Le vent qui souffle sur la sous-région ouest-africaine est à l’image du changement de saison qui d’ailleurs fait rage sur la scène mondiale. Revisiter ses objectifs pour les réviser et viser le progrès, l’harmonie et la cohabitation pacifique devraient être le socle de tous les efforts africains actuels. La crise politique nigérienne en déphasage avec les normes de la CEDEAO au lieu de justifier les bruits de bottes et de canons devrait être le déclencheur d’assises pour réinventer notre organisation commune et affermir la souveraineté de nos Pays dans le concert des nations. Autrement, l’issue de la brouille actuelle doit être le progrès de l’ensemble et non la victoire de l’un.

 

Crise au Sahel, une aubaine pour réformer sans complexe la CEDEAO et ses États membres [Par Sémako Virgile Roland Adda, Diplomate]

Par Sémako Virgile Roland Adda, diplomate

Les tributaires de la CEDEAO doivent travailler à la faire évoluer en s’appuyant fermement sur les peuples de la communauté y compris les minorités.

               L’issue de la brouille doit être le progrès de l’ensemble et non la victoire de l’un

Le Burkina-Faso, la Guinée et le Mali se félicitent de la prise du pouvoir par les militaires au Niger avant même que le Général Tchiani et les siens ne rendent public leur vrai objectif. Le quatuor en formation au sein de la CEDEAO menace. Celle-ci rugit, rappelle les règles et prend des initiatives. «Plaise au ciel qu’aucun bain de sang ne nous éclabousse et ne nous emporte dans ses flots» disait feu Mgr Isidore de Souza. La CEDEAO comme le quatuor se doit de s’approprier ce vœu du prélat béninois. Ni l’un, ni l’autre n’a intérêt à voir la situation se dégénérer. Car chacun a à son avantage un ou des pans de vérité qu’il conviendrait de mettre ensemble pour réveiller le vrai visage de l’Afrique occidentale, libre prospère et souveraine.

Les armes concourent à la distanciation, et affaiblissent les énergies créatrices surtout lorsqu’il s’agit de peuples frères et voisins. Seul le dialogue franc, ferme et décomplexé devrait être l’arme de l’un comme de l’autre. Le but final doit être le progrès dans tous les domaines notamment culturel, sanitaire, agroalimentaire, scientifique, politique, économique et social. Le quatuor lutte pour obtenir la sécurité, la diversité partenariale librement choisie et le développement socio-économique. Au niveau de la CEDEAO, on prône le respect de l’ordre institutionnel, la stabilité politique, la prospérité économique et la préservation des acquis. Deux objectifs en réalité complémentaires. Pour cette raison, les dirigeants de la CEDEAO qui seront en conclave le jeudi 10 août 2023, en responsables avertis, doivent inviter les tenants du quatuor à des échanges francs et souverains avec toutes les composantes sociales de la communauté, comme le Président Kérékou a réussi à le faire en 1990 au Bénin, pour ramener la paix et la concorde entre les fils de son pays.

Les tributaires de la CEDEAO pour faire évoluer la communauté

Beaucoup critique la CEDEAO qui s’efforce à faire respecter les normes en vigueur. Chacun est dans son rôle, arc-bouté à sa vision des choses. Les autorités de la CEDEAO, à endiguer toute crise qui pousserait davantage nos peuples dans la misère, détruiraient les efforts de construction et de développement notables en cours ainsi que les efforts d’investissement et de création de richesse et d’emploi de la jeunesse africaine qui inlassablement œuvre à la prise en main de notre économie. Au nom de la démocratie bafouée par les coups d’Etat dénoncés, il serait souhaitable que nos Leaders prennent de la hauteur au-dessus des émotions, du sensationnel et de l’effervescence d’une part puis des pressions et impatiences d’autre part, pour créer un cadre de pourparlers ouest-africains dans le respect des situations politiques actuelles. Autrement dit, ce creuset doit se pencher sur la réforme de la CEDEAO qui vraisemblablement est arrivée à un niveau où il faut oser la réformer pour cadrer avec notre époque, anticiper sur l’avenir qui se dessine sur la scène mondiale et tenir grand compte des aspirations visibles de nos peuples. Cette réforme doit-être évoquée à Abuja pour :

Primo, oser se pencher résolument sur :

