Homme d’affaires, Jean-Yves Ollivier consacre pratiquement tout son temps à la Fondation Brazzaville pour la paix et la préservation de l’environnement. Il revient dans cette interview sur les grandes missions de la fondation.
AFRIMAG : La Fondation Brazzaville intervient sur plusieurs domaines transversaux et dans des secteurs très différents pour contribuer ou apporter des solutions. Et pourtant, cette organisation reste plutôt discrète. Qui est-elle ? Quel est son champ d’action ? Et pourquoi la dénomination Brazzaville ?
Jean-Yves Ollivier : La Fondation Brazzaville est une organisation internationale, volontariste et engagée en faveur de la paix qui a été créée le 14 août 2014 avec son siège social installé à Londres. La Fondation agit sous le contrôle de la Charité Commission.
Sans être limitatif, on peut résumer les missions de la Fondation Brazzaville en trois champs d’action. D’abord, ce sont des missions de Prévention et résolution des conflits en faveur de la PAIX avec des réalisations concrètes telles que le Dialogue inter – libyen Dakar 1, la Mission africaine pour la Paix à Kiev puis à St-Petersbourg dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine etc. Ensuite, des missions de Protection de l’environnement dont les actions phares sont la forte collaboration de la Fondation Brazzaville pour la création du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo (l’Accord a été signé à Oyo en 2016), le soutien de «Elephant Protection Initiative» en faveur de la lutte contre le commerce de l’ivoire etc. Et enfin, une mission en santé publique par la Lutte contre les faux médicaments qui a donné «l’Initiative de Lomé» comme action emblématique.
Quant à sa dénomination, elle a une dimension qui est à la fois historique et symbolique. Historique parce que notre organisation a été fondée à l’issue de la libération de Nelson Mandela qui marqua définitivement la fin du régime inique de l’apartheid. Il se trouve que, j’ai joué modestement un rôle important et discret lors des négociations de l’Accord de Brazzaville (signé en décembre 1988) ayant permis la paix en Afrique australe et mis fin à l’apartheid. Pour ce qui est du symbole, il est simplement fait référence à la capitale du Congo où cet Accord a été signé. J’ai été honoré de la plus haute distinction de l’Afrique du Sud par le Président Mandela.
AFRIMAG : La Fondation Brazzaville lance une nouvelle initiative pour une vision commune et partagée de l’avenir des relations Afrique-Occident que vous appelez «Les Rencontres de Marrakech.» De quoi s’agit-il et quel est son objectif?
Jean-Yves Ollivier : La Fondation Brazzaville, ses amis et ses partenaires ont conçu et lancé cette nouvelle initiative appelée «Les Rencontres de Marrakech.» La première édition a eu lieu du 4 au 6 janvier 2024. En termes pratiques, il s’agit d’un lieu de réflexion et d’émulation rassemblant un certain nombre de personnalités africaines et occidentales. Son objectif principal est de porter une vision commune et partagée pour l’avenir des relations Afrique-Occident, fondée sur des principes d’équité, de respect mutuel et de coopération inclusive.
AFRIMAG : Passons à un autre registre. Le taux de natalité global en Afrique fait débat en Europe. L’ancien Président français, Nicolas Sarkozy, avait fait de ce sujet un thème central dans ses interventions sur le changement climatique. L’actuel, Emmanuel Macron de lui emboîter le pas, omettant cependant, tous les deux, de mentionner, la mortalité infantile et/ou la quasi-absence de systèmes de retraite en Afrique. C’est dans ce même contexte que le Président Macron appelle à un « réarmement démographique » de la France et par extension de l’Europe. N’y voyez-vous pas un paradoxe ou une extension du fameux « deux poids deux mesures » ?
