Les usines de moka, ou farine de poissons, fait de plus en plus l’actualité dans les médias et les réseaux sociaux. Cette activité halieutique qui a fait irruption en Mauritanie, il y a seulement quelques années, représente près du tiers des captures mondiales. Si ailleurs, la discrétion est le propre de la pêche minotière aux mains de quelques sociétés de pêche à travers le monde, en Mauritanie, la question de la matière première qui fait tourner des usines à moka de plus en plus nombreuses fait polémique entre les partisans de cette activité très rentable et ceux qui mettent en avant la consommation humaine du poisson et la préservation de la ressource.

Si les uns pensent que la rationalisation, la concentration et l’efficacité sont les règles de l’industrie minotière qui transforme le poisson en farine et en huile, d’autres estiment que les produits qui permettent aux usines à moka de tourner à plein régime ne sont plus constitués uniquement que de rejets comme le précise clairement le cahier de charge et toutes les circulaires du ministère des Pêches et de l’Économie maritime ! Ici, on semble avoir pris la précaution d’éviter ce qui se passe ailleurs où des bateaux-senneurs peuvent capturer, dans une pêche bien encadrée, plusieurs dizaines de milliers de tonnes d’anchois, de sardine ou de chinchard à chaque campagne.

Le processus suivi par les prises se présente comme suit : le marché local, d’abord, la congélation, ensuite, et le rejet pour la farine et l’huile de poisson. H. Sidi estime cependant qu’il s’agit là d’une disposition qui reste dans le domaine du «théorique», les usines de fabrication de farine et d’huile de poisson agissant autrement dans la pratique, en transformant environ 60 % des débarquements !

A titre comparatif : plus de 45 usines de moka en Mauritanie, 3 au Maroc et 2 au Sénégal 

Des organisations de la société civile, comme l’ONG Apeah (Association pour la Protection de l’Environnement et l’Action Humanitaire), alertent contre ce qui est, pour elles, «le pillage caractérisé de nos potentialités halieutiques par des sociétés étrangères qui se sont installées à Nouadhibou ces dernières années.» Elles évoquent l’installation de plus de 45 usines de moka, activité qui, sans une réelle surveillance et un contrôle strict par les autorités compétentes, peuvent enregistrer certaines dérives. L’ONG Apeah annonce, sur sa page facebook, avoir fait de nombreuses enquêtes «pour s’enquérir du danger de ces installations», alerter les autorités et éclairer l’opinion publique  nationale d’une «situation préoccupante.»

Selon cette ONG, avoir 1 tonne de farine de poissons nécessite l’utilisation de 5 tonnes de poisson qui n’est pas seulement que des rejets ! Cela se ferait au détriment du marché local qui connait certaines déprimes (rareté de certaines espèces très prisées par les classes moyenne ou à revenu faible). L’ONG évoque la situation au Maroc, où «il n’y a seulement que 3 usines spécialement pour les rejets malgré les activités faramineuses du secteur», et, «au Sénégal seulement 2 usines soumises aux normes prévues dans le cahier de charges.»

peche artisanale mauritanie

Selon le mémoire de fin d’étude d’une étudiante de l’ISMM/ACNAV de Nouadhibou, «la Chaine de Valeur de la farine et huile de poissons à Nouadhibou enregistre une forte croissance depuis 2010 en raison de : l’existence de biomasse importante de deux sardinelles, ronde et plate, et de l’ethmalose (qui n’était pas alors exploitée) et plus récemment de la sardine», «la chute de la production chilienne de farine observée en 2010», «l’augmentation du prix de la farine au niveau international passant de 700 dollars  la tonne, en 2009, à plus de 1.800 dollars la tonne, en avril 2011.»

Retour en arrière…

Le premier atelier scientifique et technique sur la farine et huile de poisson en Mauritanie organisé à Nouadhibou, du 02 au 04 décembre 2010, sous le thème : «Farine et huile de poisson en Mauritanie ; quels enjeux pour quels résultats ?» appréhendait déjà cette double problématique de profits conséquents mais aussi de risques notoires.

A l’époque, l’on notait sous une forme de neutralité dans les rapports, que : «dans la zone mauritanienne, les prélèvements des petits pélagiques (sardinelles, chinchards, sardines, anchois) sont réalisés presque exclusivement par des chalutiers industriels étrangers et une flottille artisanale sénégalaise, opérant dans le cadre d’accords bilatéraux. Les captures réalisées approchent, voire dépassent, le million de tonnes certaines années. Ces espèces étaient destinées jusqu’à une date récente, presque en totalité et à l’état brut, aux marchés régionaux et internationaux sans avoir touché un port mauritanien (98 %). En dépit de l’importance de ces captures, les retombées socio-économiques restent marginales en comparaison aux pays de la sous région dont les zones sont pourtant bien moins riches que la nôtre.

Le développement récent de l’industrie de farine et de l’huile de poisson constitue une opportunité pour la valorisation des rebuts des usines de traitement et des espèces sous exploitées. La production en farine de cinq usines à Nouadhibou, destinée exclusivement au marché international, a presque triplée. Cet engouement est dicté par un ensemble de facteurs qui sont très probablement conjoncturels (baisse de la production latino-américaine et forte demande de l’aquaculture en Chine). Ce qui a entrainé une surchauffe rapide des prix sur le marché international passant de 700 dollars américains la tonne de farine en janvier 2005 à 1889 dollars en 2023.

En Mauritanie, cette industrie qui occupait seulement 2723 personnes, en 2010, concerne aujourd’hui cinq fois plus, selon les estimations des ONG demandant l’interdiction de l’activité. Les marins, presque exclusivement étrangers, ont représenté 54 % de cet effectif contre 40 % pour les dockers et seulement 6% pour des emplois dans les fabriques de farine elles-mêmes.

 

Pour créer un emploi fixe, il faut débarquer 118 tonnes de poissons dans le cas des usines de farine de poissons contre 33 tonnes pour la filière élaborée-congelée. Habituellement, pour les unités de farine ce ratio est beaucoup plus faible mais dans notre cas on fait appel à beaucoup de personnels occasionnels (dockers) pour décharger le produit, alors qu’ailleurs le produit est acheminé par des pompes aspirantes jusqu’aux usines.

L’apport en devises de cette nouvelle industrie est estimé à plusieurs dizaines de millions de dollars américains. La répartition du chiffre d’affaire permet de constater que l’excédent brut d’exploitation s’élève à 31 %, l’achat du poisson représente 29,5 %, les salaires 7 %, l’énergie 17,5 % les dépenses diverses 12 % en enfin les taxes et charges fiscales représentent seulement 3 %.

Pour éviter à cette activité naissante un échec cuisant comme celui enregistré dans les années 1970 par l’industrie de la farine de poisson nationale, il convient d’assurer son encadrement et de maitriser surtout ses capacités pour éviter tout dérapage.

Article publié pour la première fois sur Afrimag