La France a autorisé entre janvier et septembre 2022 l’exportation de près de 7.500 tonnes de pesticides interdits sur le territoire français, selon une enquête de deux ONG publiée mercredi, qui pointe de nombreuses « failles » dans les lois censées interdire la pratique.

AFP

Des failles dans la législation ?

« La France continue d’exporter massivement des pesticides dangereux dont elle ne veut plus dans ses champs », selon un rapport de l’ONG suisse Public Eye et de Unearthed, une entité de Greenpeace, révélé par Le Monde et que l’AFP a consulté.

L’une des raisons pointées par le rapport: l’interdiction de l’exportation prévue par la loi Egalim de « produits phytosanitaires » contenant des substances interdites ne s’applique pas aux substances actives elles-mêmes, expliquent les ONG.

Pendant les neuf premiers mois de l’année, « les autorités françaises ont approuvé 155 demandes d’exportation pour des pesticides interdits en France et dans toute l’Union européenne », représentant « 7.475 tonnes de substances et produits phytosanitaires interdits », et dont le Brésil est la première destination.

La picoxystrobine, interdite en 2017, représente « près de 40% de ce volume », affirment les ONG, qui se basent sur des données « obtenues en vertu du droit d’accès à l’information ».

De nombreuses exportations d’insecticides « tueurs d’abeille » ont également été autorisées, affirme le rapport, et ce malgré l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2022, de la partie concernant les pesticides dans la loi Alimentation (Egalim).

La loi et le décret d’application « contiennent des failles importantes, qui permettent aux industriels de continuer à exporter depuis la France de grandes quantités de pesticides interdits, en toute légalité », selon Public Eye et Unearthed.

Outre la non interdiction d’exporter des substances actives toxiques, les produits contenant des substances « dont l’autorisation sur le sol européen a expiré, et qui n’ont pas fait l’objet d’une décision d’interdiction formelle des autorités européennes », peuvent toujours être exportés, expliquent les ONG.

La réglementation prévoit que l’exportation ne sera interdite « qu’à partir d’une date fixée par arrêté conjoint des ministres de l’agriculture et de l’environnement » mais « aucun arrêté de ce type n’a encore été pris à ce jour », selon le rapport.

Les nouvelles règles ont toutefois fait baisser « considérablement » les exportations de pesticides interdits depuis la France, ajoutent les ONG, comparé aux 28.479 tonnes pour l’année 2021.

Quelle quantité de pesticides l’UE exporte-t-elle ? Et où vont ces produits ?

D’après l’Atlas des pesticides 2022, un rapport annuel réalisé par la fondation politique allemande écologiste Heinrich Böll Stiftung, l’ONG les Amis de la Terre et le Pesticide Action Network (PAN), l’Europe est le plus grand exportateur mondial de pesticides. En 2018, le continent aurait exporté pour une valeur de 5,8 millions d’euros de produits phytosanitaires.

Une enquête de l’ONG suisse Public Eye montre que rien  qu’en 2018, les pays membres auraient approuvé l’exportation de 81 615 tonnes de pesticides contenant des substances bannies dans l’UE.

« Le Brésil, l’Ukraine, le Maroc, le Mexique et l’Afrique du Sud figurent parmi les dix principaux importateurs de pesticides interdits « Made in Europe »« , rapporte l’association. 

L’Atlas 2022 des pesticides rappelle par ailleurs que 385 millions de personnes tombent malades chaque année à cause des pesticides. 

Quels pesticides sont concernés ?

En tout 41 types de pesticides interdits dans l’UE seraient exportés dans d’autres pays. En voici quelques exemples : 

  • Le Paraquat, un herbicide lié au développement de la maladie de Parkinson (ANSES), interdit depuis 2007 sur décision du Tribunal des Communautés européennes.
  • Le dichloropropène, pesticide « sauveteur de carottes » interdit depuis 2009 par l’UE car jugé « peut-être cancérigène pour l’Homme » par l’INSERM.
  • L’Atrazine , un herbicide banni pour sa « toxicité » en cas d’inhalation ou d’ingestion, interdit dans l’UE depuis 2003.
  • Plusieurs néonicotinoïdes, insecticides reconnus pour nuire aux populations d’abeilles

Qui interdit déjà l’export de pesticides ?

La France interdit la production, le stockage et la circulation de ceux qui contiennent des substances actives interdites dans l’UE, dans le cadre de sa loi sur l’alimentation (EGalim, votée en 2018) entrée en vigueur en janvier 2022.

« Les États-membres comme la France qui bannissent déjà ces exports devraient faire pression pour que l’UE mette en place cette mesure » estime Nina Holland de l’ONG Corporate Europe Observatory.

La Belgique et l’Allemagne travaillent sur des textes similaires. 

Les engagements de l’Union européenne en matière de pesticides

Dans le cadre de son plan « De la ferme à l’assiette« , l’Union européenne s’est engagée à réduire de 50% l’utilisation des pesticides les plus dangereux d’ici à 2030. Elle a également proposé une interdiction des pesticides dans les espaces sensibles comme les parcs publics, les stades de sport et les espaces protégés Natura 2000.

En octobre 2022, une Initiative Citoyenne Européenne (ICE, un type de pétition prévu par les institutions européennes) a recueilli un million de signatures, soit le pallier minimum pour pouvoir la présenter devant la Commission européenne. Intitulée « Save bees and farmers », elle est plus ambitieuse et envisage une réduction de 80% de l’usage des pesticides de synthèse sur le territoire européen. 

Si les ICE n’ont pas de valeur contraignante, la présentation du projet devant la Commission prévue pour dans six mois devrait permettre de redonner de la visibilité à la question des pesticides.