Parce que les dispositifs financiers et bancaires classiques ne sont parfois pas ou plus accessibles aux TPE et PME du continent, le Fonds africain de garantie et de coopération économique a été conçu en complément de ce dispositif. L’Organisation commune africaine et malgache a donc créé le FAGACE pour, entre autres, leur faciliter l’accès au crédit. Ainsi, son programme est globalement axé sur les PME et TPE, qui ont reçu plus de 80% des investissements mobilisés à ce jour. Les financements couvrent aussi bien les besoins de structuration de dettes et réaménagements de crédits que l’investissement dans des actifs corporels ou incorporels, croissance externe, projets innovants… Les ambitions du FAGACE sont autrement plus larges. Car pour son Directeur général, le tchadien Ngueto Tiraïna Yambaye, l’institution se voit en «banque centrale des fonds de garantie», c’est dire ! Décryptage.

Fonds de Garantie : comment le FAGACE complète les dispositifs existants

 

AFRIMAG : Le Fonds Africain de garantie et de coopération économique que vous dirigez depuis le 1er juillet 2020, continue de voir grand. Aujourd’hui, plusieurs pays comme le Gabon, la Guinée Equatoriale, la RD Congo ou encore la Guinée Conakry souhaiteraient intégrer son tour de table qui compte déjà 14 pays actionnaires. Comment expliquez-vous cet attrait ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : le FAGACE a 47 ans aujourd’hui. Depuis mon arrivée début juillet 2020 comme Directeur général, je n’ai fait qu’appliquer la vision des pères fondateurs qui voulaient que cette organisation soit le creuset de l’intégration économique et financière de l’Afrique.

Le FAGACE a été créé par les chefs d’Etat de l’OCAM, Organisation commune africaine et malgache, le 10 février 1977. La vision des pères fondateurs consistait à la mise en place d’une organisation financière qui puisse compléter le système financier actuel : les marchés financiers et les banques. Dans ce dispositif, le maillon manquant est le fonds de garantie pour accompagner les États qui, malgré leur richesse, sont sous financés.

En tant que Directeur général, j’ai décidé d’implémenter cette vision pour faire du FAGACE une institution multilatérale panafricaine de proximité. Pour ce faire, nous avons invité les États non-membres à le devenir ainsi que les institutions multilatérales et le secteur privé. Par ailleurs, 30 % du capital du FACACE est destiné à ces institutions. C’est dans ce cadre que nous avons approché d’autres États mais également les banques centrales, la Badea (Banque arabe pour le développement Economique en Afrique)… pour jouer un rôle important dans la modernisation et le développement du FAGACE.

Enfin, j’insiste sur le fait que le FAGACE n’est pas une institution strictement francophone, elle s’adresse à tous les pays africains.

AFRIMAG : Peut-on dire que c’est ce défi à relever qui vous a inspiré le plan stratégique 2021-2025 ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : Exactement ! Ce plan a été élaboré par toute la direction générale du FAGACE. C’est une réflexion interne avec un produit interne. Alors même que ce genre de plan fait souvent appel aux cabinets extérieurs.

AFRIMAG : Après trois années de l’échéance du Plan Stratégique, quels sont les impacts de cette feuille de route ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : La direction générale a pu mettre en place ce plan stratégique que les actionnaires croyaient initialement très ambitieux. Aujourd’hui, non seulement nous avons atteint nos objectifs opérationnels mais nous les avons dépassés de 260 %. Nous continuons sur cette lancée avec le retour de la confiance qui fait du FAGACE une organisation attractive.

Si l’institution balbutiait, ce n’est plus le cas aujourd’hui avec le professionnalisme, la transparence et la gouvernance qui sont au cœur du système. Ce plan stratégique passe sous le signe de la rigueur, de la responsabilité et de la recevabilité chez tous les acteurs. Nul n’est au-dessus de la loi et toutes les parties prenantes doivent rendre des comptes.

AFRIMAG : Ces dernières années, le FAGACE joue beaucoup la carte de la proximité avec les institutions de développement comme par exemple la Badea, ICIEC, mais aussi avec les Etats membres. Quel est l’objectif visé dans cette approche ? En quoi cette proximité a-t-elle impacté positivement les Etats membres du FAGACE ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : L’une des principales conclusions du diagnostic que nous avons entrepris nous a montré que le FAGACE n’était pas assez connu. Ceci, après 44 ans, au 1er juillet 2020, date de ma prise de fonction. Ce déficit en visibilité était un autre défi à relever. Autrement dit, faire connaître le FAGACE aux populations, aux opérateurs économiques, aux États, aux banques …

