Avec son demi-milliard d’habitants, l’Afrique de l’Ouest et du Centre, comportant 22 pays, occupe une place de plus en plus importante dans les projets de développement de la Banque mondiale. L’institution multilatérale qui y déroule une nouvelle feuille de route 2021-2025, prévoit quatre grands objectifs devant contribuer à la transformation économique de cette région avec à la clef : « réussir la consolidation de la croissance inclusive ».

Pour la Banque, cela passe par le rétablissement de la confiance entre les citoyens et l’État, la suppression des obstacles empêchant le secteur privé de créer plus d’emplois, le renforcement de la résilience et l’adaptation aux effets du changement climatique, et le renforcement du capital humain ; notamment la promotion effective de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes.

 

Dossier réalisé
par Miche Dare,
Mohamed Sneiba &
Anthioumane D. Tandia

Pour la Banque mondiale, une croissance économique solide et non erratique sur une longue période est indispensable pour créer suffisamment de richesse partagée, solution à l’extrême pauvreté qui prévaut dans la région. 

Pourtant, la région dispose de nombreux atouts : une population jeune, une flexibilité dans la circulation de la main d’œuvre et des biens, et une meilleure gestion macroéconomique au cours des dernières décennies. Ces atouts ont permis l’amélioration de nombreux indicateurs au cours de la décennie 2020, allant de la mortalité infantile à la scolarisation dans le secondaire. Ces progrès récemment acquis sont menacés par la pandémie du Covid-19 qui, en plus de son bilan humain direct, a causé la première récession de ce quart de siècle à l’échelle régionale. Il en résulte des pertes d’emplois, une inversion des gains en matière d’éducation et une hausse des niveaux d’endettement qui menacent les dépenses sociales et entrainent une réponse budgétaire expansionniste. «La Covid-19 a eu un impact dramatique à la fois, sur le nombre de pauvres en 2020 et sur la courbe prévisionnelle des taux de pauvreté à venir», analyse la Banque mondiale dans son rapport relatif à sa stratégie en Afrique de l’Ouest et Centrale. Et le même document d’expliquer : “Le taux de pauvreté en Afrique de l’Ouest et centrale a progressé de près de 3 % en 2020 après une décennie de déclin constant. Les projections de pauvreté pour 2030 sont 4 % plus élevées que celles antérieures à la Covid-19 et impliqueraient 23 millions supplémentaires de pauvres en 2030 par rapport aux prévisions pré-Covid-19. Des décennies de progrès économique sont en péril si la crise n’est pas maîtrisée ».

Un atelier d’apprentissage au Mali

Comment faire en sorte que ces difficultés nées du Covid-19 puissent être aplanies le plus rapidement possible en créant les conditions d’un retour à une croissance forte et saine ? Quel rôle pour la Banque mondiale qui intervient dans cette région à travers des appuis budgétaires aux États et un accompagnement par des programmes d’investissements, d’assistance technique et de conseils ? L’institution multilatérale a depuis placé son intervention sous l’auspice à la fois de l’urgence et de l’engagement.

Dans l’immédiat, pour répondre à la pandémie et à la crise économique mondiale, la principale préoccupation de la Banque mondiale a été de sauver des vies. Il s’agissait de mettre en place les mesures nécessaires à la prévention, la détection et au traitement de la maladie, un énorme défi de santé publique compte tenu de la faiblesse des systèmes de santé dans de nombreux pays de la région.

Ensuite, il s’agissait de protéger les ménages, les emplois et les principales fonctions gouvernementales.

Actuellement, une grande partie des efforts de l’institution est orientée vers le traitement immédiat de la crise. Des investissements sont également portés sur la reprise et la croissance, afin de jeter les bases du futur. En effet, la réduction durable de la pauvreté et l’accroissement de la prospérité partagée dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre dépendent en grande partie de la croissance et de la transformation économique pour créer de meilleurs emplois pour un plus grand nombre d’individus, y compris les femmes et les jeunes.

Ces tendances majeures qui affectent l’avenir de la région. 

Face à la situation, la Banque mondiale déroule depuis 2021, une nouvelle feuille de route pour la région. Le cadre stratégique qui guide le travail opérationnel de cette institution dans ces deux grandes régions en Afrique, durant la période 2021-2025, découle de quatre constats majeurs qui affectent l’avenir de cette zone économique et sociale. 

Premièrement, le contrat social est en train de s’effriter et les conflits violents sont en augmentation. Selon l’institution, onze des vingt-deux pays (soient 73% de la population de la région) sont aujourd’hui touchés par la fragilité, les conflits et la violence.

Deuxièmement, la démographie de la prochaine décennie est déjà déterminée. Au cours des 30 prochaines années, la population en âge de travailler en Afrique subsaharienne augmentera de 800 millions d’individus, soit une augmentation beaucoup plus importante qu’en Chine ou en Inde au cours des 30 années. Parallèlement, la persistance d’une fécondité élevée augmentera la difficulté à fournir de bons services de santé et d’éducation à un nombre croissant d’enfants en âge d’aller à l’école. L’élan démographique accélérera également l’urbanisation avec des risques de villes agitées et invivables mais aussi des possibilités pour les agglomérations d’accroître leur productivité et de créer de meilleurs emplois.

Troisièmement, la dépendance de la région envers les ressources augmente, ce qui pose à la fois des défis en matière de durabilité et de gouvernance. En somme, tous les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre « exploitent » leurs capitaux non renouvelables, qu’il s’agisse d’hydrocarbures, de minéraux ou de terres. Consommer du capital non renouvelable, plutôt que de le transformer en capital humain ou en capital produit, n’est pas viable. Une croissance basée sur une telle exploitation génère également une vulnérabilité aux chocs des prix des produits de base et génère peu d’emplois. Enfin, les loyers générés par cette exploitation sont largement perçus comme étant partagés de manière inéquitable.

