Au-delà d’être un jeu, le football est surtout un enjeu. En effet, c’est une véritable industrie qui draine des sommes faramineuses à travers le sponsoring, le marketing sportif ou encore les droits TV. À titre d’exemple, TotalEnergies, le sponsor officiel de la 34ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations qui vient de se dérouler en Côte d’Ivoire a dû débourser 250 millions d’euros pour associer son nom à l’événement.
Comment le marketing sportif peut-il contribuer au développement des économies africaines ? Quels sont les pays qui font office de modèles en Afrique ?
Papa Massata Diack, expert international, nanti de plus de 30 ans de carrière dans le marketing sportif propose ses solutions dans une interview exclusive accordée à AFRIMAG.
AFRIMAG : Comment le marketing sportif a-t-il évolué au cours de ces dernières années ? À combien évalue-t-on les sommes qu’il génère aujourd’hui en Afrique ?
Papa Massata Diack : L’industrie du marketing sportif n’a cessé de croître au cours des trente dernières années à raison de 10 à 15% par an. Malgré un coup d’arrêt dû à la crise du Covid-19, le secteur a très vite rebondi à la faveur du dernier Mondial mais aussi grâce à l’émergence de certains championnats comme celui de l’Arabie Saoudite. À cela, il faut ajouter la naissance de nouvelles compétitions notamment en Europe : la Nations Cup, la Conférence League etc. Enfin, l’implication des fonds d’investissements dans le sport et les sommes colossales qu’ils y injectent. On estime aujourd’hui à 150 milliards de dollars par an l’industrie du marketing sportif. L’Afrique n’en tire encore qu’une part marginale, soit entre 3 et 5%.
Cependant, plusieurs raisons permettent de croire que le continent comblera son retard dans les années à venir. En effet, on note le grand retour des sponsors avec la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Il faut noter également que les droits TV prennent de plus en plus d’ampleur d’après les éditions antérieures. Il reste à améliorer l’image des compétitions continentales que sont entre autres les jeux africains, les jeux de la Francophonie ainsi que celle des championnats d’Afrique des différentes disciplines. Les Jeux Olympiques de la jeunesse qui auront lieu au Sénégal en 2026 représentent également une véritable opportunité.
Le potentiel de croissance et la marge de manœuvre sont extraordinaires en Afrique. La Confédération africaine de football (CAF) entend apporter prochainement un nouveau souffle au secteur avec quelques innovations dans la Super League et la Ligue des Champions. En tant que professionnels, nous sommes résolus à jouer notre partition, avec l’appui des fédérations et des comités olympiques.
AFRIMAG : Les droits TV tournent selon nos informations autour de 2 millions d’euros. Confirmez-vous cette information ?
Papa Massata Diack : En effet, les droits TV s’estiment à ce montant. Cependant, on note une forte disparité selon les régions et pays du continent. En Afrique du Sud, au Nigeria, en Égypte, au Kenya, en Tanzanie et au Maroc, les droits TV se négocient au-delà de ce montant. Le marché des droits TV est actuellement dominé par deux acteurs clefs que sont Beinsport et Super Sport. Ce marché gagnerait à s’ouvrir à d’autres acteurs. Ainsi, pourrait-on s’attendre à un coût plus abordable lors des éditions prochaines de la CAN.
AFRIMAG : Comment expliquez-vous le non accès de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne aux droits TV ?
Papa Massata Diack : Il faut reconnaître que jusqu’à une certaine époque, les droits TV étaient rachetés et gratuitement offerts à une quinzaine de pays par l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Depuis sa chute, ces pays peinent à autofinancer l’acquisition de ces droits. Aussi, les acteurs privés peinent-ils eux aussi à prendre le relais, car ces pays, pour la plupart, ne bénéficient pas encore d’un marché de la publicité florissant au plan local.
AFRIMAG : Face aux difficultés de l’acquisition des droits TV, la CAF propose aux pays n’ayant pas pu les acquérir de se rabattre sur Beinsport, Super Sport ou Canal Plus. Comprenez-vous la réaction de la CAF ? Cela ne pose-t-il pas un problème de souveraineté des États africains ?
