général, lors de la conception d’une centrale nucléaire, les dangers potentiels liés à la manipulation et au traitement chimique des éléments combustibles irradiés font l’objet d’examens approfondis. Mais, il faut bien voir quelle est la nature du danger ou des conséquences. Les examens effectués conduisent à la mise en place de dispositifs appropriés, qui permettent d’affirmer, en toute objectivité, que les travailleurs, les populations et l’environnement sont parfaitement protégés. Je vous fais observer que l’objectif visé par le Niger en collaboration avec l’AIEA est nettement plus ambitieux que celui des pays occidentaux. Cet effort sera naturellement poursuivi et amplifié. Pour cela, nos gouvernements africains ont tout intérêt de maintenir à un niveau plus élevé la confiance des populations et des partenaires. Vous verrez que nos pays envisageront des politiques sécuritaires qu’on peut qualifier de politique de pointe. Si le Niger, le Nigeria et le Ghana n’avaient pas lancé leurs programmes électronucléaires, nous aurions passé cinquante ans, soit dans des coupures d’électricité récurrentes, soit dans des investissements accroissant notre dépendance vis-à-vis du Nigeria. En conséquence, il faut établir de véritables perspectives, et défier toutes les idées préconçues. En réalité, la production d’énergie nucléaire est très mal connue dans nos Etats. Une centrale nucléaire, ressemble techniquement à une centrale thermique. Ce qu’on produit, c’est de la chaleur. Ce n’est pas comme le moteur à explosion d’une voiture, il n’y a aucune explosion dans une centrale nucléaire. Toutes les centrales nucléaires qui fabriquent de l’électricité, produisent en réalité de la chaleur, et c’est cette chaleur qui, une fois appliquée à de la vapeur d’eau, fait tourner les turbines qui produisent de l’électricité. C’est-à-dire qu’il y a une réaction nucléaire lente produisant de la chaleur, qui chauffe de l’eau. Comme dans les centrales thermiques, cette eau est utilisée sous forme de vapeur pour produire de l’électricité. Il n’y a aucun risque possible d’explosion. La production de chaleur telle qu’elle est faite ne peut sous aucune forme conduire à une explosion. Donc, ce n’est pas du tout une bombe atomique. Le type d’utilisation d’énergie nucléaire dans la bombe, qui est de créer les conditions d’une explosion, n’a rien à voir avec les conditions de production de d’électricité. C’est comme si vous disiez : est-ce qu’une allumette au phosphore peut provoquer une explosion. Naturellement, non, une allumette provoque seulement une flamme. Néanmoins, il y a des bombes au phosphore. Il s’agit de deux voies scientifiques et techniques complètement différentes. Ce sont les risques liés en fait aux matériaux qui sont utilisés et donc aux possibilités de radioactivité ou de fuites radioactives. Le monde est arrivé à des conditions de sécurité et de sûreté qui sont telles que les conséquences de la radioactivité sont très limitées. En ce sens, je confirme encore que le risque zéro n’existe pas vis-à-vis des accidents nucléaires. Cependant, des précautions doivent être prises pour éviter les fuites. En principe, avec les nouvelles générations, nos pays disposeront d’un système extrêmement perfectionné qui repose sur la qualité du personnel et de la structure retenue. Je suis tout à fait d’accord, qu’il faut une surveillance accrue, à plusieurs niveaux de vérifications des installations. Vous savez qu’il y a une autre technique possible, celle qu’illustre les nouvelles centrales à savoir les surrégénérateurs. Ce sont des centrales nucléaires qui, au lieu de consommer totalement les produits qu’on y introduit, les régénèrent pour un nouvel usage. La technique des surrégénérateurs permet de tirer d’une même quantité d’uranium une énergie environ 60 fois plus grande. Ce qui nous placerait dans une position de grande sécurité pour ce qui est de notre approvisionnement. Aujourd’hui, notre préoccupation est comment participer dans l’effort national et africain pour bien finaliser les programmes électronucléaire (PEN). En ce sens, j’ai été frappé de voir que le plan de communication de la Haute Autorité Nigérienne de l’Energie Nucléaire (HANEA), sur les problèmes de garanties, de risques, a une bonne audience. En conclusion, je dirais comme tout le monde le sait le risque zéro n’existe dans aucun domaine humain. Nous avons une population très jeune en Afrique et donc des besoins énormes pour former et encadrer les étudiants, et pour ce faire, nos économies doivent être performantes. Comment réussir ce pari existentiel sans une énergie bon marché ? En tant que Nigérien et en tant qu’acteur de la société civile africaine et aussi bien au plan international, je pense vraiment que le nucléaire civil est un choix intelligent et responsable, car comme on dit, «quand on veut aller au bain, on ne va pas au moulin.»

Interview réalisée par Anthioumane D. Tandia

Bio-express

Moustapha Kadi Oumani, membre du Conseil national de régulation de l’Autorité de régulation et de sûreté nucléaire (ARSN) et Vice-président au titre de l’Afrique subsaharienne de l’association internationale droit à l’énergie (DAE) SOS Futur !

Président du Collectif pour la Défense du Droit à l’Energie (CODDAE)

Président du Réseau des Associations des Consommateurs du Niger (RASCONI)

Président de la Plate-forme Nigérienne des Organisations de la Société Civile pour la Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme (POLBT)

Président de l’Association de lutte contre l’esclavage Réagir Dans le Monde (RDM Tanafili)

Vice-Président de l’Association Mondiale Droit à l’Energie SOS Futur France

Élevé à la Dignité de Grand-Officier dans l’Ordre National du Niger

Grande Médaille d’Or du Travail

Élevé à la dignité de Grand-croix dans l’ordre national du Niger