Quatrièmement, la crise climatique en Afrique de l’Ouest et du Centre est réelle. Par exemple, le lac Tchad, autrefois l’une des plus grandes sources d’eau douce en Afrique, fournissant des moyens de subsistance à environ 30 millions d’individus, a perdu 90% de son eau depuis les années 1960.

Pour faire face à ces quatre constats qui continuent de façonner la région et les perspectives d’amélioration de la vie de leurs populations, la Banque mondiale a décidé de mettre l’accent jusqu’à fin 2025 sur l’atteinte de quatre objectifs afin de transformer ces économies en y introduisant l’impact vertueux de la croissance inclusive.

Pour un nouveau contrat social 

La Banque mondiale veut d’abord aider à rétablir la confiance entre les citoyens et l’État pour atteindre les objectifs de développement des pays de la région. A ses yeux, les citoyens ont perdu confiance dans les États qui ne leur fournissent pas de services de base et excluent une grande partie de leur population (les groupes ethniques, les pauvres, les femmes, les jeunes, les non connectés politiquement). Pour cela, les priorités varieront d’un pays à l’autre mais, au niveau le plus fondamental, elles impliqueront d’améliorer la sécurité et la justice pour tous les citoyens.

Mauritanie 2021, patients dans un centre de santé à Nouakchott

Tout d’abord, elle escompte appuyer la prestation de services efficaces et inclusifs. Puis, elle contribuera à renforcer les institutions économiques et sociales à travers une mobilisation équitable des ressources, la planification et l’exécution des dépenses publiques et des mécanismes de protection sociale. Enfin, la Banque mondiale appuiera l’engagement des citoyens au niveau des projets et de la collectivité locale pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, y compris les mécanismes de réparation des griefs.

Éliminer les obstacles à la création d’emploi 

Le deuxième objectif phare pour  les pays de la région consiste à transformer leurs économies, la création d’emplois et de meilleure qualité. Cela est essentiel à la fois dans la réduction de la pauvreté et la convergence avec le reste du monde. Il faut noter que pour la Banque mondiale, le gros du problème est constitué par le « manque d’emplois » et le « manque d’emplois de qualité » plutôt que par les jeunes inaptes au travail. « Les efforts visant à renforcer les compétences auront peu d’impact si des goulots d’étranglement qui empêchent les entreprises de se développer, et de créer plus d’emplois et de meilleure qualité, ne sont pas pris en compte. La solution à la demande dans le programme pour l’emploi est de promouvoir la croissance et la transformation économique », précise l’institution. Ainsi, sur le terrain, une attention particulière sera accordée à la résolution des problèmes de viabilité de la dette, qui ont été aggravés par la pandémie. En effet, les problèmes de dette menacent aujourd’hui la gestion macroéconomique et l’investissement dans les biens publics. Le soutien à l’infrastructure mettra l’accent sur le comblement des lacunes pour les entreprises de toutes tailles afin qu’elles se développent et créent de meilleurs emplois. L’accès à l’électricité, devrait passer du taux d’électrification de 50% à 64% d’ici 2026. Pour la connectivité numérique, les pays devraient faire passer le haut débit de 30% à 43% d’ici 2024.

Renforcer le capital humain et autonomiser les femmes

Sur ce front du capital humain, la Banque mondiale voit grand pour la région qui a le plus haut niveau de pauvreté des apprentissages (ratio d’enfants incapables de lire à 10 ans) que n’importe quelle autre région du continent ou du monde. Aussi, elle veut contribuer à faire de cette partie du continent, une région où tous les enfants atteignent leur plein potentiel. Pour l’institution, ceci implique d’arriver à l’école bien portant, bien nourri et prêt à apprendre en vue d’acquérir des connaissances permettant d’intégrer le marché de l’emploi. En tant qu’adultes sains, qualifiés et productifs. Les interventions visant à renforcer le capital humain, notamment par le biais de la santé, de l’éducation, de la protection sociale, de l’eau et de l’assainissement, sont étroitement liées. Les mauvais résultats scolaires sont l’une des préoccupations régionales les plus pressantes ; le nombre d’enfants scolarisés a augmenté, mais ils apprennent peu », relève la Banque mondiale qui tient à accorder une place de choix à l’autonomisation des femmes (faire passer le taux de scolarisation des filles dans le secondaire de 42 % à 47% d’ici 2024). 

Sénégal juillet 2022 un verger d’une école de technique agricole à Thiès au Sénégal

Renforcer la résilience climatique

Le renforcement de la résilience climatique figure en bonne place dans la stratégie de la Banque mondiale pour la région. En effet, pour l’institution, la croissance économique, la prospérité partagée, la paix et la stabilité dans la région se dégraderont de plus en plus si les vulnérabilités au changement climatique ne sont pas prises en compte. « L’impact du changement climatique en Afrique de l’Ouest et du Centre est déjà visible et s’intensifie. Les effets sont aggravés par le cercle vicieux de la forte croissance démographique, des possibilités économiques limitées et de la dégradation de l’environnement. La réduction des rendements et la dégradation des terres causées par le changement climatique menacent la production alimentaire, réduisent la productivité dans l’agriculture et aggravent les conditions de conflit », constate la Banque mondiale. Par conséquent, cette dernière axe ses efforts sur la sécurité alimentaire en construisant, de bout en bout, des chaînes de valeur agricoles résilientes focalisées sur la productivité et la préservation environnementale en assurant la stabilité des écosystèmes et la sécurité de l’eau. La Banque mondiale met également l’accent sur l’accès universel à des services énergétiques abordables, fiables, durables, modernes…