Les députés du Pdci-Rda ont soulevé d’importantes préoccupations lors de la présentation du projet de loi portant politique nationale
d’endettement et de gestion de la dette publique ; malheureusement non prises en compte par la Commission des Affaires Économiques et Financières. D’où leur refus de voter ce projet en Commission. Voici les remarques de ce Groupe parlementaire.
DÉCLARATION DU GROUPE PARLEMENTAIRE DU PDCI-RDA SUR LE PROJET DE LOI PORTANT POLITIQUE NATIONALE D’ENDETTEMENT ET DE GESTION DE LA DETTE PUBLIQUE
Monsieur le Président,
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA a examiné avec une attention particulière le projet de loi portant politique nationale d’endettement et de gestion de la dette publique.
De l’exposé des motifs, il ressort qu’en vue d’un meilleur encadrement de sa dette publique, l’Etat de Côte d’Ivoire a adopté un certain nombre de mesures juridiques, institutionnelles et organisationnelles. Afin d’assurer la cohérence et la clarté desdites mesures, l’Etat a décidé de les regrouper en un texte unique. Le recours à un texte unique se justifie également par la nécessité de répondre aux besoins de financement des programmes prioritaires et au caractère évolutif des mécanismes d’emprunt mis en œuvre notamment dans le cadre des Eurobonds et des financements ESG (Environnement, Société, Gouvernance).
Ainsi le présent projet de loi a-t-il pour ambition de permettre à l’Etat de :
- Satisfaire ses besoins de financement et ses obligations de paiement à moindre coût en tenant compte des limites imposées par les seuils d’endettement fixés dans les documents de stratégie de la dette ;
- Limiter les risques liés à l’instabilité des marchés et à la volatilité des taux de change ;
- Contribuer à la viabilité de la dette publique et à la soutenabilité des finances publiques ;
- Faire de la politique d’endettement un véritable outil de développement.
Au terme de son examen, le Groupe parlementaire PDCI-RDA salue la présentation de ce projet de loi qui peut être considéré comme une réponse aux inquiétudes exprimées et aux recommandations faites par le Groupe parlementaire PDCI-RDA lors de l’examen des projets de loi de finances portant budget de l’Etat des années antérieures et surtout celui de l’année 2024.
En effet, lors de l’examen du projet de loi portant budget de l’Etat pour l’année 2024, le Groupe parlementaire PDCI-RDA s’était préoccupé non seulement de l’important volume de la dette et des emprunts, mais également de l’affectation des ressources d’emprunt et du poids du service de la dette relativement aux ressources propres.
Cette situation a conduit le Gouvernement dans le projet de loi de finances 2024 à relever la concentration des échéances qui rend le portefeuille de la dette publique vulnérable, le Gouvernement propose même la nécessité d’une opération de reprofilage de la dette. Le Groupe parlementaire PDCI-RDA et les Ivoiriens ont donc des raisons sérieuses de s’inquiéter de la dette publique.
Il vous souviendra que la dette publique de notre pays, à la faveur de l’atteinte du point d’achèvement des Pays Pauvres Très Endettés, est passée, de 8 377,1 milliards de FCFA en 2011 à 4 679,6 milliards de FCFA en 2012. Mais depuis cette date, elle connait une augmentation qui s’est particulièrement accentuée à partir de l’année 2019, en passant, pour ce qui est de la dette de l’administration centrale, de 13 300,2 milliards de FCFA à 16 802,3 milliards de FCFA en 2020, puis à 20 209,8 milliards de FCFA en 2021 et à 24 774,4 milliards de FCFA en 2022, soit 11 474,2 milliards de FCFA en trois ans, ce qui est énorme.
Quant à l’encours de la dette publique et publiquement garantie, il est estimé à 25 350,1 milliards de franc CFA (58,0% du PIB) à fin 2022.
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA note une différence de près de 600 milliards de FCFA entre la dette publique et publiquement garantie et la dette de l’administration centrale. Quels en sont les bénéficiaires et quel est l’encours par bénéficiaire ?
S’il est vrai qu’au terme du Pacte de convergence de l’UEMOA, le ratio de l’encours de la dette intérieure et extérieure rapporté au PIB nominal ne doit pas excéder 70%, il n’en demeure pas moins dans l’absolu que cette dette représentait plus de deux fois le Budget de l’Etat en 2022 qui s’est établi à 11 191,6 Milliards FCFA.
Pour ce qui concerne le remboursement de la dette publique, il est projeté pour cette année 2024 à 4 796,3 milliards de FCFA, ce qui représente 75,87% des recettes domestiques (recettes fiscales et recettes non-fiscales) estimées à 6 321,1 milliards de FCFA.
Quant aux emprunts envisagés pour 2024, ils sont projetés dans leur ensemble (emprunts sur le marché financier, emprunts projets et emprunts programmes) à 5 813,3 milliards de FCFA, soit 42% du Budget général évalué à 13 320,7 milliards de FCFA.
