L’agriculture africaine est en train de faire de la technologie une alliée de taille. Les agritech, ces startups qui mettent les progrès du numérique au service d’une agriculture durable et rentable, sont en plein essor sur le continent. Les initiatives fleurissent aux quatre coins du continent. Les solutions numériques foisonnent aussi. Le nombre de startups agro-orientées a considérablement augmenté. Qui sont ces jeunes pousses ? Que proposent-elles ?
WeFly Agri en Côte d’Ivoire, Sowit au Maroc, Farmerline au Ghana, e-agri au Togo, Farmcrowdy au Nigeria, Nkalo au Burkina, Apollo Agriculture au Kenya, Pula en Tanzanie, Agrix Tech au Cameroun, Afrikamart au Sénégal… Pour ne citer que celles-là, le monde agricole en Afrique est devenu de plus en plus un terrain fertile pour les startups innovantes du numérique.
Pour stimuler cette dynamique, le Nigérian Tony Elumelu, 26e fortune africaine, sélectionne, forme et finance, chaque année depuis 2015, des milliers de jeunes entrepreneurs africains à travers sa fondation, The Tony Elumelu Foundation (TEF).
D’un autre côté, des actions favorisant l’innovation fleurissent, comme celle initiée par l’Association Internationale des Engrais (IFA) et l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), qui constatant que l’innovation est en train de transformer les systèmes agricoles africains, ont lancé The Africa Agtech Startup Showcase, une compétition internationale ouverte aux entrepreneurs proposant des réponses innovantes aux défis de l’agriculture africaine et souhaitant faire connaître leurs solutions auprès de l’industrie de la nutrition végétale. La sélection finale aura lieu en mai 2023 lors de la conférence annuelle de l’IFA, le plus grand rassemblement de l’industrie des engrais. La startup gagnante s’y verra décerner un prix de 20 000 euros. «L’Association Internationale des Engrais a créé en 2021 la plateforme Smart & Green pour rapprocher l’écosystème AgTech des fournisseurs de solutions de nutrition des plantes. Nous nous sommes par la suite associés à l’UM6P pour connecter les entrepreneurs avec des partenaires et des investisseurs potentiels dans le cadre de l’Africa AgTech Startup Showcase. Tout cela pour contribuer à nourrir le monde de manière durable», a déclaré Alzbeta Klein, Directrice générale de l’IFA.
Des investissements records
Ces dernières années, les investissements dans l’AgriTech et la FoodTech ont enregistré des chiffres record au niveau continental. Les levées de fonds des startups de ce secteur ont bondi de 250% en 2021 (voir encadré). Et la tendance devrait se poursuivre durant les prochaines années. Il faut dire que les enjeux de l’AgriTech (l’innovation au service de l’agriculture) sont surtout liés aux changements climatiques et aux différents sujets environnementaux, au développement de nouvelles pratiques de production et de consommation, à la diversité des agricultures et enfin à la pérennité économique des exploitations agricoles. En Afrique, de plus en plus de projets se créent autour de l’AgriTech et force est de constater qu’ils sont tous différents les uns des autres. Certaines startups se sont lancées dans les bio pesticides comme l’a fait Lono en Côte d’Ivoire, ou dans les énergies renouvelables à l’image de SunCulture, le fournisseur kenyan de systèmes d’irrigation fonctionnant à l’énergie solaire qui a bénéficié d’une ligne de crédit de 11 millions de dollars d’un consortium de créanciers pour poursuivre son expansion en Afrique. Bien qu’elles soient jugées prioritaires, ces filières sont trop coûteuses en recherche et développement.
À l’instar de Twiga, les porteurs de projets préfèrent réduire le nombre d’intermédiaires ou imaginer des services mobiles d’information stratégique par SMS. C’est le cas d’Esoko, une jeune pousse ghanéenne qui informe en temps réel les petits exploitants sur les prix de leurs produits et sur la météo afin qu’ils optimisent les périodes d’arrosage ou de récolte.
De son côté, la plateforme ivoirienne Seekewa propose des biens et services à des prix adaptés aux agriculteurs. Ces derniers peuvent par exemple obtenir des conseils sur la façon d’établir un diagnostic lorsque leurs plantations sont malades.