Jean-Yves Ollivier : À la Fondation Brazzaville, nous considérons que notre champ d’action n’a pas vocation à traiter des sujets qui sont intrinsèquement liés aux valeurs et aux fondements mêmes des sociétés d’une manière générale et en Afrique en particulier. Dans une démarche constructive, nous préférons travailler sur ce qui rapproche les êtres humains, à savoir des principes d’équité, de respect mutuel et de coopération inclusive.
Au demeurant, si on regarde objectivement les faits, l’Afrique est loin d’être un continent surpeuplé en termes de densité de la population.
AFRIMAG : L’Afrique est sous-peuplé nonobstant les 2,5 milliards d’habitants projetées pour les décennies à venir. Aussi très peu des 54 États africains, atteignent une population de 30 millions d’habitants. Or, selon les démographes et les développementistes, il existe une corrélation positive entre développement tout court et population optimale d’un Etat, qui se situe entre 30 et 40 millions d’habitants.
Comment appréhendez – vous cette question lancinante ?
Jean-Yves Ollivier : Si cette question est lancinante comme vous le dites, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là des choix de société qui ne relèvent absolument pas des prérogatives que la Fondation Brazzaville se fixe. Il revient à chaque État de choisir sa politique en la matière.
AFRIMAG : concernant le conflit russo-ukrainien, une mission africaine de paix a eu lieu sous la houlette de la Fondation Brazzaville. Quelles leçons en avez-vous tirées de cette médiation ?
Jean-Yves Ollivier : De cette mission de sept chefs d’Etat, géographiquement représentatifs, nous retenons clairement notre volonté et la ferme intention de l’Afrique de jouer un rôle constructif dans la conduite des affaires du monde. L’objectif affiché était d’initier une prise de contact entre les deux parties au conflit, la Russie et l’Ukraine, les rencontrer successivement et les entendre en vue d’offrir la disponibilité de l’Afrique qui est prête à jouer un rôle de facilitateur au moment où il faudra mettre les deux États autour de la table de négociation.
AFRIMAG : Justement ce genre d’initiatives sont essentielles si l’Afrique veut jouer sa partition au niveau international. N’est-ce pas ?
Jean-Yves Ollivier : Oui bien sûr, les États africains sont très sensibles à la notion de souveraineté mais aussi au principe de l’inviolabilité de cette souveraineté ; autrement dit, au respect des frontières conférées justement par cette souveraineté. C’est pourquoi l’Afrique entend jouer pleinement sa partition au niveau international d’autant plus qu’elle est peu représentée au sein des grandes institutions de Bretton Woods (ndlr : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement ou BIRD, aujourd’hui l’une des composantes de la Banque mondiale ; le Fonds monétaire international ou FMI) d’une manière générale.
AFRIMAG : Pour peser au niveau international, l’Afrique doit siéger au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Selon vous quel (s) pays est le mieux outillé pour y représenter le continent ?
Jean-Yves Ollivier : Aujourd’hui, il faut noter que les débats devant donner lieu à des décisions au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies concernent l’Afrique en grande majorite.
Force est de constater que l’Afrique n’a pas de membre permanent au sein de cette instance onusienne en dépit d’une forte revendication portée, à cet effet, par l’Afrique depuis de longues dates. Il est à souligner que la récente admission de l’Union africaine en tant que membre du G20 est un pas positif dans cette direction que nous saluons.
AFRIMAG : La Fondation Brazzaville est partenaire technique de la Commission Climat du Bassin du Congo depuis 2016. Quel bilan tirer de ce partenariat ?
Jean-Yves Ollivier : En tant que partenaire technique, la Fondation Brazzaville a mené des missions de Protection de l’environnement qui ont abouti à des actions phares telles que la création du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo (Accord signé à Oyo en 2016 par 17 pays), le soutien de «Elephant Protection Initiative» en faveur de la lutte contre le commerce de l’ivoire. Aujourd’hui, la Fondation Brazzaville suit ces initiatives et leur apporte son soutien.