De plus, sur la destination des emprunts, on observe que sur les 5 813,3 milliards de FCFA de ressources d’emprunts, 1 298,8 milliards de FCFA sont affectés aux investissements, 3 475,4 milliards au remboursement du capital de la dette et 1 039,1 milliards de FCFA au fonctionnement de l’Etat, soit pratiquement 18% des ressources d’emprunts, ce qui n’est pas conforme aux exigences de bonne gouvernance. Le Groupe parlementaire PDCI-RDA note également que 205 milliards de FCFA de dons programmes sont affectés au fonctionnement.
Si le risque de surendettement global de la Côte d’Ivoire est jugé modéré par les Institutions financières internationales et les agences de notations, il n’en demeure pas moins que la Côte d’Ivoire, selon ces mêmes organismes, reste un pays vulnérable aux chocs externes, notamment sur les exportations en raison du caractère extraverti de son économie.
Au demeurant, les risques budgétaires étaient d’autant plus préoccupants que deux missions du Fonds Monétaire International (FMI) effectuées dans notre pays en 2017 ont suscité la gestion et le suivi de ces risques.
En effet, le budget de l’Etat pourrait être confronté à des risques liés à la baisse du PIB et des recettes du cacao et du pétrole ainsi qu’à des risques liés à la dette.
C’est ici le lieu de souligner que les indicateurs de ces risques retenus par la Côte d’Ivoire sont ceux de la dette extérieure. Il s’agit du ratio dette extérieure sur PIB, dette extérieure sur exportations, service de la dette sur exportations et service de la dette sur recettes budgétaires hors dons.
Les simulations faites par le Gouvernement laissent apparaître pour ces indicateurs, que les seuils sont dépassés en 2024 :
- au niveau du ratio service de la dette sur exportations : 22,27% en 2024 alors que le seuil est de 15% ;
- au niveau du ratio service de la dette sur recettes budgétaires hors dons : 32,51% en 2024 alors que le seuil est de 18% ;
En ce qui concerne le ratio dette extérieure sur exportations qui est de 139,82%, les simulations montrent que le seuil de 180% ne sera pas respecté en 2025, il est projeté en effet à 194,64%.
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA note qu’un des indicateurs pertinents n’a pas été pris en compte. Il s’agit du ratio stock de la dette sur recettes budgétaires qui, pourtant, avait prévalu pour l’éligibilité de la Côte d’Ivoire comme pays pauvre très endetté. Ce ratio pour la dette extérieure s’est situé en 2020 au-delà de 280% et en 2022 à 323%
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA voudrait savoir pourquoi les indicateurs de la viabilité ne prennent pas en compte la dette intérieure surtout que celle-ci a atteint 40% de l’encours global de la dette. Il faut relever que cette dette ne représentait que 25% en 2011.
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA recommande sa prise en compte.
Pour le Groupe parlementaire PDCI-RDA, avec la prise en compte de la dette globale, au regard de ses ratios dette globale sur exportations ou dette globale sur recettes budgétaires, la Côte d’Ivoire se trouve en situation de pays pauvre très endetté et est sous ajustement structurel.
En effet, ces ratios sont évalués respectivement à :
- 134% et 313% en 2017,
- 164% et 371% en 2019
- 225% et 463% en 2022.
Il est bon de rappeler que les pays avaient été classés pays pauvres très endettés à partir du moment où le ratio dette sur exportations était supérieur à 150% ou le ratio dette sur recettes budgétaires excédait 250%.
Dès lors, le Groupe parlementaire PDCI-RDA attendait de la part du Gouvernement une politique d’endettement orientée vers la réalisation de programmes et de projets socio-économiques viables, c’est-à-dire un endettement public orienté vers la croissance économique, la création d’emplois, la valorisation des ressources nationales et la promotion d’hommes d’affaires nationaux. Cette politique devait également assurer la soutenabilité des finances publiques et la viabilité de la dette publique. Or le présent projet de loi reste muet sur ces aspects.
C’est pourquoi le Groupe parlementaire PDCI-RDA dans le cadre de la présente loi propose ce qui suit :
- Fixer le plafond des ressources d’emprunts à 50% des recettes budgétaires hors dons.
- Fixer un seuil asymptotique du ratio charges financières sur recettes fiscales hors dons à 15%.
- Affecter 10% des ressources d’emprunt à un fonds de développement de champions nationaux.
- Affecter l’intégralité des ressources d’emprunt à l’investissement et au remboursement du capital de la dette.
Enfin, le Groupe parlementaire PDCI-RDA note que l’un des objectifs de ce projet de loi est de permettre à l’Etat de faire de la politique d’endettement un véritable outil de développement. Mais il n’en donne ni la moindre explication dans l’exposé des motifs ni la moindre indication dans le dispositif légal.
En attendant les réponses à ses préoccupations, le Groupe parlementaire PDCI-RDA réserve sa position quant à la prise en considération de l’exposé des motifs du présent projet de loi. Il invite par conséquent les membres de la Commission des Affaires Economiques et Financières à le suivre dans ses conclusions.
Fait à Abidjan le 26 mars 2024
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA