Après une longue éclipse, la formation agricole et rurale (FAR) et le renforcement des capacités sont revenus à l’ordre du jour dans les débats sur le développement. De nombreuses organisations internationales (Banque mondiale, Agence française de développement, GIZ, FIDA, USAID, groupes industriels) mettent l’accent sur l’urgence d’une relance des dispositifs et financent des projets dans ce sens.
D’ici à l’année prochaine, 330 millions d’actifs africains accéderont au marché du travail, dont les deux tiers en zone rurale. Face à cet afflux, l’offre d’emplois reste limitée, notamment dans les campagnes. Or, en dehors du secteur agricole, il n’existe que peu d’opportunités alternatives à l’exception des activités commerciales ou de petit artisanat, le plus souvent informelles. Résultat : aujourd’hui, le développement du secteur agricole est de nouveau considéré comme la solution la plus efficace pour absorber durablement ces «cohortes de jeunes ruraux» arrivant sur le marché de l’emploi.
Il faut dire que les petits exploitants africains sont confrontés à des défis pour accroître la production. Pour les experts, la solution passe par le renforcement des capacités du secteur agricole.
Des formations en déphasage avec la réalité
Dans la plupart des pays africains, les formations agricoles mises en place après les indépendances pour accompagner les cadres du développement agricole sont en crise. Elles ont pâti, depuis les années 1980, des programmes d’ajustement structurel et s’avèrent souvent trop techniques et peu articulés avec les réalités du terrain.
La Formation agricole et rurale (FAR) se montre incapable de répondre à la demande de personnes formées, sur les plans qualitatif et quantitatif. L’économie rurale africaine a connu des changements très importants (explosion des technologies de l’information et de la communication, mondialisation des échanges, systèmes de transformation, de stockage et de commercialisation des produits agricoles, problématique de gestion des ressources naturelles… auxquels la formation agricole tarde à répondre). Plus globalement, la FAR ne s’est pas adaptée à la nouvelle réalité du terrain.
Au niveau continental, l’Union africaine a développé une Stratégie africaine pour l’éducation et la formation technique et professionnelle. Une volonté de rénovation de la FAR a été exprimée dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), qui a développé un Cadre stratégique de la formation agricole et le renforcement des compétences. Mais jusque-là, ce chantier peine à avancer.
Formation : des bailleurs de fonds et grands groupes industriels à la rescousse
Aujourd’hui, le renforcement des capacités est d’une actualité brûlante en Afrique avec des bailleurs de fonds et grands groupes industriels, qui s’y mettent en soutenant l’action des gouvernements.
C’est le cas du groupe panafricain OCP, qui en cent ans, s’est positionné comme un acteur incontournable du développement de l’agriculture et la promotion de la sécurité alimentaire. Son engagement pour «nourrir la planète» est renforcé par des initiatives allant dans le sens du renforcement des capacités agricoles et entrepreneuriales des agriculteurs africains (voir INTRTVIEW).
En effet, fort de ce constat qu’en Afrique, le secteur agricole implique majoritairement les familles et le monde rural (la petite agriculture représente le segment le moins outillé malgré son étendue), le Groupe OCP a lancé les programmes OCP School Lab et Agribooster qui ambitionnent de renforcer les capacités des petits agriculteurs. Lancé en 2017 au Nigéria, OCP School Lab a déjà accompagné au Nigéria plus de 400 000 agriculteurs qui ont bénéficié de services d’analyse des sols, de formation agronomique et de recommandations en utilisation d’engrais. Dans le second programme dédié aux agriculteurs, Agribooster a touché plus 250 000 fermiers tout en augmentant 46% des rendements du maïs et de 32% du riz.
Dans un autre registre, OCP a lancé au Nigeria des «Farmer House» pour mettre en place un guichet unique de proximité regroupant des services relatifs à la formation et à la vulgarisation des bonnes pratiques agricoles. De fait, 51 points de contact ont été déployés dans 18 États du Nigeria pour aboutir à ce jour à la formation de 29 250 petits agriculteurs. Cela leur a facilité l’accès aux intrants agricoles.
Un autre programme dénommé «Agripromoters» a été lancé pour compléter l’offre du guichet unique. Il s’agit de formateurs dotés d’une tablette et d’un tricycle leur permettant d’aller former les petits agriculteurs. D’ici la fin 2024, les deux programmes devront toucher 5 millions de petits agriculteurs et générer quelque 40 000 emplois.
La Banque mondiale s’implique !
Pour sa part, la Banque mondiale recherche des moyens appropriés de collaborer avec les gouvernements africains pour les rendre mieux à même de mettre en œuvre des programmes de développement sur tout le continent. Ainsi, elle a financé ces dernières années quatre projets agricoles comportant d’importantes composantes «renforcement des capacités.» Ces projets ont été exécutés au Kenya, au Ghana, en Guinée-Bissau et au Malawi (c’est-à-dire dans un groupe de pays suffisamment divers pour être largement représentatifs de l’expérience de l’Afrique).
