Pour que l’Afrique mange ce qu’elle produit et ne produise plus ce qu’elle ne mange pas, les gouvernements devraient se doter des politiques agricoles assorties de ressources et d’objectifs réalisables. Et placer les petits agriculteurs au centre car par ruissellement, ce processus tirerait le niveau de vie des populations vers le haut.
Dossier réalisé par Abashi Jeff. Shamamba
80% de la production agricole en Afrique sub-saharienne est assurée par de petits exploitants condamnés plus que jamais à l’obligation d’accroître leur productivité et par ricochet, les rendements. Les petites exploitations agricoles -dont on estime le nombre à 33 millions- constituent une source majeure de nourriture et de moyens de subsistance pour une grande part de la population africaine. Cependant, l’agriculture emploie plus de la moitié de la main-d’œuvre sur le continent, et les petits exploitants représentent environ 60% de la population dans les pays à faible revenu en Afrique. La bataille est naturellement identifiée : L’amélioration de la production des petits agriculteurs jouera un rôle central dans le renforcement de la sécurité alimentaire et de l’élévation du niveau de vie.
Mais l’équation n’est pas simple. Avec une pluviométrie de plus en plus imprévisible et erratique, conséquence du changement climatique, l’agriculture extensive pluviale, soit 90% de la totalité des terres agricoles africaines, constitue, avec le faible niveau de mécanisation, un véritable mur qui se dresse devant nos petits agriculteurs. A ce tableau, il faut ajouter la pauvreté rampante due aux famines cycliques dans les régions meurtries par les djihadistes ou celles où écument des groupes criminels qui pullulent en Afrique centrale. On en arrive à des situations paradoxales comme celles que vivent les provinces orientales en RDC. La partie du pays qui regorge les terres les plus fertiles du pays, est également celle dont les populations sont menacées d’insécurité alimentaire.
Productivité : Des progrès réels et palpables
Malgré tous ces handicaps et contraintes, les motifs d’optimisme sont nombreux. C’est fini l’époque où il suffisait d’une crise géopolitique qui embrase les prix agricoles sur les marchés internationaux pour redouter une famine sur le continent. Grâce à la volonté politique (l’Ethiopie en est un exemple concret) et la mobilisation des instituts recherche, l’agriculture africaine a fait des progrès prometteurs ces dernières années, avec une augmentation de la productivité moyenne de 13% par an entre 2015 et 2020, selon le Fonds des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO). Ces progrès ont coïncidé avec une amélioration des performances commerciales: le déficit commercial agricole du continent par rapport au reste du monde a diminué de 26% ces cinq dernières années, et les principaux produits agricoles transformés ont gagné des parts de marché au niveau mondial. L’adage selon lequel l’Afrique produit ce qu’elle ne mange et qu’elle mange ce qu’elle ne produit pas, est de moins en moins vrai aujourd’hui.
Mettre en œuvre le principe de Tinbergen
Il reste à gagner la bataille de la structuration de l’agriculture, c’est-à-dire élaborer de vraies politiques sectorielles assorties d’objectifs précis et surtout, de moyens. Le principe de cohérence qui a valu au Pr néerlandais Jan Tinbergen son Prix Nobel, est plus que jamais d’actualité pour les pays africains. La plupart d’entre eux continuent de pratiquer une agriculture pluviale à petite échelle et peu technologique. Il n’est pas normal que le continent emploie plus de 50% de la population active dans l’agriculture contre 3% dans les grandes nations agricoles. Pas besoin d’aller chercher l’explication loin : le différentiel est dû aux écarts de rendements. Les perspectives à long terme de l’agriculture africaine restent néanmoins solides. La plupart des pays, loin de réaliser pleinement leur potentiel, peuvent augmenter leur production agricole en améliorant les rendements, en étendant la superficie des terres cultivées et en limitant les pertes après récolte. De même, la gestion durable des terres apparaît de plus en plus comme une solution viable pour renforcer la sécurité alimentaire, lutter contre la dégradation des terres et résoudre le problème du foncier. La pandémie du Covid-19 a mis encore plus la lumière sur la vulnérabilité des petits exploitants agricoles.
Investir dans les chaînes logistiques
A terme, des mesures devront être prises pour améliorer la productivité agricole. Les petits exploitants africains doivent bénéficier d’un meilleur accès aux intrants (engrais et semences hybrides, entre autres), aux services de conseil et aux financements afin de pouvoir acheter des intrants et investir dans la production. Les gouvernements, les partenaires du développement et les investisseurs privés doivent mieux comprendre les besoins des différents types d’agriculteurs afin de pouvoir mieux adapter leur soutien.
L’Afrique étant le continent au monde qui s’urbanise le plus rapidement, la nécessité de satisfaire la demande urbaine d’une alimentation plus abondante et de meilleure qualité offre aux petits exploitants agricoles africains d’importantes opportunités d’accroître leur production destinée au marché et, par conséquent, leurs revenus. Pour que les petits exploitants puissent tirer parti de ces opportunités, il faudra investir dans le développement de systèmes modernes de logistique : la distribution, les entrepôts, les chambres froides et les installations de transformation et de conditionnement, ainsi que dans l’accès aux services de transport, d’énergie et d’eau. Pour ce faire, les marchés des intrants et des produits devront donc gagner en efficacité pour que la production agricole devienne économiquement viable pour les petits exploitants. Le bon fonctionnement des marchés leur permettra d’avoir des revenus équitables. Les agriculteurs doivent aussi pouvoir acquérir des intrants (semences améliorées, engrais, herbicides, etc.) au juste prix du marché pour faire de l’agriculture une activité économique viable.