On les disait obsolètes, trop chers à opérer, trop consommateurs de CO², trop vieux, bref, ils avaient tous les défauts. Pendant des décennies, ils étaient les seuls à pouvoir être exploités sur des destinations lointaines. Pour traverser les océans, il fallait aux bi moteurs une qualification ETOPS (Extended-range Operations by Twin-Engine aeroplanes ) c’est-à-dire le nombre d’heures de vol autorisé pour atteindre le premier aéroport sur un seul moteur.
Les premiers biréacteurs étaient autorisés ETOPS 120, c’est-à-dire qu’ils devaient ne pas dépasser une distance de 2 heures pour atteindre un aéroport. Progressivement on est passé à ETOPS 180, soit trois heures pour la plupart des biréacteurs, et on est maintenant à ETOPS 370 pour l’A350 XWB. Même le nouvel A321 XLR est autorisé à une distance de 8700 km, autant dire qu’il peut sans difficulté traverser l’Atlantique.
Autrement dit, le champ d’activité réservé aux seuls quadrimoteurs peut maintenant être occupé par des appareils beaucoup plus petits. Ces derniers sont plus facilement remplis et au moment où les compagnies tentaient de privilégier le coefficient de remplissage au dépens du confort et même du tarif, il était plus logique de remplacer les gros porteurs par des avions plus légers. Et voilà que le Covid est arrivé à point pour mettre au sol les Boeing 747 et les Airbus 380. Certes ces appareils étaient largement préférés par les clients, mais ils étaient d’une conception ancienne et les exploitants souhaitent s’en débarrasser au plus vite. L’occasion était trop bonne, elle a été saisie immédiatement.
Seulement le monde est sorti de cette désastreuse période et même si le conflit entre l’Ukraine et la Russie pollue encore l’atmosphère, la demande de transport est repartie brutalement. Les injonctions écologiques ont certes été prises en compte par le secteur, mais les résultats ne sont pas attendus avant une vingtaine d’années. En attendant il faut bien donner satisfaction au marché. Et, cerise sur le gâteau, les tarifs ont augmenté très sensiblement, de l’ordre de 30% ce qui permet d’atteindre beaucoup plus facilement le seuil de rentabilité. Bien sûr les tout nouveaux gros biréacteurs le Boeing 777X et l’Airbus 350-1000 permettent de transporter plus de 400 passagers, ce qui rapproche leur capacité de celle des derniers Boeing 747-8 et des Airbus A 380, mais les clients préfèrent toujours les ces derniers lesquels transportent tout de même 200 passagers de plus. Et puis les constructeurs peinent à livrer les appareils récemment commandés.
Alors on ressort les quadriréacteurs des cimetières d’avions où ils étaient stockés. Sans surprise, Emirates a remis en service ses A 380. Elle a été la première, je dirais comme d’habitude. Et cela marche à tel point que les B 777 sont progressivement remplacés par l’avion drapeau, essentiellement pour les classes supérieures Première et Affaires pour lesquelles l’A 380 n’a pas d’équivalent. Mais le Boeing 747-8 n’a toujours pas dit son dernier mot. Il est d’ailleurs plus récent que son concurrent d’Airbus. C’est ainsi que les grands transporteurs ressortent les plus gros appareils alors qu’ils pensaient ne jamais les réutiliser. La demande de transport est bien présente, elle est dynamique et les quelques 4 milliards de passagers transportés en 2019 seront probablement atteints en 2023, mais avec un chiffre d’affaires très supérieur compte tenu de la montée des prix. Ce phénomène se constate dans tous les continents, à la suite de Qantas qui a récemment annoncé le retour de ses A 380, le dernier transporteur à remettre en service de ses B 747 est Korean Air, alors que les pays asiatiques ont été les derniers à ouvrir complètement leurs frontières.
On a enterré un peu vite les magnifiques appareils. Ils ont fait la prospérité du transport aérien et ils ont permis à de nouvelles couches de clientèle moins fortunées de bénéficier quand même de la liberté attachée à ce mode de transport. La très forte demande ne pourra pas être supportée uniquement par la multiplication des appareils plus petits, même si ces derniers permettent d’ouvrir de nouvelles dessertes directes sans passer par les « hubs » si compliqués et si onéreux à exploiter.
Les grands aéroports sont de nouveau proches de la saturation. Les parkings avions et le nombre de passerelles ne peuvent pas être développés à l’infini sauf à créer de nouvelles plateformes très loin des agglomérations. Mais alors il faudra bien prendre en compte dans le calcul des émissions de CO² les trajets de plus en plus lointains pour se rendre dans les aérogares.
Il serait peut-être judicieux que les deux grands constructeurs remettent la main à la pâte pour créer de nouvelles versions, plus performantes d’appareils de plus de 600 sièges. Boeing a fait 8 versions de son fabuleux 747, Airbus une seule du A 380 en dépit de l’énorme insistance de Tim Clark le patron d’Emirates qui se dit prêt à être le transporteur de lancement du gros appareil du futur.