Le retour du Royaume du Maroc à l’Union Africaine en janvier 2017 a commencé à apporter ses fruits, le Maroc a multiplié les initiatives sur tous les plans notamment au niveau des questions transversales à l’instar de la question migratoire ou la lutte contre l’insécurité et la criminalité mais surtout au niveau économique.

En fait, une Zone de libre-échange ne se décrète pas par des annonces ou des déclarations ou la conclusion de traités qui s’avèrent difficiles à mettre en œuvre. Malgré son importance la ZLECAF n’est pas suffisante en soi pour intégrer l’Afrique et ne peut pas ignorer les processus régionaux et sous-régionaux ainsi que les initiatives régionales et sectorielles, qui peuvent réduire les barrières aux échanges, notamment celles liées aux infrastructures qui s’avèrent des plus difficiles à surmonter en particulier dans les domaines de la logistique, du transport et de l’énergie.

Selon les rapports de la Banque africaine de

Mr. El Hassane Hzaine a été Directeur général du Centre Islamique pour le Développement du Commerce (ICDT), l'organe subsidiaire de l'OCI basé à Casablanca, de 2011 jusqu'en novembre 2019.

Par El Hassane Hzaine

développement (BAD), de nombreux pays africains performent bien en termes d’intégration commerciale mais ils sont moins performants en termes d’intégration infrastructurelle et productive, il existe de grandes différences dans la qualité et le développement des infrastructures entre les pays, ce qui suggère un besoin de développement des infrastructures pour renforcer davantage l’intégration globale. Seuls quelques pays africains ont des scores équilibrés dans toutes les dimensions de l’intégration en Afrique, par exemple le Maroc et l’Afrique du Sud performent bien en termes d’intégration macroéconomique, d’intégration productive, de commerce et d’intégration infrastructurelle.

Le gazoduc Nigeria -Maroc, un outil d’intégration globale

En ouvrant la voie de l’atlantique aux pays du Sahel non seulement le Maroc retrouve une tradition séculaire de commerce et d’échanges culturels et religieux mais aussi il se conforme d’une manière volontaire à la légalité internationale, en observant les dispositions pertinentes de la convention de Barcelone de 1921 sur la liberté du transit, l’article V du GATT/OMC sur la liberté de transit et surtout la «Convention de l’ONU relative au commerce de transit des États sans littoral» adoptée par l’ONU en février 1965, qui ont appelé à ouvrir des corridors au profit des pays enclavés pour accéder à la mer et leur faciliter l’exercice de la liberté et le droit au transit.

Accès à l’Atlantique : les chefs de la diplomatie des pays du Sahel à Marrakech

C’est dans ce contexte que le Royaume du Maroc a lancé le projet de gazoduc entre le Nigéria et le Maroc qui traverse plusieurs pays de la CEDEAO ; il initia le Processus des États africains atlantiques (PEAA), trois réunions ministérielles tenues respectivement à Rabat en juin 2022, à New York en septembre 2022 et à Rabat en juillet 2023 ; et en novembre 2023 S.M le Roi Mohammed VI a annoncé, dans un discours à la nation, une nouvelle initiative internationale visant à accorder aux pays du Sahel un accès à l’océan Atlantique, tout en soulignant que cette initiative nécessite une amélioration et une mise à niveau de l’infrastructure dans les pays du Sahel afin de les intégrer aux réseaux de transport et de communication régionaux existants.

– La stratégie marocaine d’intégration régionale de l’Afrique s’inspire d’une part des processus régionaux de nouvelle génération comme l’APEC ou l’Accord global et progressif sur le partenariat transpacifique (CPTPP) ou le partenariat transatlantique, et d’autre part de la « philosophie» de l’Initiative « Ceinture et Route » de la Chine et du Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC) lancé par l’Inde, qui consistent à construire des ponts entre différentes régions du globe pour renforcer la connectivité et la compétitivité de ces pays.

L’intérêt des initiatives anglo-saxonnes en particulier consiste dans leur pragmatisme et leur caractère progressif axé sur la coopération fonctionnelle offrant des gains concrets immédiats contrairement au modèles Chinois et Indou qui produiront leurs effets à moyen et long terme.

