Au nord de la Mauritanie, la désertification du Sahara fait place à des centaines de petites îles, à des eaux côtières peu profondes et à une biodiversité marine et aviaire d’une extrême diversité.
S’étendant sur 12075 km2 au bord de l’océan Atlantique, le Parc national du Banc d’Arguin (PNBA) est un lieu d’hivernage majeur pour plus de 3 millions d’oiseaux qui rejoignent chaque année les vasières de la région afin de s’y rencontrer et de s’y reproduire. Pélicans, cormorans, hérons ou encore spatules peuvent être observés en abondance au sein de ce site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, au même titre que les phoques, les dauphins et les baleines.
L’exploitation artisanale de l’or met en péril l’équilibre fragile de la nature du parc
Avec une population traditionnellement peu nombreuse dans la région, les zones intertidales abritent certains des herbiers marins les plus intacts de la planète, propices à l’existence d’un écosystème sain et dynamique.
En outre, la région contribue à faire de la Mauritanie un important réservoir de carbone grâce à la photosynthèse produite par ses prairies sous-marines et par ses animaux à carapace calcaire.
Cependant, les scientifiques affirment qu’une augmentation de l’activité humaine liée à l’exploitation artisanale de l’or met en péril l’équilibre fragile de la nature du parc.
Ces dernières années, des milliers de personnes ont afflué dans la ville de Chami, située en bordure du parc national, en vue de tenter leur chance dans l’exploitation de ces mines d’or artisanales. La ville n’existait pas en 2011, mais elle compte aujourd’hui plus de 11 000 habitants, dont quelque 3 000 sont des mineurs d’or artisanaux. Nombreux sont ceux qui parcourent chaque semaine les 235 km qui les séparent de la capitale, Nouakchott, à bord de 4×4 remplis de pelles et de matériels.
La plupart des mines ne sont guère plus que de larges puits creusés dans le sol, connus sous le nom de mines artisanales.
Les travailleurs utilisent du mercure, matériau qui se combine à l’or, et qui permet d’identifier de minuscules taches du précieux métal dans de gros amas de terre. Toutefois, la quasi-totalité du mercure est emportée par l’eau qui ruisselle en aval jusqu’au parc national.
L’alerte de l’IMROP
Pour le mercure resté fixé à l’or, les mineurs utilisent un chalumeau dans le cadre d’un procédé appelé « grillage », permettant son évaporation et l’extraction du précieux métal.En conséquence, toutes les matières toxiques se sont évaporées dans l’air, et sont par conséquent respirées par les mineurs, ou ont été rejetées dans les rivières, se mêlant ainsi à la faune et à la flore environnantes.
L’Institut mauritanien de recherche océanographique et halieutique (IMROP) a publié en 2021 un rapport selon lequel « les résidus de mercure, stockés dans des fragments de boue d’orpaillage, peuvent être transportés par le vent, se déposer sur les vasières et contaminer la nourriture du tilapia noir et les ailes de plusieurs espèces vivrières ». À Chami, les chercheurs ont constaté que le moindre kilogramme de sol contenait 56,4 mg de mercure, soit plus de 10 fois la quantité du seuil admis de 4 mg pour les terres agricoles.
Le rapport indique également que le seuil d’effet probable (PEL), à savoir la concentration maximale au-delà de laquelle la présence de mercure devient dangereuse pour les êtres vivants, est dépassé 56 fois dans cette nouvelle ville mauritanienne.
Dans deux sites d’analyse situés en aval du parc national, les niveaux de mercure enregistrés se sont avérés être 100 fois plus élevés qu’il y a 8 ans.
« En conclusion, tant dans la ville de Chami que dans les vasières du PNBA, la pollution par le mercure a bel et bien commencé », écrit dans la presse locale le professeur Mohamed Baba Said, ancien président du conseil scientifique du PNBA et membre du conseil scientifique de l’IMROP.
« Elle risque d’être irréversible si les autorités ne prennent pas des mesures draconiennes et rapides, à commencer par la fermeture et la décontamination du site dit de « grillade » à Chami ainsi que la prise en charge de la phase d’extraction de l’or à des professionnels ».
En effet, le danger qui pèse sur le parc national pourrait interroger sur la décision du gouvernement mauritanien d’autoriser et même d’encourager l’exploitation minière artisanale à travers le pays.
Il est estimé que près de 5 000 mineurs artisanaux produisent collectivement quelque 6 tonnes d’or par an. Néanmoins, selon les experts, le manque d’industrialisation du secteur a empêché la Mauritanie d’atteindre son plein potentiel en termes de production d’or.
Malgré des réserves d’or considérables, la Mauritanie ne s’est classée que 12e producteur d’or en Afrique en 2018, avec 9 325 tonnes, derrière la Guinée et le Togo, deux pays africains dont la superficie est au moins trois fois moins importante que celle de la Mauritanie.
L’appel lancé par M. Said aux mineurs artisanaux les invitant à « laisser faire les professionnels » entraînerait donc un effet positif sur l’environnement aussi bien que sur l’économie.
En effet, les mines correctement encadrées par des entreprises internationales devront répondre à des critères environnementaux et sociaux stricts, tout en fournissant les capacités techniques nécessaires à l’exploitation optimale et durable des réserves d’or.
C’est le cas notamment de Kinross, société minière canadienne qui gère la mine de Tasiast, dans le nord de la Mauritanie, depuis 2010. Outre son activité d’extraction d’or, la société a fait un don de 200 000 dollars au parc en 2021 de manière à lui permettre de renforcer sa capacité à conserver sa « biodiversité ainsi que les écosystèmes marins et terrestres ». Il s’agit de soutenir la recherche scientifique ainsi que le développement de stratégies de conservation efficaces.
Plusieurs associations locales ont tenté de mettre en évidence les effets négatifs de l’exploitation traditionnelle des mines d’or sur le parc national, cependant, sans action sérieuse de la part des autorités nationales et internationales, la faune et la flore si précieuses de la région restent gravement menacées.