Pendant très longtemps, la question ne s’est pas posée. Le transport aérien existait et se développait comme aucun autre secteur d’activité si on excepte celui des communications. Fascinés par les facilités toujours plus grandes amenées par l’utilisation de l’avion et de ses possibilités sans cesse améliorées, on ne s’est jamais posé la question de son utilité. Or voilà que, bousculé par l’offensive médiatico-écologique, il est amené à se demander à quoi et à qui il peut bien servir. Est-il un facteur nuisible pour la planète ou au contraire est-il indispensable au bien-être des populations ? En d’autres termes, doit-on poursuivre vers un transport de masse en continuant la baisse des tarifs, ou fait-il réserver son utilisation aux clients les plus aisés ?
Le débat existe depuis que les « low cost » ont déboulé dans l’univers feutré des compagnies historiques. Ils ont amené une nouvelle couche de clientèle qui jusqu’alors n’avait pas accès à ce moyen de transport. Cela a largement contribué non seulement à la croissance du transport aérien, mais à l’arrivée de nouveaux appareils plus performants et plus économiques. C’est ainsi que le secteur a pu maintenir un développement en volume de 5% par an sur des montants de plus en plus gros. Entre 5% d’augmentation sur 1 milliard de passagers, ce qui correspond au montant transporté au début des années 1990 et 5% sur les 4,5 milliards d’utilisateurs en 2019 il y a un pas très important. A tel point qu’avant même la crise du Covid on commençait à se poser la question du maintient de ce taux de croissance.
Mais ce développement s’est accompagné de difficultés grandissantes pour assurer la rentabilité du secteur. La recherche de nouveaux clients et de la multiplication des voyages a conduit les compagnies aériennes à une guerre tarifaire dont les effets n’ont pas toujours été bénéfiques si on en juge par le nombre de défaillances de transporteurs qu’ils soient petits ou énormes.
Alors la question se pose : à quoi et à qui doit servir le transport aérien ?
Aucun doute quant à son utilité pour désenclaver les villes souvent isolées par manque d’infrastructure au sol. Le transport aérien ne réclame finalement que très peu d’emprise au sol, il est relativement facile de construire une piste et une aérogare et même des installations modestes peuvent d’avérer très utiles. C’est ainsi que le contient africain sera probablement très dépendant du transport aérien pour assurer son développement. Donc la question de savoir à quoi l’avion peut servir ne se pose même pas.
Par contre elle se pose de savoir à qui il peut ou à qui il doit servir. Il y a les tenants de son utilité sociale. Pour ceux-ci il doit continuer et même accentuer sa démocratisation. L’utilisation massive d’appareils sans cesse plus performants doit permettre de mettre ce mode de transport à la portée de tous et servir d’abord au rapprochement des familles, souvent écartelées aux quatre coins de la planète. Certes les liaisons en « visio » permettent de maintenir un lien, mais elles sont en même temps un appel à des retrouvailles physiques plus fréquentes. Les partisans de cette politique font valoir que plus il y aura une demande de transport et plus les constructeurs auront intérêt à créer de nouveaux appareils et plus ils sont modernes, moins ils sont polluants. Autrement dit l’accroissement du nombre de vols sera compensé par la diminution des nuisances de chacun d’eux.
Et il y a ceux qui considèrent qu’un frein doit être mis à la dérive des prix et surtout à la promotion de tarifs qui ne couvrent manifestement pas les coûts de revient. C’est ainsi que l’on met dans la tête du public des notions tarifaires qui ne correspondent à aucune réalité sous le fallacieux prétexte que cela va attirer le chaland auquel on pourra vendre un tas de services pour compenser ce que l’on peut appeler de la vente à perte. Ceux-ci considèrent que l’augmentation des tarifs constatée depuis la fin de l’épidémie est finalement une très bonne chose. Certes cela va entrainer une décélération dans le taux de croissance, mais, après tout est-ce si pernicieux ? Le transport aérien est complexe et le brader ne constitue pas la meilleure manière de le faire respecter par les consommateurs.
Les deux approches sont respectables, mais elles ne sont pas forcément compatibles entre elles. Finalement, comme dans l’hôtellerie ou la restauration, il faudra s’habituer à voir cohabiter des compagnies à très bas coûts et à prestations minimales et d’autres beaucoup plus chères mais à service de grande qualité.
Reste que les unes et les autres devront assurer leur rentabilité sans demander des aides étatiques, et à arrêter la mise sur le marché de tarifs qui, manifestement ne paient pas le prix de revient.