Étant une institution utile de financement, et aux partenaires financiers ce dialogue nous amène à développer des partenariats avec toutes les banques, toutes les institutions internationales africaines et non africaines. Nous travaillons également avec le Nepad, l’Union africaine, l’Uemoa, la Cemac… Ce qui donne de plus en plus de visibilité à l’institution. Plusieurs acteurs du secteur public et privé font appel aujourd’hui au FAGACE qui a développé une expertise interne avérée. Ceci est d’autant plus vrai que, non seulement nous dialoguons mais nous nous faisons évaluer par nos partenaires. Tous les six mois, nos partenaires nous font une revue à travers l’Institut du FAGACE pour nous dire si notre mode opératoire tient la route. Cette méthode consistant à se remettre régulièrement en question après l’évaluation et le feed-back que nous recevons du partenaire nous permet de nous ajuster pour nous améliorer.

AFRIMAG : Quelles sont les différentes garanties qu’offre le FAGACE à sa clientèle dans les Etats membres ? Et comment une entreprise du secteur privé peut-elle en bénéficier ? Pour quel coût ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : Nous avons déjà plusieurs produits. En matière de garantie, nous avons les garanties qui consistent à accompagner les installations de microfinance à travers les banques. En effet, les institutions de microfinance travaillent directement avec l’économie réelle dans le secteur rural en général. Vous remarquerez que le financement du secteur réel en Afrique n’est pas au niveau souhaité. Une raison de plus pour expliquer le positionnement du FAGACE dans l’accompagnement des porteurs de projets, entreprises ou particuliers, en quête de financement.

Cette garantie se fait à travers les banques. Dans notre mode opératoire, nous partageons le risque avec la banque 50% du montant des financements accordé par la banque. Ce partage des risques fait baisser les taux d’intérêt. Nous avons également une garantie des divisons des risques puisque la réglementation bâloise, Bâle II et Bâle III notamment, exige des banques un fonds propre suffisant pour pouvoir fonctionner. Cette réglementation devient indispensable aux banques afin d’être à l’aise dans l’octroi du crédit. Pour nous, c’est essentiel pour éloigner la frilosité dans l’octroi des crédits.

Par ailleurs, il faut ajouter qu’entre les banques et le FAGACE, il y’a la garantie portefeuille. Généralement, le porteur de projet n’est même pas au courant de cette forme de garantie que nous appelons la garantie silencieuse. Ce qui nous amène à mettre à la disposition de la banque par exemple un montant de 1 milliard ou 2 milliards pour qu’elle impute directement si le financement ne dépasse pas 200 millions de francs CFA. En fin, le FAGACE octroie aussi la garantie à première demande pour la levée des ressources sur les marchés financiers.

AFRIMAG : Quid des PME qui représentent l’essentiel du tissu des entreprises africaines ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : Notre stratégie de base est orientée vers les PME qui représentent 80 à 90% du tissu des entreprises de nos États membres. Nous accompagnons cette catégorie d’entreprises mais également les TPE à travers notre garantie silencieuse. Ainsi que le commerce international. Nous garantissons les échanges intra-africains et les échanges entre l’Afrique et le reste du monde.

AFRIMAG : Quel effet de levier, les garanties du FAGACE procurent-elles aux entreprises privées ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : L’effet de levier est très important. Quand une entreprise a des bonnes idées et n’a pas accès au financement bancaire classique, l’intervention du FAGACE lui permet non seulement d’y avoir accès à un taux d’intérêt avantageux mais permet également à l’effet multiplicateur si son investissement devient élevé. Le FAGACE revisite en effet les documents de crédit octroyés par la banque.

Nous négocions également avec les banques afin d’accorder des délais de grâce aux investisseurs en fonction de chaque type de projet et suivants les spécifications techniques. Concrètement, financement de l’implantation d’une usine de transformation dans le secteur du café ou du cacao par exemple, si la banque donne un crédit le 29 mars et que le mois suivant l’investisseur est tenu de payer les intérêts, on concourt à la faillite de l’entreprise. Dans ce cas de figure, pour la survie de l’entreprise de café ou cacao, il faut lui accorder un délai minimum de six mois ou un an avant que ne débutent les remboursements. Autrement dit, il faut d’abord lancer l’activité pour avoir un revenu et procéder aux remboursements après. Vu ainsi, le FAGACE permet aux banques de restructurer les crédits.

C’est ainsi que durant la période du Covid, avec notre concours, nous avons proposé aux banques la restructuration pour leur donner une nouvelle chance, au lieu de clôturer le financement des comptes de certaines entreprises en difficulté.

Il en est de même pour les startups, un secteur que les banques rechignent à financer. Or aux États-Unis notamment, dans une moindre mesure en Europe, les idées séduisantes sont financées. Donc, nous disons qu’il va falloir changer de paradigme pour financer les idées qui pourraient rapporter à l’économie de façon globale en termes de création de richesses et d’emplois. Ainsi, les jeunes diplômés au lieu de chercher du travail dans la fonction publique seront encouragés à créer leur entreprise.

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye

AFRIMAG : Quel montant le FAGACE a-t-il garanti en 2023 ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : Du 10 février 1977, date de création du FAGACE au 31 décembre 2020, le montant cumulé des garanties était de 400 milliards de FCFA. Ce montant est passé à 1160 milliards au 31 décembre 2023. Une progression géométrique fulgurante !

AFRIMAG : La ZLECAF qui est entrée en vigueur avec pour but la mise en place d’un marché continental africain entre les pays signataires, s’avère une opportunité pour booster les échanges interafricains. Comment le FAGACE entend-il accompagner cette initiative bénéfique pour tout le continent ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : Le FAGACE se positionne comme un partenaire de la ZLECAF. Nous accompagnons le processus d’élargissement du marché africain par l’intégration financière. Les échanges intra -africains demeurent insignifiants, moins de 5%. L’Afrique échange plus avec le reste du monde alors que son potentiel intérieur est immense. Le continent africain est la nouvelle frontière de la croissance. En favorisant l’intégration financière de l’Afrique, nous favorisons également l’émergence d’un marché continental. Le FAGACE travaille avec toutes les chambres de commerce des 14 pays membres. Il met les chambres de commerce en relation. Chose qui ne se faisait pas. Par ce truchement, nous jouons notre partition en termes de coopération économique.

Nous mettons également en relation toutes les chambres d’agriculture et les chambres de commerce pour organiser des forums dont l’objectif est de réunir des entrepreneurs africains pour des séances de b2b ou b2c. Il faut noter également que nous travaillons avec toutes les Communautés économiques régionales qui sont les piliers de l’Union africaine. Il s’agit de mettre en relation des marchés de la Cedeao, de la Cemac, de la SADC, du Comesa, de l’UMA. En favorisant l’intégration financière de l’Afrique, nous accompagnons les échanges des biens et services. Mais également d’expériences.

AFRIMAG : Quelles perspectives pour le FAGACE ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : Le FAGACE est une institution utile avec une vision à long terme. Il faut souligner d’emblée qu’en Afrique, les fonds de garantie ne sont pas légion. L’ensemble des fonds de garantie africains occupe à peine 10% des besoins. Le défi reste immense! Nous voudrions voir autant de pays adhérer au FAGACE pour que cette institution financière puisse jouer encore davantage son rôle de garantie au niveau continental. Mais nous souhaitons aussi travailler avec les fonds nationaux de garantie. À cet égard, nous encourageons les pays à créer leurs fonds nationaux de garantie. La plupart de nos pays n’en disposent pas ! Raison pour laquelle, le FAGACE a créé dans chaque Etat un bureau d’information et de liaison de proximité. Nous avons créé également des représentions régionales en : Afrique centrale à Douala, Afrique de l’Est à Kigali et Afrique de l’Ouest à Dakar. Nous continuerons dans ce processus avec une représentation dans le grand marché que constitue la RD Congo. Nous nous voyons en banque centrale des fonds de garantie.

AFRIMAG : Comment expliquez-vous l’absence des pays de l’Afrique australe et de l’Afrique du nord dans votre tour de table ?

Dr. Ngueto Tiraïna Yambaye : Au Maroc nous coopérons beaucoup avec Tamwilcom, ex-CCG. Nous avons participé, en janvier de cette année à Rabat au Maroc, au forum des associations de fonds de garantie. Tamwilcom est une référence pour nous. Nous y enverrons bientôt des cadres en immersion dans le cadre des échanges d’expériences entre nos deux institutions. Ceci étant, nous coopérons également avec d’autres pays de l’Afrique du Nord et la zone méditerranéenne, notamment avec l’Égypte, l’Espagne et le Portugal dans le cadre du partage d’expériences. Du côté des investisseurs institutionnels, nous avons un partenariat exemplaire avec la Banque islamique de développement et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique. Dans notre stratégie, nous cherchons à minimiser les risques d’intervention.

Nous nous faisons re-garantir et re-assurer par des partenaires garants internationaux notés au moins AA+ sur le plan international. Dans l’ingénierie financière que nous mettons en place, nous garantissons les investissements en nous faisant re-garantir et assurer par d’autres institutions.

En Afrique australe, nous sommes en pourparlers avec la Namibie et The Southern African Development Community, la Communauté de développement de l’Afrique australe.

Article publié pour la première fois sur Afrimag