AFRIMAG : La Fondation Brazzaville était conviée au 3e Sommet mondial du droit anti-contrefaçon à Londres, pour présenter ses travaux sur la lutte contre les produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés (PMQIF). Pourquoi s’engager autant dans la lutte contre ce fléau ?
Jean-Yves Ollivier : La lutte contre les produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés est au cœur de nos préoccupations pour des raisons simples et évidentes. Premièrement, le trafic des PMQIF, qui représente un volume financier supérieur à l’ensemble des trafics des drogues dans le monde, cause directement ou indirectement la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes dont plus de trois cent mille enfants en Afrique par an. C’est donc véritablement un enjeu de santé publique, notamment dans le contexte actuel en Afrique. Deuxièmement, ce trafic génère d’innombrables cas de corruption dans le monde qui peuvent aller jusqu’à déstabiliser certains États. Et enfin, il est avéré aujourd’hui que ce trafic représente une véritable source de financement du terrorisme en Afrique ; donc, il finance certaines guerres asymétriques.
AFRIMAG : Que faut-il retenir des travaux de la Fondation Brazzaville sur la lutte contre les PMQIF ?
Jean-Yves Ollivier : Pour nous à la Fondation Brazzaville, la lutte contre les PMQIF est une véritable cause qui a permis de mettre en place l’Initiative de Lomé, puis la mise en place d’un projet pilote comme actions emblématiques mobilisant plusieurs acteurs concernés sur le terrain.
Bio-express
Jean-Yves Ollivier a été, en coulisse, la cheville ouvrière du protocole de Brazzaville, grâce à ses réseaux de contacts dans le monde entier. Il est le seul étranger à avoir reçu les plus hautes distinctions d’Afrique du Sud. D’abord en 1987 pour avoir organisé le premier et le plus important échange régional de prisonniers, puis en 1995 des mains de Nelson Mandela pour sa contribution à la paix. Jean-Yves Ollivier a fait carrière comme négociant de matières premières en Chine, au Moyen-Orient et en Afrique et s’est engagé à titre privé dans la médiation internationale, mettant ses contacts professionnels au service de la paix.
Pour rappel, Jean-Yves Ollivier a co-écrit nombre de pages passionnantes de l’histoire de la fin du XXe siècle.
Distinctions
- Grand Officier de l’ordre de Bonne-Espérance par le Président sud-africain Nelson Mandela (1995)
- Officier de la Légion d’honneur et Chevalier de l’ordre national du Mérite français (1994)
- Grand Officier de l’ordre du Mérite de la République du Congo (2014)
- Commandeur de l’Ordre du Mono au Togo (2011)
- Commandeur de l’Ordre National du Lion du Sénégal (2020)
- Officier de l’ordre de l’Étoile d’Anjouan aux Comores (2014)
- Officier de l’Ordre National du Niger (2021)
Engagements
Depuis 2014
- Médiation d’otages en République centrafricaine
2016
- Présentation du projet du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo lors de la séance plénière du Sommet africain de l’action, organisé à la COP22, à Marrakech, au Royaume du Maroc
2017
- Intervention pour la résolution de la crise politique qui a suivi le départ du Président Laurent-Désiré Kabila en République démocratique du Congo
- Participation à la signature du protocole d’accord sur la création du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, à Oyo, en République du Congo
2018
- Organisation du dialogue intra-libyen à Dakar, au Sénégal
- Nomination en qualité d’ambassadeur de bonne volonté du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo
2020
- Organisation d’une série de rencontres au plus haut niveau diplomatique pour prévenir d’éventuels conflits en Côte d’Ivoire
- Organisation du Sommet de Lomé et de l’Initiative de Lomé contre les médicaments qui tuent
2021
- Intervention à la table ronde à haut niveau «De la COP22 à la COP26 : Le Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, un enjeu africain et planétaire.»
- Participation à la COP26 à Glasgow, en Écosse
2022
- Participation à la COP27 à Charm el-Cheikh, en Égypte
2023
Article publié pour la première fois sur Afrimag