Cette stratégie pourrait contribuer au renforcement de l’intégration africaine de plusieurs manières :

  • Primo, l’approche choisie ne renvoie pas aux calendes grecques les résultats tangibles tant attendus, les domaines choisis peuvent déboucher sur des résultats immédiats notamment les questions transversales auxquelles tous les pays sont confrontés notamment en pole position la migration clandestine la piraterie maritime et la criminalité ;
  • Secundo, Etant le talon d’Achille de l’intégration africaine, la connectivité et la coopération dans le transport et la logistique est plus que salutaire, l’expertise marocaine en matière portuaire et logistique peut être partagée avec le reste des pays africains et les ports marocains notamment ceux du Sahara comme Dakhla peuvent contribuer au désenclavement et booster les échanges commerciaux des pays du Sahel ;
  • Tertio, cette approche est basée sur un « régionalisme ouvert » elle est inclusive, les initiatives marocaines favorisent les synergies et le partenariat avec d’autres groupements et initiatives impliquant des pays de l’Atlantique et d’autres régions comme le Sahel et l’Atlantique Nord.                               Enfin, la structure institutionnelle conçue par le Royaume du Maroc pour le Processus des États Atlantiques Africains (PEAA), avec seulement un secrétariat permanent et des points focaux, minimise les charges financières pour les États et contribue à éviter les litiges sur la répartition des sièges et des postes des institutions communes et surtout elle alloue l’essentiel de l’effort financier aux dépenses d’investissement et non pas aux dépenses courantes de fonctionnement qui prédominent dans la plupart des groupements régionaux du Sud.

Cette stratégie d’intégration n’est pas incompatible avec les groupements d’intégration régionale existants en Afrique, au contraire, elle complète la ZLECAF et les groupements régionaux comme l’UEMOA, l’UMA ou la CEDEAO et peut également aider à surmonter les problèmes géopolitiques.

L’importance de l’intégration fonctionnelle

En effet, l’intégration fonctionnelle et sectorielle autour de grands projets structurants notamment logistiques comme les ports, les chemins de fer, les autoroutes, les pipelines, etc. est d’une grande importance et peut remodeler les économies africaines qui n’ont pas changé de cap depuis leur décolonisation pour des raisons géopolitiques ; le contexte international depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine ouvre une fenêtre d’opportunité pour que les pays africains changent de cap. La construction de pipelines, gazoducs, chemins de fer, ports et l’ouverture de corridors commerciaux et de transport voire économiques dans différents pays remodèlera certainement les routes commerciales et renforcera les économies africaines.

– Si la coopération économique transatlantique est relativement récente pour le Royaume du Maroc, les relations entre l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Royaume du Maroc sont multiséculaires, elles remontent aux dynasties  Almoravide, Almohade, Saadienne et Alaouite qui avaient étendu leur influence religieuse et économique jusqu’au Soudan et au pays Achanti, les routes commerciales transsahariennes, de véritables corridors commerciaux, ont relié le Maroc au Soudan et au Ghana via Aghmat, Sijilmassa, et d’autres villes-relais dans le Sahara oriental et Tombouctou.

En ouvrant la voie de l’atlantique aux pays du Sahel non seulement le Maroc retrouve une tradition séculaire de commerce et d’échanges culturels et religieux mais aussi il se conforme d’une manière volontaire à la légalité internationale, en observant les dispositions pertinentes de la convention de Barcelone de 1921 sur la liberté du transit, l’article V du GATT/OMC sur la liberté de transit et surtout la «Convention de l’ONU relative au commerce de transit des États sans littoral» adoptée par l’ONU en février 1965, qui ont appelé à ouvrir des corridors au profit des pays enclavés pour accéder à la mer et leur faciliter l’exercice de la liberté et le droit au transit.

Les gains possibles de la voie de l’Atlantique

Dans cette optique, le Royaume du Maroc a organisé une réunion de coordination ministérielle sur l’initiative de S.M. le Roi pour améliorer l’accès à l’océan Atlantique pour les pays du Sahel les 22 et 23 décembre à Marrakech, avec la participation du Mali, du Niger, du Burkina Faso et du Tchad ; la Mauritanie rejoindra également cette importante initiative à un stade ultérieur. Tout en exprimant leur gratitude à l’offre du Maroc de « mettre ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires à disposition des pays du Sahel pour renforcer leur participation au commerce international », les participants ont convenu de mettre en place des groupes de travail dans chaque pays pour promouvoir la mise en œuvre de l’initiative.

Le lancement de cette initiative est très opportun dans la mesure où les pays du Sahel souffrent non seulement d’isolement géographique mais aussi économique du fait des sanctions imposées par la CEDEAO, l’UEMOA, la France et récemment l’Algérie, suite à la participation de ces pays à la réunion de Marrakech entre le Maroc et le Sahel en décembre dernier.

Effectivement, les pays enclavés de la région du Sahel sont confrontés à des défis géopolitiques uniques en raison de leur manque d’accès direct à la mer ; ils dépendent souvent de voisins côtiers pour les routes commerciales et l’accès aux marchés internationaux. Ils sont généralement vulnérables aux perturbations des voies de transport et de commerce en raison de facteurs tels que l’instabilité politique, les conflits et les contraintes géographiques. Les dynamiques géopolitiques ont un impact considérable sur leur développement économique.

Faciliter le commerce et le transit des exportations des pays du Sahel vers les ports atlantiques est vitale voire existentielle, car les contraintes géographiques sont la cause principale qui les empêche de bénéficier des préférences commerciales offertes par la communauté internationale UE EU, y compris par le Maroc, qui a annulé la dette des pays africains les moins avancés tout en exonérant totalement leurs produits d’origine des droits de douane à l’entrée sur le marché marocain en 2000.

S’attaquer aux coûts élevés du commerce et du transport au Sahel

L’ouverture d’un corridor de transport efficace traversant le Sahara marocain jusqu’au Tchad, reliant les capitales des pays du Sahel aux ports maritimes atlantiques marocains avec une infrastructure aux normes internationales est de nature à soulager les goulets d’étranglement économiques en s’attaquant au problème des coûts élevés du commerce et du transport au Sahel et partant entre les pays de la CEDEAO, Il pourrait contribuer également à surmonter les barrières non tarifaires au commerce telles que les retards fréquents aux frontières, les blocages liés aux procédures douanières et aux réglementations en matière de passage de frontière.

Contrairement aux idées les plus répandues, les coûts logistiques élevés ne découlent généralement pas uniquement de mauvaises infrastructures, c’est pourquoi l’initiative marocaine est appelée à s’appesantir à la fois sur les infrastructures dures et sur les services logistiques et les aspects soft ; il convient de mentionner à cet égard que les investissements dans les infrastructures semblent avoir un impact plutôt limité sans des services logistiques et commerciaux efficaces.

Pour être efficace l’initiative marocaine en faveur du sahel devrait donc s’attaquer à la fois aux lacunes des infrastructures dures (comme les maillons manquants des routes et voies ferrés et les passages frontaliers) et aux mesures douces (réglementations, technologie, harmonisation des processus).

Les ports africains de l’Atlantique, en particulier ceux du Maroc, revêtent donc une importance géopolitique capitale pour les pays enclavés du Sahel ; ils peuvent fournir des passerelles cruciales vers les marchés mondiaux et servir de leviers pour la facilitation du commerce qui contribuera à simplifier, normaliser, harmoniser et moderniser le commerce transfrontières, de façon à accroître les échanges et à rendre le commerce international des pays du Sahel et toute la sous-région plus rapide, moins coûteux et plus accessible aux petites et moyennes entreprises.

D’un point de vue géographique et économique, les ports atlantiques du Sahara marocain pourraient offrir des avantages potentiels aux pays du Sahel, notamment :

Proximité géographique : les ports atlantiques du Sahara marocain sont dotés d’un emplacement géostratégique à proximité de la région du Sahel, cela pourrait réduire les coûts de transport et améliorer l’accès aux marchés internationaux pour ces pays.

Facilitation du commerce : La présence d’un port moderne avec une logistique et une infrastructure efficace pourrait faciliter le mouvement des marchandises, fluidifier le commerce et dynamiser l’intégration économique régionale dans l’espace CEDEAO et CENCAD.

Création de réseaux multimodaux : Le développement de réseaux de transport, tels que les autoroutes et les chemins de fer, reliant le port atlantique à la région du Sahel, contribuera à une meilleure connectivité et un accroissement des flux commerciaux ; tout en précisant que l’ouverture de nouveaux ports marocains ne va pas concurrencer les autres ports d’Afrique de l’OUEST au contraire ils va contribuer à les désengorger et les décongestionner.

Opportunités économiques : La mise en service de nouveaux ports atlantiques au Sahara marocain peut stimuler indirectement la croissance économique dans la sous-région qui deviendra plus attractive aux investissements directs étrangers ce qui bénéficierait aux pays de la sous-région.

Cependant, le contexte géopolitique entourant les pays du Sahel et les diverses vulnérabilités auxquelles ils sont confrontés compliquent un peu la situation, la région du Sahel est particulièrement sujette à l’instabilité politique et aux crises humanitaires, notamment les pénuries alimentaires et le déplacement des populations en raison des conflits et des facteurs environnementaux. Ces crises causent non seulement des souffrances humaines, mais augmentent également la vulnérabilité de la région aux pressions et interventions extérieures.

Il est aussi grand temps pour les puissances étrangères de changer de paradigme en s’attaquant aux causes profondes de l’instabilité et de la vulnérabilité de la région du Sahel. Une des décisions clés pour surmonter ces vulnérabilités est de promouvoir l’intégration régionale, de construire des infrastructures de transport et de logistique et d’améliorer la coopération avec les pays côtiers afin de stimuler la croissance économique conjointe et de servir les objectifs de développement en conjonction avec les mesures de sécurité et militaires.

 

  • En conclusion, il sied de souligner qu’un corridor Trans sahélien vers l’atlantique fonctionnel et compétitif apportera des avantages significatifs, notamment en améliorant le régime de transit, en optimisant les chaînes d’approvisionnement transfrontalières, en facilitant le commerce, en favorisant l’inclusivité des régions environnantes à travers la mise en place de ports secs tout au long du parcours du corridor.

En réduisant les coûts et le temps de transport, le corridor contribuera également à dynamiser les échanges commerciaux, à améliorer la compétitivité et le bien-être au Sahel, aidant ainsi ces pays à surmonter les racines de l’instabilité politique et de l’insécurité et à renforcer les gouvernements centraux.

L’expérience mondiale souligne que l’amélioration de la connectivité, que ce soit au niveau national, régional ou mondial, impacte positivement la compétitivité commerciale, conduisant à la création d’emplois et à la croissance des revenus. Des coûts de transport moins élevés élargissent les opportunités commerciales et facilitent le mouvement des marchandises et des personnes.

En ce qui concerne l’implication du Maroc, il sied de noter que le Royaume a usé de son influence en Afrique via la persuasion et les incitations et son soft power et non pas par les intrigues et les complots. En ce qui concerne la dernière initiative marocaine en date à savoir l’ouverture d’une nouvelle route de transit vers l’Atlantique aux pays du Sahel, il s’avère judicieux d’envisager la concrétisation du projet notamment en actant deux mesures opérationnelles clés pour le démarrage du projet : premièrement, établir une coalition internationale visant à améliorer la logistique et à connecter la région du Sahel aux pays côtiers de l’Atlantique, deuxièmement, la création d’une agence dédiée, similaire à l’Agence de liaison fixe du détroit de Gibraltar, pour évaluer la faisabilité de ce projet et mettre en branle la feuille de route, il va sans dire que la sécurisation du tracé du corridor prime sur le reste des mesures.

Toutefois, la route ne sera pas sans embûches ; l’histoire nous enseigne que dans tout processus de coopération/ intégration il y a des acteurs catalyseurs (core area) des locomotives qui tirent vers l’avant, à l’instar du Royaume du Maroc, mais il y a eu presque toujours des acteurs qui tentent de freiner le processus (counter core areas) par crainte de mettre en danger soit les intérêts acquis soit des projets futurs d’expansion, je pense notamment aux anciennes puissances coloniales et leurs alliés dans le voisinage immédiat.

Malgré les appréhensions actuelles et futures des acteurs extérieurs non intégrés dans les processus et initiatives du Royaume du Maroc ; il faudra préciser qu’elles sont inclusives et ouvertes à la participation des bonnes volontés même en dehors de la région (je pense aux amis du Maroc dans les pays du golfe), donc rien n’exclurait l’adhésion dans une deuxième phase d’autres pays pour dissiper les appréhensions. Rappelons à cet égard, que lors de la période de détente maghrébine entre 1969 et 1974, le défunt Roi Hassan II avait offert à l’Algérie l’accès libre à l’Atlantique via les ports du Sahara marocain en 1972 pour désenclaver les provinces méridionales de l’Algérie et faciliter le transport du fer et du gaz en provenance de Gara Djebilet à Tindouf, qui faisait d’ailleurs partie de l’empire chérifien pendant des siècles avant le protectorat.

 

 

 

Article publié pour la première fois sur Afrimag