Cela n’a pas trainé en Italie. Dès que les élections ont amené au pouvoir une nouvelle majorité menée par Mme Giorgia Meloni, l’avenir de la compagnie nationale ITA est à nouveau bouleversé. Son président Alfredo Altavilla a été démis de ses fonctions alors qu’il négociait l’entrée de nouveaux actionnaires privés dans la compagnie italienne. Il n’avait pas caché ses préférences pour le groupe MSC adossé à Lufthansa alors que le gouvernement penchait pour une entrée du groupe Air France/KLM appuyé par le fonds Certarès.
La raison ? le groupe germano/suisse voulait prendre la totalité de la compagnie alors qu’Air France/KLM ne souhaitait acquérir qu’une très forte minorité. Cela aurait laissé une grande porte au gouvernement italien pour influer sur la stratégie de son transporteur et accessoirement pour nommer quelques bons amis aux postes de commande. Aux dernières nouvelles le nouveau pouvoir envisage tout simplement de ne pas vendre sa compagnie. Dans le fond, pourquoi pas ? Attendons les nouveaux rebondissements.
Seulement on ne voit pas comment une société aussi exposée comme ITA peut survivre aux allers-retours incessants de la politique italienne. Elle n’est opérationnelle que depuis un an puisqu’elle a débuté ses opérations le 15 octobre 2021 et elle a déjà perdu son président et subi deux négociations importantes dont l’une et l’autre auraient conduit à des stratégies totalement différentes. Et voilà que maintenant on en propose une troisième. Comment dans ces conditions une compagnie peut se commercialiser en sachant que les contrats avec les grandes entreprises et les grands tour-opérateurs se font une fois par an. Sur quelle base négocier ? Et avec qui ? Il est clair que le nouveau gouvernement va lui aussi nommer d’autres responsables à des postes clefs.
Au fond, la situation italienne n’est que l’aboutissement d’une politique suivie par nombre d’états petits ou grands. En clair les états ne veulent pas se séparer de leur compagnie aérienne car c’est à la fois un formidable outil pour exporter l’image de leur pays, et puis, disons-le franchement, c’est aussi le moyen pratique de donner des postes confortables aux amis, que ces derniers soient compétents ou non. En échange ils sont prêts à tous les efforts pour soutenir leur transporteur lorsque celui-ci est en difficulté, à coups d’injections massives d’argent. La conséquence de ce mode de conduite se constate dans la gestion de la compagnie nationale. Se sachant protégée par son état et ce, quelle que soit la tendance politique de son gouvernement, elle ne fait pas les efforts nécessaires pour se réformer et réunir les conditions économiques qui seules permettent sa pérennité. D’ailleurs lorsque les dirigeants des compagnies veulent mener une stratégie uniquement liée aux seuls intérêts de leur société, ils se font systématiquement remplacer. Et c’est ainsi que les directions générales des compagnies fluctuent au gré des alternances politiques.
Autrement dit les gouvernants disent aux dirigeants de leurs transporteur national : « ne faites pas de vagues, acceptez certaines nominations que nous vous suggèrerons, ouvrez ou fermez une ligne si on vous le demande parce que cela conforte notre politique étrangère et, en échange, nous vous protègerons, même si vous avez des difficultés financières ou économiques ». Et les moyens des états ne sont pas minces. En dehors de l’aspect uniquement monétaire de leur appui, il y a l’octroi des droits de trafic qui peuvent être attribués ou non en fonction des intérêts de leur compagnie nationale. J’ajouterais que s’agissant des grands pays, il y a également le contrôle de l’accès aux aéroports par la limitation administrative du nombre de mouvements autorisés.
Les exemples sont multiples et ils ne sont pas limités au continent africain où, à la seule exception d’Ethiopian Airlines qui, bien qu’appartenant à 100 % à l’Etat a réussi à préserver farouchement son indépendance, les transporteurs sont dans la main des états. Ces derniers leur imposent une stratégie qui n’est pas toujours, hélas, conforme aux intérêts de la compagnie aérienne. En Europe, bien que la mainmise des gouvernements soit moins forte qu’en Afrique, le poids étatique se fait encore beaucoup sentir. Certes le groupe IAG s’en est progressivement affranchi et Lufthansa est en passe de faire de même. Ce n’est pas le cas dans les autres pays. Les pouvoirs publics français et néerlandais, par exemple, ont un œil attentif sur le groupe aérien et les nominations essentielles doivent recevoir leur aval. Alors dans le cas ou les positions politiques des gouvernements divergent, c’est la compagnie qui en fait les frais.
La situation dans le Golfe est, elle, sans ambigüité : les compagnies aériennes appartiennent aux états et sont clairement un des instruments essentiels de leur politique. Selon les cas cela peut très bien se passer, je pense à Emirates, ou beaucoup plus mal si on se réfère à la désastreuse stratégie de conquête imposée en son temps à Etihad.
Les médias longtemps sous la coupe étatique ont trouvé leur indépendance. Ce n’est pas encore le cas du transport aérien… et c’est bien dommage.