« La crainte grossit les objets », Montesquieu, De l’Esprit des Lois  

Montesquieu s’oppose avec la plus grande fermeté à l’idée de justice orientale qui veut que la famille, sans distinction de ses membres, paie les fautes de ses enfants.

Par Dr. Pierre Franklin Tavares, philosophe et homme politique

Épinay-sur-Seine, le 5 juillet 2023

Mais, enfin, a-t-on donc si promptement oublié que l’âme des lois transcende le corps des lois ? Dans sa longue quête, Montesquieu précise : «ce n’est point le corps des lois que je cherche, mais leur âme.» Car, sauf élaboration erronée, le premier, le corps des lois, dépend bien du second, leur âme. Ainsi, modifier, un tant soit peu ou fortement un corps de lois sans en penser l’âme, c’est non seulement ne pas savoir la prépotence du second mais engager une aventure législative. Où es-tu Solon, toi qui sus si bien doter ta cité de lois sages, parce que tu savais l’âme des lois.

Une allumette malencontreusement craquée près d’un baril de poudre, et tout explose. Hegel parle alors de destin, parce que la portée d’un geste, plus étendue que prévu, s’est retournée contre le calcul (l’intention) de son auteur et mène à des conséquences imprévues. Qui ne se souvient ici des voleurs de Marseille : dérobant quelques ballots de marchandises d’un navire au port, ils introduisirent la peste dans la cité phocéenne. Ils n’avaient pas prévu que ces chargements auraient pu être infectés. Combien de morts, pour un acte banal ? Jacques D’Hondt aimait à donner cet exemple pour illustrer le destin selon Hegel. Le destin, écrira Hegel, «c’est la conscience de soi mais comme de son propre ennemi.» Ce qui échappe à notre action pour produire autre chose. Évoquant le destin (hégélien) du roi Charles XII, Montesquieu dira : «Mais la nature ni la fortune ne furent jamais si fortes contre lui que lui-même.»

Nahel

Un jeune est mort, d’une balle par un policier, filmé au matin du 27 juin dernier. Il s’appelait Nahel. Aussitôt : cris, alertes et feux de révolte, mots d’ordre incendiaires, saccages, batailles rangées, innombrables tirs de mortier d’artifice et de gaz lacrymogène, flammes et fumées, dévastations urbaines et destructions ciblées d’édifices publics, affrontements méthodiques entre bandes bien organisées et forces de l’ordre, tentatives de meurtre d’élus, guerre des cagnottes, etc. Le retentissement de cet embrasement multiforme sera national et même mondial. Les habitants des grandes, des moyennes et des petites villes françaises s’émeuvent et, à juste titre, sont en colère. Et les banlieues, une fois de plus et plus que toute autre structure urbaine, paient une lourde facture. Dussé-je le répéter : la terre des banlieues fait mal au ciel !

Même le sophiste-en-chef, Bernard-Henry Lévy ne dit mot

Dans ce qui nous occupe, l’intelligentsia française s’est effondrée. La communauté des sciences sociales, épuisée par le passif de ses propres analyses, reste muette. Les responsables associatifs ont remplacé les intellectuels. Même le sophiste-en-chef, Bernard-Henry Lévy ne dit mot. Michel Onfray, habituellement prolixe, n’a d’autre choix que de faire réécouter son disque rayé. Les « meilleurs », parmi lesquels Badiou, Badie, etc., ne sont pas interrogés. Les danseurs de Twist peuplent CNEWS et BFM TV, en continu. Ils sont désormais les Experts, non pas en danse, comme on devrait s’y attendre, mais en science des violences urbaines. Les journalistes et leurs invités radotent donc. On n’apprend rien. Vladimir Fédorovski, russo-ukrainien, s’étonnait que les experts du Covid-19 soient subitement devenus les experts de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. C’est que chacun, selon sa perception des choses et des faits, est désormais spécialiste en tout et de tout. Les mondanités du monde, pour me servir d’une expression de Hegel qui fera fortune, l’ont emporté sur la culture savante. Ils conversent de choses graves avec insouciance.

La classe politique, elle, est désemparée. Lors de sa visite aux Élus à Pau (6 juillet dernier), le désarroi publiquement avoué et le désappointement perceptible du président Emmanuel Macron étaient si manifestes qu’elles ne cessent d’étonner : «Enfin, mais qui aurait prévu ce qui allait se passer sous cette forme, dans des villes qui parfois n’avaient jamais connu de phénomène de violence urbaine ?» Et, sous ce rapport, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, le Chef de l’État réclamera même un acte de connaissance : un «travail en profondeur» afin de «comprendre ce que nous devons changer» après les émeutes. L’ignorance cognitive et l’incapacité politique sont si élevées qu’il est envisagé la coupure des réseaux sociaux en cas de nouvelle crise urbaine, à l’instar des décisions prises dans des pays à tyrannie. Prenons donc garde ! Selon Montesquieu, il existe deux sortes de tyrannies : l’une est «réelle» (violence d’un gouvernement) et l’autre «d’opinion.»

