Le port de Conakry, en pleine mutation, livre bataille, à ses concurrents, pour mettre la main sur la manne des échanges extérieurs des pays enclavés alentours. S’il peut compter sur la détermination politique du CNRD et l’apport technico-financier du nouvel opérateur turc aux commandes opérationnelles, la concurrence avec les big players de la sous-région, s’annonce rude. Pour Alport Conakry, l’enjeu est à la taille de l’opportunité qu’offre plus d’une quinzaine de pays du continent sans façade maritime. Pour s’adresser à ce marché, la nouvelle capitainerie déroule un ambitieux plan d’investissement. Objectif : moderniser et hisser le port de Conakry au rang des majors du continent. Explications.
Conakry se rêve en port de transbordement
AFRIMAG : Quelles sont les améliorations apportées à l’infrastructure portuaire de Conakry, en termes de modernisation et de performance opérationnelle, depuis que Alport est aux commandes ?
Mustafa Levent Adali : J’ai pris mes fonctions en novembre 2020. Et moins de trois mois plus tard, mes équipes ont repris la manutention des opérations portuaires. Auparavant, 34 sociétés privées opéraient au Port de Conakry, mais sans jamais investir un seul copeck dans le maintien et la modernisation du port, ni essayé également d’accélérer les opérations, bien qu’elles gagnaient beaucoup d’argent grâce à cette infrastructure portuaire. Aujourd’hui le changement est net. Avant, le temps d’attente moyen des navires en rade était de 12 jours. Pis encore, le temps d’attente d’un navire transportant 40.000 tonnes de riz était de 40 jours. Le loyer quotidien moyen d’un cargo de cette taille était d’environ 10.000 dollars US. Faites le calcul! Une pratique qui a duré au moins 30 ans. Certains en ont tiré des rentes de situation. Et les grands perdants ont été l’Etat, les opérateurs économiques et les consommateurs. Pour tourner la page nous avons procédé à la consolidation de l’outil de travail et le remplacement des quais datant de 1955. Ce qui nous a permis de réduire drastiquement le temps d’attente en rade des navires à zéro et triplé la vitesse des opérations terrestres. Et les navires de 40.000 tonnes sont déchargés en moins de quinze jours. Avec l’installation de 320 mats d’éclairages, plus question de tourner au ralenti. Une opération qui offre l’opportunité au Port de Conakry de travailler nuit et jour 24h/24h pour réduire le coup de passage portuaire.
AFRIMAG : Le Port de Conakry devient ainsi un outil de production moderne et entend se hisser au rang des plus grandes plateformes portuaires sous-régionales. Quelle est votre recette ?
Mustafa Levent Adali : Nous avons fait des modernisations constructives et nous avons accéléré les processus opérationnels basés sur les services. Auparavant, en raison de la lenteur du port, les pays de l’hinterland tels que le Mali et le Burkina Faso préféraient aller dans les autres ports de la sous-région.
En presque 15 années, aucun navire conventionnel ou de cargaisons générales n’a accosté au Port de Conakry. Et pour cause ! Les temps d’attente ici étaient très longs. La qualité des opérations était très mauvaise. Plus les performances opérationnelles augmentent, plus les ports sont sollicités. Naturellement les recettes des ports qui reçoivent davantage de demandes augmentent également. Nous avons non seulement augmenté les performances, mais aussi les revenus du port donc les recettes de l’Etat aussi. Tout est lié.
AFRIMAG : Quelles stratégies avez-vous mis en place pour livrer concurrence aux autres ports alentours pour capter les marchés des pays de l’hinterland : Mali, Burkina Faso, Niger ?
Mustafa Levent Adali : Nous avons essayé d’attirer à nouveau le marché malien, et nous pensons avoir obtenu un grand succès. Je parle du potentiel d’importation et d’exportation des Turcs du marché malien à partir de notre port.
Depuis plus de 20 ans, le coton malien n’avait pas transité par le port de Conakry et grâce à notre offensive commerciale, nous avons réussi à relever ce défi pour le transit malien en signant au mois de mai dernier, un protocole d’accord avec la Compagnie Malienne pour le Développent des Textiles (CMDT) pour le passage de 30 000 tonnes de coton extensible à 150 000 tonnes. L’objectif d’Alport Conakry est d’élargir ce protocole à 700 000 tonnes pour les années à venir. Nous sommes en discussion avec d’autres clients potentiels au Mali.
