Je suis frappé par la volonté des compagnies aériennes de devenir plus grosses, en clair obtenir une taille telle qu’elles auraient leur survie assurée. Dans le cas où elles n’y parviendraient pas, elles cherchent à s’adosser à un autre transporteur. Le raisonnement communément tenu est que les marchés étant devenus mondiaux, si un transporteur ne peut pas proposer à ses clients potentiels une offre suffisante, ils iront alors vers leur concurrent. Bref, plus on est gros et plus on est beau. Est-ce si sûr ?
Les plus grosses compagnies aériennes sont sans conteste les 3 majors américaines : American Airlines, Delta Air Lines et United Airlines. Ces énormes groupes ont été construits par rachats et fusions successifs. Et les résultats sont là. Ils sont les premiers à ressortir de la période noire traversée pour cause Covid. Ils vont probablement afficher de très bons résultats cette année. Voilà qui plaide pour la valeur des rapprochements entre les transporteurs. Seulement c’est oublier que les 3 groupes cités sont tous passés par la phase du Chapter 11, l’équivalent plus souple du dépôt de bilan européen. Ce système leur a permis de se restructurer massivement. En fait tous les grands opérateurs américains sont passés par cette procédure à la notable exception d’Alaska Airlines, notoirement plus petit que ses concurrents et Southwest Airlines qui reste le modèle des low costs.
Le marché sud-américain ne fait pas exception à la règle. Les deux plus gros groupes : Latam et Avianca ont dû se placer sous la protection du Chapter11 américain. Quant à Varig, le transporteur drapeau brésilien, il est tout simplement passé à la trappe.
En Europe la situation est un peu identique. British Airways ne s’est sortie de ses difficultés qu’en diminuant ses opérations de 30% avant de retrouver une excellente santé et de créer le groupe IAG qui fait tout de même face à d’importants sujets de préoccupation, ne serait-ce que par la conjonction du Covid et du Brexit, excusez du peu. Air France/KLM n’arrive pas à dégager un résultat convenable depuis des années. En fait une fois passés les effets bénéfiques opérationnels du rapprochement entre les compagnies française et hollandaise, les difficultés se sont accumulées et sans l’appui considérable de leurs gouvernements respectifs, le groupe n’aurait pas survécu.
A l’opposé ces opérateurs de taille beaucoup plus modestes, tirent parfaitement leur épingle du jeu. Le meilleur exemple vient de Singapore Airlines. Cette compagnie a été fondée en 1937 sous le nom de Malayan Airways, au moment où Singapour était encore sous domination britannique. Après la guerre et l’éphémère fédération entre la Malaysie et Singapour, l’île état a pris son indépendance en 1972 et la compagnie a alors pris le nom de Singapore Airlines. Elle est basée dans un pays qui ne dispose pas d’un marché susceptible de lui assurer une économie suffisante. Elle a donc été obligée de trouver une clientèle à l’extérieur de son territoire d’origine. Pour ce faire, elle a misé sur la qualité plutôt que le volume. Elle est devenue une référence quant aux soins portés à ses clients et elle a obtenu des installations aéroportuaires à la hauteur de ses ambitions. Cela ressemble énormément à la situation d’Emirates et de Dubaï.
Et les résultats sont là. Depuis 2000, la compagnie n’a connu que trois exercices en perte opérationnelle : 39 millions de dollars Singapour en 2009/2010 soit 26 millions d’euros, 212 millions de dollars Singapour en 2019/2020 et bien entendu 4.270 millions en 2020/2021 soit 2.8 milliards d’euros. Il faudra bien oublier un jour ces deux années catastrophiques pour analyser les fondamentaux du transport aérien. Reste que le transporteur singapourien dégage des résultats confortables, de l’ordre de 350 millions d’euros en moyenne depuis plus de 20 ans, le tout avec une taille largement inférieure à celle des grands groupes : un chiffre d’affaires de l’ordre de 11 milliards d’euros en année pleine à comparer aux 25 milliards d’euros du groupe Air France/KLM.
Ce n’est pas le seul exemple. Plus près de nous Air Caraïbes avec une taille très modeste par rapport aux autres compagnies internationales, tire parfaitement son épingle du jeu alors que Corsair est à la peine avec une taille à peu près identique.
Alors, on se demande pourquoi ITA, la nouvelle compagnie « nationale » italienne cherche désespérément à se rapprocher d’un autre transporteur. Elle risque d’y perdre sa personnalité et sa culture et pourtant on sait combien ces valeurs sont importantes pour les italiens. Il n’est pas nécessaire d’être gros pour être distribué et commercialisé mondialement. Les possibilités sont multiples y compris d’accords commerciaux et opérationnels avec des partenaires choisis. A rechercher désespérément un actionnaire, ITA risque tout bêtement de rater son entrée sur les marchés.
Les petits opérateurs ont au moins les mêmes chances de prospérité que les gros. Voilà qui est tout de même réconfortant.