  • La forme de l’Etat et de la gestion des affaires publiques pour qu’elles soient les plus proches de nos réalités culturelles endogènes ;
  • Les griefs des Etats membres aujourd’hui aux bans de la CEDEAO, autrement, aborder les causes des coups d’Etats récents et passés pour trouver des solutions à long terme à la stabilité politique ;
  • Les accords qui maintiennent les pays membres dans une dépendance dénoncée diplomatiquement ou vertement sans suite, par des Présidents de la République, des citoyens et même des sympathisants non africains depuis au moins les années 70 ;
  • La gestion des ressources naturelles des pays membres, pour le bénéfice et le bien-être primordiaux de nos peuples ainsi que la cohésion internationale ;
  • L’état sécuritaire de la sous-région pour déterminer les moyens, méthode de nos instruments de sécurité ainsi que les partenariats les plus aptes à aider au renforcement et à l’autonomisation de nos forces de défense et de sécurité.

Secundo, la réforme doit doter la CEDEAO de :

  • Une nouvelle dénomination qui place l’émancipation et l’harmonie des peuples au-dessus de toutes autres considérations, notamment économique ;
  • Une instance suprême qui assure la veille en vue du respect par les Leaders politiques, des engagements politiques internes en faveur du bien-être des peuples et du développement national et communautaire ;
  • Une armée autonome pour protéger et défendre l’intégrité des territoires communautaires et la quiétude de ses peuples ;
  • Une instance de dialogue permanent pour résoudre les crises internes à la communauté ou aux Etats et pour harmoniser les engagements internationaux de chaque Etat avec les pays étrangers ou ceux de la Communauté avec les étrangers ;
  • Un marché et d’une monnaie uniques ;
  • Un média communautaire à la hauteur des ambitions légitimes de la CEDEAO pour freiner l’acculturation galopante de nos couches juvéniles par le fait des médias dominants.

Ecouter et intégrer les aspirations des peuples y compris des minorités

Il n’y a de souverain sans peuples. Le peuple peut par contre exister sans souverain. La souveraineté est donc d’essence populaire. Autrement, aucune volonté du peuple ne peut être systématiquement taxée d’erronée ou à l’encontre d’intérêts ou d’engagements pris. Au nom de la démocratie, toute action légitime de dirigeants doit être prioritairement en faveur des intérêts du peuple quel qu’il soit. L’écoute et la prise en compte des désidératas du peuple revêtent un double intérêt pour tout dirigeant.

  • Au premier chef, elle cristallise le lien de confiance du peuple à l’égard de ses dirigeants. Cette confiance restaurée et nourrie transforme le peuple en un rempart opaque contre toute tentative d’atteinte à l’autorité du dirigeant. Ce peuple comme un seul corps se dressera vaillant et indestructible contre toute velléité de déstabilisation interne ou externe ;
  • Au second plan, c’est un outil de négociation imparable au plan international pour tout homme d’Etat qui a le soutien indiscutable de son peuple. Quel pays étranger aussi puissant soit-il peut contraindre un dirigeant ainsi soutenu à agir contre la volonté de son peuple, sans verser dans l’autoritarisme ?

Certes, les peuples notamment les nôtres ne sont pas au fait de tout ce qui se joue dans les cercles de décision internationale. C’est pourquoi la CEDEAO doit tout mettre en œuvre, pour avoir un média qui donne la vision communautaire des choses et actualités d’ici et d’ailleurs. Mieux, elle doit encourager les diplomates, militaires, sociologues et autres en fin de service public, à se donner une nouvelle genèse dans la formation, la sensibilisation, l’information des peuples pour réduire l’influence des ONG étrangères trop souvent, des véhicules d’idéaux extérieurs à nos réalités de plus en plus et de mieux en mieux dévoyées.

Bio-express

Né le 31 mai 1978 à Cotonou (République du Bénin), Monsieur Sèmako Virgile Roland Adda est titulaire d’une licence en Diplomatie et Relations Internationales à l’Ecole nationale d’Administration du Bénin, d’un master en Sciences Politiques et Relations internationales ainsi que d’un master en Droit de l’Environnement et du Développement durable à l’Université de Nantes.

Fonctionnaire au ministère des Affaires Etrangères de son pays, il a occupé les fonctions de chargé de service de promotion des opportunités d’investissements et d’exportation ; assistant du Directeur de Cabinet du ministre. Il occupe depuis 2018 les fonctions de Chef du Secrétariat administratif du ministère après avoir ponctuellement servi à l’ambassade du Bénin à Accra puis à Doha.