Papa Massata Diack : Les positions de la CAF sur ce sujet cachent un mal plus profond. En effet, les acteurs africains du secteur de l’audiovisuel peinent toujours à réinventer la formule autrefois mise en place par l’Union des radiodiffusions et télévisions nationales d’Afrique (URTNA) avec le diffuseur français Canal France International (CFI). Ce modèle permettait aux télévisions nationales de plusieurs pays du continent de bénéficier des droits à des coûts réduits. Il est important que les différents acteurs des médias africains négocient une syndication des droits avec le CIO, la FIFA ou la CAF. C’est la seule façon pour eux de faire face à l’hégémonie des géants comme Beinsport, Super Sport et Canal Plus.
AFRIMAG : Les droits TV tourneraient autour de 1,30 million d’euros lorsqu’ils étaient l’apanage du groupe dirigé par le magnat de l’audiovisuel, Christian Lagnidé. Aujourd’hui, l’on observe une augmentation de ces droits.
Le Sénégal et la côte d’Ivoire ont vite acquis les droits, ce qui n’est pas le cas du géant sud-africain Super Sport et de la télévision nationale nigériane.
Comment l’expliquez-vous ?
Papa Massata Diack : Au Nigeria, cette situation s’explique par un changement de paradigme de l’actuelle équipe dirigeante menée par le Président Bola Ahmed Tinubu qui a engagé de profondes réformes dans le secteur. On peut conjecturer d’un réel changement dans les années à venir.
Quant au cas de l’Afrique du Sud, l’attitude de Super Sport avant le début de la compétition fut incompréhensible d’autant plus que le Président de la CAF est lui-même sud-africain. Fort heureusement, cette situation a eu une issue heureuse au grand bonheur du public sud-africain.
Mais au-delà des cas de ces deux pays, il urge pour tous les acteurs au plan continental de repenser l’industrie de la télévision.
AFRIMAG : Les primes du vainqueur et des pays participants à la CAN ont augmenté de 40%. Le vainqueur touchera 7 millions de dollars.
Cela dénote t-il d’une meilleure gestion de l’équipe dirigeante actuelle de la CAF ou d’une mauvaise gestion des anciennes équipes ?
Papa Massata Diack : La motivation financière occupe une place de choix dans le sport de haut niveau. Je crois que l’équipe actuelle de la CAF l’a mieux compris que ses prédécesseures. Aussi, la forte implication des sponsors et de la FIFA qui a revu à la hausse les primes dans les compétitions qui relèvent de son ressort a eu un effet d’entraînement sur le niveau des primes reversées par la CAF.
Pour rappel, l’équipe du Président Issa Hayatou gérait tout aussi bien les revenus. On en a pour preuve, s’il en fallait, qu’au départ de Issa Hayatou, la CAF disposait de 150 millions de dollars dans ses caisses.
AFRIMAG : La CAF a eu plus de sponsors pour cette édition de la CAN. La personnalité de son Président est-elle un facteur déterminant dans cette performance ?
Papa Massata Diack : Patrice Motsepé était attendu sur ce plan. Il aurait été incompréhensible qu’en tant qu’homme d’affaires avisé disposant d’un carnet d’adresses impressionnant, il ne pût drainer suffisamment de sponsors pour cette édition.
Cela dit, l’édition de la CAN 2019 en Égypte qui aura généré 89 millions de dollars reste celle qui détient toujours le record en termes de retombées financières. La CAN 2024 est attendue sur ce point de rentabilité.
AFRIMAG : Comment entrevoyez-vous le marketing sportif en Afrique dans les années à venir ?
Papa Massata Diack : Le potentiel et la marge de manœuvre sont extraordinaires sur le continent comme je le disais précédemment. Hormis l’Afrique du Sud qui compte à ce jour 500 agences peu de pays africains parviennent à se distinguer dans ce domaine.
Cependant, il est important de noter les prouesses réalisées par le Rwanda qui est aujourd’hui le modèle africain en matière de marketing sportif. Par ailleurs, des pays tels que l’Ouganda et la Tanzanie font également des efforts à saluer en la matière.
Le potentiel reste énorme notamment dans les pays qui ont une industrie touristique développée. C’est le cas de l’Égypte, du Nigeria et du Maroc. Le Maroc, un des trois organisateurs de la Coupe du monde 2030, a définitivement une carte à jouer pour s’imposer dans le marketing sportif. Enfin, la Côte d’Ivoire n’est pas en reste et pourra s’appuyer sur «sa» CAN pour combler son retard.
Cependant, il est important que les différents acteurs s’investissent davantage dans la formation afin de s’imposer sur ce marché prometteur mais très compétitif.
Interview réalisée par Michée Dare et Hugues Zinsou Zounon
Article publié pour la première fois sur Afrimag