Cette année, nous nous attaquons au marché burkinabè, en ayant l’intime conviction que les opérateurs économiques burkinabés porteront leur préférence sur le Port de Conakry, en raison de la proximité et les opportunités que nous les offriront tout comme le Mali. Et le marché nigérien suivra.
AFRIMAG : Quel est l’impact de la Pénétrante sur les activités portuaires et le flux routier sur l’axe Conakry-Kaloum ?
Mustafa Levent Adali : Depuis l’entrée en vigueur de la concession, le Groupe Albayrak a recensé plus de 8000 véhicules et plus de 1500 camions poids lourds entrant par jour à Kaloum.La capacité de desserte des camions au Port de Conakry était ainsi limitée et le patrimoine routier de Kaloum était constamment dégradé et les camions étaient anarchiquement stationnés le long de l’autoroute Fidel Castro provoquant des embouteillages monstres et des risques réels d’accidents.C’est pourquoi, pour désengorger le Port de Conakry et assurer une meilleure fluidité du trafic routier, le PDG du Groupe éponyme, Ahmet Albayrak a accepté, à la demande de l’Etat guinéen, d’intégrer le projet de construction d’une pénétrante routière et d’un parking de stationnement de camions malgré le fait qu’il relevait de la responsabilité d’une autre société étrangère qui n’a pas pu le réaliser deux ans après sa signature.
Actuellement, nous ne faisons plus face à de tels embouteillages dans les opérations générales de fret. En particulier, cette nouvelle route a accéléré nos opérations et comme je l’ai dit, a apporté une contribution positive au trafic dans la ville de Kaloum.
AFRIMAG : Peut-on croire que le port de Conakry est en train de devenir un moyen d’intégration et un vecteur de développement commercial entre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ?
Mustafa Levent Adali : Vous avez tout à fait raison d’en arriver à cette conclusion. Car, si nous n’avions pas fait tous ces investissements et toutes ces améliorations opérationnelles, nous n’en serions pas arrivés à ces résultats. La dégradation du service offert par le port de Conakry avait atteint un niveau que les clients s’en étaient détournés, en plus des coûts de prestations et du temps d’attente qui augmentaient de façon considérable.
Conscients des améliorations apportées sur le corridor Conakry-Bamako en offrant des opportunités aux opérateurs économiques maliens telles que la mise à disposition d’un parking de poids lourds ; des entrepôts pour stocker le blé, le coton et autres marchandises ; la construction d’une auberge pour les transporteurs maliens, équipée de 70 lits et de toutes les autres commodités, les opportunités ne cessent de s’ouvrir.
AFRIMAG : Quelles sont les perspectives de la société Alport pour la Guinée ?
Notre objectif en Guinée ne se limite pas seulement à faire des affaires, nous sommes là, en tant que société turque, pour contribuer au développement de ce pays frère. Telle est la philosophie du Président du groupe Al Bayrak.
AFRIMAG : Quel genre de changements avez-vous constaté depuis l’arrivée au pouvoir du CNRD, à sa tête le Colonel Mamadi Doumbouya ?
Pardieu ! Il y a eu de très grands changements. Nous avons essayé depuis environ trois ans de terminer la construction de la Pénétrante routière et de la nouvelle porte d’entrée du Port, mais pour diverses raisons, cela avait pris du temps.
Mais grâce au soutien direct du Chef de l’Etat, le Colonel Mamadi Doumbouya, nous avons terminé ces travaux en peu de temps. Actuellement, nous pouvons accoster six navires en même temps. Notre projet est très vaste. La route et la pénétration n’en sont qu’une infime partie. Le cœur de ce projet permettra d’accoster six navires additionnels en même temps sur 1600 mètres de long sur la zone est du port. Nous tenons à remercier sincèrement le Président de la République, le Colonel Mamadi Doumbouya et le gouvernement guinéen mobilisé à ses côtés et promettons, inchallah, de faire du Port de Conakry le Port le plus performant d’Afrique.