Mais, selon la Banque mondiale, les quatre projets ont montré combien il est difficile de concevoir et d’exécuter des interventions visant à rendre les pouvoirs publics mieux à même de soutenir l’agriculture. Ils font ressortir clairement la nécessité d’un réexamen des modalités actuelles de l’aide extérieure, en s’appuyant sur une évaluation réaliste des efforts déployés actuellement. Les résultats globaux de ces projets laissent à penser que la Banque devra peut-être envisager différemment le “renforcement des capacités” dans le secteur agricole.
Coincidence ou pas, aujourd’hui la Banque mondiale est plus encline à accorder directement des lignes de financement à des acteurs ayant plus d’impact sur le renforcement des capacités que les gouvernements.
La Cedeao ambitionne de former 12 000 jeunes en agroécologie d’ici fin 2024
Mais pour James Craske, Directeur national de Yara East Africa pour le Kenya, «les pays africains pourraient obtenir de meilleurs rendements grâce à l’acquisition de meilleures connaissances et en fournissant des programmes de cultures nutritives aux agriculteurs, tout en préservant la qualité des sols et l’environnement.»
Partant, au niveau de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), on semble prendre le problème à bras le corps. Elle s’est fixée l’ambition de former 12 000 jeunes en agroécologie d’ici à la fin de l’année. Pour ce faire, elle a reçu 16,20 millions d’euros de la part de partenaires européens pour développer l’agroécologie dans ses Etats membres. Le financement, affecté à plusieurs niveaux, servira entre autres à constituer une ressource humaine en quantité et de qualité en la matière.
Pour la mise en œuvre de son projet, le regroupement sous-régional avait signé, en avril dernier, des accords de subvention avec 15 centres de formation pour renforcer les capacités en agroécologie dans les Etats membres. Les centres de formation, soit dans chaque pays membre, ont depuis été sélectionnés à la suite d’un processus de consultation et d’évaluation mené par l’organisation. Chacun a reçu une enveloppe d’environ 88 000 euros pour une durée moyenne de 18 mois afin de déployer son programme de formation. «L’objectif de chaque subvention est d’établir un cadre de collaboration entre la CEDEAO et le Centre bénéficiaire pour la mise en œuvre des activités du programme en Afrique de l’Ouest avec pour objectif général de développer les ressources humaines et un système respectueux de l’environnement», a mentionné la CEDEAO dans un communiqué.
Cette initiative s’inscrit dans le cadre du Programme Agroécologie de la CEDEAO. Elle vise à stimuler le développement de pratiques innovantes qui optimisent la mobilisation des processus écologiques dans le domaine de la production agro-sylvo-pastorale et halieutique. Ce programme, qui arrivera à son terme à la fin de cette année, bénéficie d’un financement total de 16,2 millions d’euros mis à disposition par l’Union européenne et l’Agence française de développement. En outre, le financement octroyé aux centres de formation sera également dirigé vers le renforcement des capacités de formation de ces derniers afin de les arrimer aux questions d’actualité dans le domaine de l’agroécologie. Ce qui permettra de soutenir et d’augmenter la productivité agricole et créer une société rurale résiliente.
En Afrique : 64% des jeunes agri-entrepreneurs sans soutien des gouvernements
64% des jeunes agri-entrepreneurs africains disent n’avoir reçu aucun soutien de la part de leur gouvernement, selon un rapport publié par l’Organisation panafricaine des agriculteurs (PAFO). Selon le rapport, qui se base sur une enquête réalisée auprès d’un échantillon de 108 jeunes agri-entrepreneurs membres des réseaux régionaux et nationaux de la PAFO, le principal soutien fourni par les gouvernements aux entrepreneurs du secteur agricole est le renforcement des capacités (47%). Par le biais de leurs ministères, agences et agents de vulgarisation, les gouvernements offrent des opportunités de renforcement des capacités aux jeunes agri-entrepreneurs sous forme de formations, d’opérations de vulgarisation et de services de conseil technique. Les autres types de soutien gouvernemental cités par les personnes sondées sont l’accès aux financements (44%), l’aide à l’accès aux marchés (16,7%) et la fourniture d’intrants agricoles (14,7%).
Le soutien le moins important fourni par les gouvernements aux jeunes agri-entrepreneurs est l’accès aux installations d’irrigation (5,9%) et l’accès à la technologie et aux innovations (8,8%).
Le rôle des associations agricoles
L’enquête menée auprès des agri-entrepreneurs âgés de moins de 35 ans, et qui opèrent tout au long de la chaîne de valeur agricole (production, conseil, transport, transformation, vente de produits agricoles transformés et non transformés, etc.), révèle également qu’environ 65 % d’entre eux adhèrent à des associations agricoles, tandis que 35 % n’en sont pas membres.
En ce qui concerne le type de soutien que les jeunes agri-entrepreneurs ont reçu de leurs associations, le principal soutien est le renforcement des capacités (73% des répondants). Viennent ensuite l’accès aux réseaux (56%), l’accès au marché (34%) et l’accès aux financements (22%).
Article publié pour la première fois sur Afrimag