Lundi 30 octobre 2023, cinq médias privés nationaux (Al Akhbar, Cridem, Essahraa, Le Rénovateur Quotidien et Saharamédias) étaient devant le président mauritanien, Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, dans une interview exclusive. Une opportunité qu’ils ont mis à profit pour poser les questions, y compris celles qui fâchent, censées intéresser l’opinion publique nationale : lutte contre la gabegie, promotion (nomination) de personnes, taxées de « corrompus », état-civil, « à deux vitesses », la très controversée loi sur le genre, le conflit israélo-palestinien, le «procès de la décennie» (celui de l’ancien président Aziz), la présidentielle de 2024, avec la très probable candidature de Ghazouani pour un second mandat…

A cœur ouvert, le président Ghazouani a répondu à une vingtaine de questions qui, par commodité, ont servi à deux interviews séparées (une en arabe et une en français), au sortir desquelles l’impression que la présidence n’a rien à cacher a été largement partagée.

Mohamed Cheikh El Ghazouani

A cœur ouvert, le président Ghazouani a répondu à une vingtaine de questions qui, par commodité, ont servi à deux interviews séparées (une en arabe et une en français), au sortir desquelles l’impression que la présidence n’a rien à cacher a été largement partagée. Mais surtout, qu’il y a aussi un souci – louable – de promouvoir la presse nationale privée en lui accordant ce que d’aucuns considèrent comme un «privilège» jusque-là réservé à de la presse internationale !

A la question «Dans quelle situation économique et financière aviez-vous trouvé le pays lorsque vous arrivez au pouvoir en 2019», le président  Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani  répond : «J’ai trouvé le pays dans une situation difficile et les énormes effets négatifs de la crise Covid survenue sept mois après notre accession au pouvoir, conjugués aux dramatiques conséquences de la guerre en Ukraine, ont rendu la situation encore plus difficile : à la fin de 2020 le taux de croissance était de -0,9%.» Il précisera que, devant cette situation, le pouvoir issu de l’élection présidentielle de juin 2019 s’était engagé «dans une démarche visant, dans le court et le moyen terme, à remettre l’économie sur le sentier de la croissance, préserver les équilibres budgétaires et monétaires, réduire le niveau d’endettement et renforcer la confiance des partenaires et des investisseurs en (le) pays.» Pour le président mauritanien, c’est «grâce à la persistance dans l’effort et à la qualité de la conception et de la mise en œuvre de (cette) politique économique (que le gouvernement) a pu renouer avec la croissance (6,4%, en 2022), préserver les équilibres budgétaires et extérieurs, réduire le taux d’endettement extérieur de 27 points, le ramenant de 70%, en 2019, à 43% en 2022, grâce aux importants efforts (…) entrepris dans ce sens, dès (son) accession au pouvoir, et «renforcer la confiance des partenaires et des investisseurs (les investissements directs étrangers (IDE) ont triplé sur les trois dernières années ; passant de 500 millions USD, en 2019, à 1,5 milliard USD en 2022).» «Pour renforcer et inscrire ces résultats dans la durée nous avons, à notre initiative, engagé un important programme avec le FMI visant à assurer un accompagnement de haut niveau à la mise en œuvre de réformes structurantes», poursuit le président Ghazouani.

Rapport avec BP

Répondant à une question sur les rapports «fluctuants » de Nouakchott avec BP, le président mauritanien assure : «tout d’abord, nos relations avec tous nos partenaires sont régies par la transparence et la permanence de la concertation.

Nous tenons régulièrement des réunions de travail avec nos partenaires et nous recherchons, ensemble, les solutions aux défis communs et réitérons toujours la nécessité pour chacune des parties de respecter scrupuleusement ses engagements contractuels… Comme vous le savez, nous somme partenaires avec BP dans deux champs gaziers. Il s’agit du champ Grand Tortue Ahmeyim (GTA) que nous partageons avec notre voisin le Sénégal et du champ de Bir Allah.

Pour ce qui est de GTA, les engagements auxquels vous faites allusion se rapportent essentiellement aux points suivants : le respect du calendrier du First Gas de la phase 1 du projet, la maîtrise des coûts du projet,  la mise en œuvre de la (les) prochaine (s) phase(s) devant ramener le plateau à 10 MTPA (Million de tonnes par an) dans l’horizon le plus proche.» Ghazouani précisera que, «par rapport au premier engagement, et malgré le retard accusé du fait de la Covid-19 et de la sous – performance de certains sous-traitants, BP s’est engagé à faire le maximum pour accélérer les travaux restants, et prévoit un début de production à la fin du premier semestre de 2024.»

Il tient à rassurer sur le partenariat avec le Sénégal mais aussi le contrat signé avec BP pour Bir Allah, un autre projet gazier, mauritanien à 100% : «Par rapport au second engagement, l’Etat, à travers la SMH, suit l’évolution et la pertinence des coûts et de tout nouvel engagement.

Par rapport au troisième engagement, nous œuvrons pour une rapide concrétisation du concept de la phase 2 et coordonnons avec le Sénégal, à travers nos sociétés nationales respectives, à ce sujet.

S’agissant de Bir Allah, nous avons signé avec BP un contrat de partage de production en octobre 2022 qui comporte plusieurs phases agencées avec des jalons de suivi. Le prochain jalon est prévu à la fin du mois courant. Globalement, nous pensons que les objectifs stratégiques des États et des sociétés étrangères sont alignés et consolidés par le dialogue et la concertation permanente.»

La gabegie détruit notre pays

Sur la gabegie, le président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani déclare : «La gabegie, depuis des décennies, endigue, par ses effets destructeurs, le développement économique et social de notre pays. C’est incontestable et je vous l’accorde.

Ce phénomène est d’ailleurs universel. Aucun pays n’y échappe, quelles que soient la force de ses institutions et la richesse de son expérience en matière de bonne gouvernance. Cependant, je rejette entièrement la tacite insinuation de votre question qui laisse sous-entendre un laxisme de notre part dans la lutte contre ce phénomène.

En effet, dès les premiers jours de notre mandat, nous avons entrepris de mettre en place une nouvelle stratégie de lutte contre la gabegie et la corruption, institutionnalisée et marquée par la rigueur et le refus systématique de la partialité et du règlement des comptes.

Vous ne pouvez pas ne pas avoir constaté l’important regain de dynamisme dans la lutte contre la gabegie et la corruption que traduit, entre autres, le rattachement de l’Inspection Générale d’Etat à la Présidence de la République et son renforcement en termes de moyens et en ressources humaines qualifiées, la mise à jour de la cartographie des risques en matière de gestion, le renforcement des inspections internes, la modernisation du code de passation des marchés et la publication, pour la première fois, des rapports de la cour des comptes, et j’en passe.»

L’enrôlement biométrique à deux vitesses

Enfin, quand on rappelle au président Ghazouani que des voix continuent de s’élever dans certains milieux des droits de l’homme et largement à travers les réseaux sociaux, «mettant en cause l’enrôlement biométrique à « double vitesse » qui bloque l’accès à l’état civil à la majorité des négro-africains établis en Mauritanie et à l’étranger sans exception, dans les bureaux des registres sécurisés» et que cette situation «est également dénoncée régulièrement par les victimes des événements de 1989 revenus du Sénégal ou encore restés dans ce pays», il répond : «Je dois rappeler que dans le cadre de l’opération d’identification des populations, j’ai engagé, lors du conseil des ministres tenu le 12 juillet dernier, le gouvernement à davantage d’implication dans la campagne de sensibilisation pour assurer la réussite de l’opération d’enrôlement des populations.

Dans le cadre de nos efforts visant à rapprocher l’administration des citoyens afin qu’ils bénéficient de l’ensemble des services administratifs dans la célérité, l’équité et la transparence, nous avons tenu à ce que cette campagne qui vient compléter le processus démarré en 2011, aille vers les populations qui ont des difficultés à accéder à l’état-civil lequel est un droit fondamental de tout citoyen et dont dépend la jouissance de nombreux droits. Le gouvernement est résolument engagé à mettre en place tous les moyens nécessaires afin que l’opération soit couronnée de succès.

Cette campagne qui couvre toutes les communes du pays est conduite suivant un processus qui associe les imams, notables, et autres personnes ressources. Elle a permis jusqu’ici l’enrôlement de plus de 238.000 personnes et je peux vous assurer que tout sera mis en œuvre pour que chaque citoyen mauritanien soit bio métriquement enrôlé. »