Le ministre des Finances malgache a signé un accord confidentiel avec la société Jovena pour apurer une partie des dettes de la Jirama. Un dénouement aux modalités opaques, qui pourrait ralentir la transition énergétique malgache en défavorisant les producteurs d’énergies renouvelables, eux-aussi dans l’attente d’importants règlements de la part de la Jirama

Un accord dans le dos des Malgaches ? Alors que la Jirama, la compagnie nationale de distribution de l’eau et de l’électricité à Madagascar, se débat dans d’incessants problèmes de trésorerie, les plus hautes autorités de l’île pourraient avoir cédé aux pressions de certains de ses prestataires. C’est ce que croit savoir la rédaction d’Africa Intelligence, qui révèle les termes d’un accord conclu le 25 avril entre l’État malgache et la société Jovena, filiale de distribution de carburant du groupe Axian Energy, lui-même propriété du millionnaire franco-malgache Hassanein Hiridjee. Confidentiel, ce protocole d’accord acterait le règlement de la dette, colossale, que la Jirama a contractée auprès de Jovena.

Le montant total de cette dette n’est pas précisé dans le document. Celui-ci fait, cependant, état d’une somme de 514 milliards d’ariarys (soit 107 millions d’euros), couvrant les arriérés dus par la Jirama à son prestataire sur une période courant de juin 2023 à février dernier. Un premier remboursement, de l’ordre de 59 millions d’euros, aurait déjà été versé à Jovena, avec le concours de l’État ; le reliquat de 48 millions d’euros devrait, toujours selon l’accord consulté par Africa Intelligence, être remboursé par l’État malgache d’ici à la fin de l’année.

Délestages, dettes : la Jirama au coeur des difficultés quotidiennes des Malgaches

Comment expliquer ce soudain empressement des autorités malgaches à éponger certaines des dettes de la Jirama ? La compagnie nationale d’électricité est, de notoriété publique, en crise depuis de longs mois. En août dernier déjà, ses principaux transporteurs de carburant avaient adressé un ultimatum à la Jirama, sommant leur client de régler ses dettes. A défaut, menaçaient alors les transporteurs, ceux-ci interrompraient leurs livraisons d’hydrocarbures, promettant ainsi d’aggraver encore la situation d’une compagnie publique déjà exsangue.

Sur la Grande Île, les difficultés de la Jirama rythment en effet le quotidien des habitants. Ceux-ci ont appris à vivre avec les délestages, c’est-à-dire les coupures inopinées de courant. Excédés, les Malgaches descendent parfois dans la rue pour crier leur mécontentement, comme en mars dernier à Tamatave, la capitale économique du pays. Quant aux entreprises, elles subissent de plein fouet les défaillances de l’opérateur public qui se répercutent sur leur production et leur compétitivité. Nul sur l’île ne doute, donc, que la Jirama ait besoin d’être redressée, sa gestion rationalisée et ses comptes apurés. Mais à quel prix, selon quelles modalités et en faveur de quelles orientations stratégiques ?

La transition énergétique sacrifiée ?

Sur la Grande Île, les difficultés de la Jirama rythment en effet le quotidien des habitants. Ceux-ci ont appris à vivre avec les délestages, c’est-à-dire les coupures inopinées de courant. Excédés, les Malgaches descendent parfois dans la rue pour crier leur mécontentement, comme en mars dernier à Tamatave, la capitale économique du pays.

Jean-Baptiste Olivier, ministre de l’Energie et des Hydrocarbures

Si les informations révélées par Africa Intelligence sont dignes de foi, c’est le propriétaire d’Axian Energy, Hassanein Hiridjee, qui aurait lui-même sollicité le président malgache, Andry Rajoelina. De leur entrevue aurait découlé ce protocole d’accord inédit, au bénéfice, autant qu’il est possible d’en juger, d’une seule et unique société prestataire de la Jirama. Selon le document, l’État malgache se serait engagé à prêter l’argent nécessaire à la compagnie nationale, «conformément aux engagements envers les partenaires techniques et financiers.» En cas de défaut de paiement, le groupe Jovena pourra, toujours selon l’accord en question, interrompre ses approvisionnements en carburant.

Autant de dispositions qui, alors que les budgets de l’État malgache et de la Jirama sont dans le rouge, interrogent. Car le choix d’apurer en priorité l’ardoise de Jovena se fera, mathématiquement, au détriment des dettes contractées auprès d’autres acteurs, au premier rang desquels les producteurs d’énergies renouvelables (EnR). Un arbitrage dans lequel les observateurs ne manqueront pas de déceler l’influence du nouveau ministre de l’Energie, Olivier Jean-Baptiste, lui-même ancien pétrolier, qui pourrait avoir choisi de favoriser un « milieu » qu’il connait bien. De quoi, surtout, renforcer la dépendance de la Grande Île aux hydrocarbures (qui représentent aujourd’hui 77 % des capacités installées), et éloigner la perspective du développement des EnR, hydroélectrique et solaire en tête.  

Une décision à rebours du sens de l’histoire 

Opaque, cette forme de « favoritisme pétrolier » actée en haut lieu est aussi anachronique. Elle s’inscrit en effet à rebours du sens de l’histoire : Madagascar, où seul un habitant sur trois a accès à l’électricité, demeure l’un des pays au monde les moins électrifiés, tout en disposant d’un potentiel solaire parmi les plus élevés de la planète, avec près de 3 000 heures d’ensoleillement par an. Un paradoxe – et un scandale politique – que vient, en quelque sorte, valider, confirmer et aggraver l’accord conclu entre le gouvernement et les seuls prestataires pétroliers de la Jirama. Une énième illustration de la manière dont le lobby des énergies fossiles pousse ses pions au détriment de ses concurrents « verts », de la transition énergétique et de l’intérêt général.

 

Article publié pour la première fois sur Afrimag