C’est un constat d’échec cuisant. Alors que les études de marché conduites en fin des années 1990 montraient un besoin de 2046 A380 sur 20 ans, seuls 251 ont été livrés. Comment expliquer ce qu’il faut bien appeler un désastre financier et une formidable déception alors que tous les passagers n’ont cessé de vanter les qualités de l’appareil ?

Il faut dire que les prévisions ont dû être revues largement à la baisse très tôt. Le nombre d’appareils estimé descendu de plus de 2000 à 700, pour terminer à 250 pendant que l’on passait d’un coût de développement de 8 milliards d’euros à 18 milliards.

Jean-Louis Baroux, Président du World Connect by APG

Jean-Louis Baroux, Président du World Connect by APG

Et pourtant le développement prévisible du transport aérien qui, rappelons-le a bondi de 2 milliards à plus de 4 milliards de passagers entre 2000 et 2020 poussait inéluctablement à la mise en service d’une gamme d’appareils très gros porteurs. Certes Boeing avec les derniers développements du mythique B 747 couvrait les capacités jusqu’à près de 600 sièges, mais le constructeur américain avait changé son fusil d’épaule et s’était lancé avec grand succès sur le très gros bimoteur long courrier capable de transporter 400 passagers : le B 777. Alors il restait un créneau à couvrir : le tout haut de gamme capable d’emporter deux fois plus de clients.

Les spécifications du A 380 sont tout simplement remarquables : un rayon d’action de 15.400 km, une vitesse de 950 km/h à 1012 km/h, une capacité potentielle de 850 passagers le tout avec une consommation de 3 litres aux 100 km par passager. Mis sur le marché le 15 octobre 2007 avec la première livraison à Singapore Airlines, sa production a été arrêtée 2021 soit seulement 14 ans plus tard alors que les durées de vies des modèles à succès comme les B 737 ou les A 320 dépassent allègrement les 40 ans. En fait les compagnies aériennes ne voulaient plus de cet avion alors que leurs clients le plébiscitaient.

Je note cependant que Sir Tim Clark l’emblématique Président d’Emirates a fait, avec une très grande insistance, plusieurs appels du pied au constructeur européen pour qu’il développe une nouvelle version du A 380. Je rappelle que le Boeing 747 dont 1500 exemplaires ont été écoulés a fait l’objet de pas moins de 8 versions différentes, chacune d’entre elles amenant de sérieuses améliorations par rapport à la précédente. Emirates était disposé à doubler sa commande de 120 appareils si Airbus lui fournissait une version améliorée. Cela ne s’est pas fait et c’est bien dommage.

Et là-dessus est arrivé le Covid. Les premiers appareils à être mis au sol ont été les A 380, largement trop gros pour une demande de transport alors totalement effondrée. Et personne n’aurait alors parié qu’un jour ils revoleraient. Et puis tout à une fin, même les plus grands malheurs et le Covid a fini par être maîtrisé, avec d’ailleurs une rapidité surprenante. La reprise du transport aérien a alors été fulgurante, bien supérieure aux prévisions les plus optimistes. A tel point que les grands aéroports ont été débordés à l’été 2022. C’est alors que les compagnies ont petit à petit décidé de remettre en service les avions gros porteurs dont ils avaient juré la perte… à la grande exception, faut-il encore le rappeler d’Emirates. Sur les 14 opérateurs du A 380, 10 les ont remis en service au moins partiellement. 139 A 380 sont en vol cette année. Et ils se remplissent très bien. On se demande alors pourquoi les 4 derniers opérateurs : Air France au premier rang, mais aussi Thai Airways, Malaysian Airlines et China Southern ne les remettent pas en service.

Cet appareil a encore largement 10 années de bons et loyaux services à fournir avant de devenir bon pour la casse. C’est bien assez pour développer une nouvelle version, comme par exemple Airbus l’a parfaitement réussie avec son A 350 destiné à complémenter la gamme des A 330 en biréacteurs longs courriers. Je ne suis pas spécialiste des questions opérationnelles, mais je remarque qu’il est possible de bien gagner son argent avec cet appareil dès lors que l’on arrive à remplir les classes supérieures : Business et Première. Or c’est justement la tendance du transport aérien actuel. Les prix ont très fortement augmenté et c’est excellent pour l’économie du système à tel point que les grands opérateurs songent tous à améliorer leur prestation à l’inverse de ce qu’ils ont fait pendant des années au cours desquelles ils n’avaient de cesse que de faire baisser leurs coûts… au détriment de ce qu’attendaient leurs clients.

Le temps est peut-être venu de remettre les planches à dessin en service pour développer une nouvelle version totalement repensée du A 380, car si la demande continue à croître, comme cela est prévisible en Asie et en Amérique Latine, voire même en Afrique, il faudra bien optimiser l’espace aérien et les installations aéroportuaires.