Aujourd’hui, le secteur agricole emploie environ 65% de la population active africaine et représente 32% du PIB du continent. Mais 80% des exploitations agricoles sont de petites tailles (2 hectares ou moins), et la majorité d’entre elles fait face à plusieurs défis limitant la possibilité pour les fermiers de vivre décemment de leur activité : faible productivité, besoins élevés en eau d’irrigation, isolement géographique, manque d’informations, faible accès au financement, prix de vente bas etc. Ce sont justement à ces défis identifiés sur le terrain que les agritech africaines ont décidé de s’attaquer.
Alors que 93% des terres arables sont déjà cultivées, et que les rendements agricoles stagnent depuis 20 ans, les jeunes pousses innovantes s’activent sur tous les maillions de la chaîne de valeur agricole pour tenter de revivifier un secteur qui nourrit mal son homme. « Parmi les agro-startups africaines qui réussissent nous avons pu identifier deux types d’entreprises. D’une part, celles que je qualifie de loupe, et qui se focalisent sur un problème particulier de la chaine de valeur agricole et y apportent une innovation pour le régler (…) D’autre part, il y a des entreprises qui adoptent dès le départ une approche globale et systémique, remettent à plat les chaînes de valeur et réinventent ainsi les process», analyse Fadel Bennani co-fondateur de The Seed Project, un think tank qui promeut l’apport des nouvelles technologies pour développer l’agriculture africaine.
Les agritech opérant en Afrique proposent des solutions variées qui répondent à des besoins réels comme les plateformes de crowdfunding, les solutions internet des objets (IoT) et d’algorithmes de gestion des exploitations, les plateformes de partage d’informations et de connaissances et les engins agricoles autonomes. 32,9% d’entre elles opèrent cependant dans le domaine du commerce électronique via des plateformes mettant en contact les fermiers avec les consommateurs finaux (B2C) ou des entreprises d’agro-business (B2B). Qui sont les fondateurs de ces startups agricoles ? Leurs créateurs ont dans la plupart des cas un parcours professionnel totalement extérieur à l’agriculture. Ils ont souvent une première expérience dans les hautes technologies ou dans la communication. Mais quand on les connaît un peu mieux on se rend vite compte qu’un des associés au moins à un rapport personnel assez intime avec l’agriculture, souvent d’ordre familial. Financièrement ces startups fonctionnent également sur un modèle particulier. Faiblement capitalisées elles ont en général peu d’actifs et privilégient l’usage à la propriété. Pendant leur phase de montée en puissance elles investissent beaucoup en communication et en développement. Elles privilégient la croissance, le positionnement sur le marché aux bénéfices financiers à court terme. Dès qu’elles peuvent montrer que leur idée est devenue une réalité diffusable et utilisable, la fameuse POC dont parlent les startupers, comprendre « Proof of concept », elles procèdent régulièrement à des levées de fonds.
Tandis que l’Afrique de l’Est reste incontestablement la région pionnière de l’agritech du fait de son secteur agricole développé et de son écosystème de startups et de fonds consacrés à l’innovation, les choses commencent à bouger à l’Ouest.
Les levées de fonds ont bondi de 250%
Les levées de fonds des startups opérant dans le domaine de l’agrifoodtech en Afrique se sont établies à 482,3 millions de dollars en 2021 contre 185 millions en 2020, ce qui représente une croissance de 250% d’une année à l’autre, selon un rapport publié le 20 septembre dernier par le fonds de capital-risque AgFunder, en collaboration avec les institutions néerlandaise et britannique de financement du développement (FMO et British International Investment). Intitulé «Africa AgriFoodTech Investment Report 2022», le rapport précise que le montant record enregistré durant l’année écoulée porte le total des levées de fonds réalisées par les jeunes pousses qui révolutionnent l’agriculture et les industries agro-alimentaires sur le continent depuis 2017 à 1,1 milliard de dollars. Le nombre annuel des tours de tables lancés par les startups agrifoodtech africaines n’a pas cessé de croître au fil des années, passant de 51 en 2017, à 99 en 2020, puis à 150 en 2021. Au total, 119 agritech et foodtech ont levé des fonds durant l’année écoulée.