Cette impuissance au sommet de l’État est équilibrée par le naufrage idéologique de la NUPES. Grand Dieu ! Marine Le Pen redit ses banalités et empoche, pour lors, la prime électorale. La crise de la connaissance franchit un nouveau palier.

S’agissant de ces émeutes, l’irrationnel domine. En quoi consiste-t-il ? En la rupture évidente et profonde de la théorie de la causalité. Pour expliquer tout phénomène, toute chose, Aristote, pose la quadricausalité, sa conception des quatre causes : la matérielle, la formelle, l’efficiente et la finale. Le rationnel, à l’inverse du rationnel, advient lorsque la cause matérielle n’aboutit pas à «sa» cause finale (but), parce qu’obérée par la cause formelle et la cause efficiente, mais à une autre finalité. Le policier incriminé eut-il pu prévoir que la mort du jeune Nahel (cause matérielle) le conduirait en détention et allumerait des incendies géants (cause finale) ? Selon ce mode explicatif aristotélicien, chacun peut saisir sur le vif pourquoi Emmanuel Macron est si désemparé, tant décontenancé ; état d’âme que lui-même expose avec des mots auxquels journalistes et experts n’ont accordé aucune importance : «il y a, dit-il, une instrumentalisation inacceptable (cause efficiente) de la mort (cause formelle, essence) d’un adolescent (cause matérielle) que nous déplorons tous, alors que le moment devrait être au recueillement et au respect (cause finale).»

Les familles doivent payer pour les dégâts causés par leurs enfants ! Rien de nouveau à l’ouest.

Emmanuel Macron a le vague pressentiment qu’il doit donner une allure cohérente (logique) à sa parole sur les émeutes, puisqu’on y retrouve une chaîne causale. Et il s’y efforce, tant bien que mal. Mais il dispose arbitrairement les quatre causes. En effet, il aurait dû débuter son propos par la cause matérielle (arrestation filmée de l’adolescent), puis avancer vers la cause formelle (mort par balle), ensuite afficher la cause efficiente (responsabilité du tir du policier) et terminer par la cause finale (émeutes). Or, cela se note, il procède tout autrement.     

C’est sur ce même processus de désarticulation (incohérence logique) de la chaîne causale que se construisent toutes les opinions en Ban-Lieue et dont l’un des effets est de susciter la propagation diffuse des actes de vandalisme. Plus elles sont fausses (ou moins elles sont vraies) toutes ces opinions roulent à vive allure et klaxonnent, à longueur de nuits et de journées. Si elles sont de fortune diverse, toutes cependant sont aussi égales qu’inégales, réfléchies ou stupides, mûres ou immatures. Et peu importe. Puisqu’elles se valent et chacun achète ce qu’il peut, au détour d’une conversation ou d’une émission télévisée ou radiophonique. Une chaine d’information continue a tellement bien compris ce phénomène qu’elle a conçu et clame un slogan publicitaire : «Venez avec vos convictions, vous vous ferez une opinion.» Une opinion et non pas une «conception.» Deux contraires, comme l’enseignait Platon. L’important n’est pas de penser mais bien de se faire une opinion.

Mais, d’entre les opinions, dans cet hypermarché à bas prix, une prend le pas sur les autres et c’est autour d’elle que naviguent tous les débats : «la punition des familles des jeunes émeutiers.» Les familles doivent payer pour les dégâts causés par leurs enfants ! Rien de nouveau à l’ouest. Car c’est là une bien vieille idée que Montesquieu, en son temps, a combattu avec belle ardeur métaphysique, estimant que ce jugement-là se rattachait à un principe de coercition asiatique, et non pas occidental. Et est même son exact opposé. Que l’Occident reste l’Occident et l’Asie demeure elle-même. Car les mœurs dépendent, disait-il, des climats même si ceux-ci n’expliquent pas tout. L’Asie est d’un autre climat, en y comptant ses ères culturelles spécifiques : japonaise, chinoise ou indienne qui diffèrent.

Alors, sur le thème tant disputé de la punition des familles pour enfants délinquants, écoutons Montesquieu qui en parle tel l’un de ses rares et sages voisins de la rue de Marseille, dans le quartier Orgemont : ce sont, écrit-il, des « lois qui pour un seul crime punissent toute une famille ou tout un quartier.» Le mot est écrit en 1757, il y a deux siècles et demi. On eut dit qu’il s’oppose aux Zemmour, Ciotti, Morano, Bardella, et les autres… Son objection ne vaut-elle plus encore aujourd’hui ?

Plus loin, Montesquieu revient sur cette problématique et l’intitulé du passage dans lequel il la reprend est à lui tout seul éclairant : Chapitre XX, De la punition des pères pour leurs enfants : «On punit à la Chine les pères pour les fautes de leurs enfants. C’était l’usage au Pérou. Ceci est encore tiré des idées despotiques.

On a beau dire qu’on punit à la Chine le père pour n’avoir pas fait usage de ce pouvoir paternel que la nature a établi, et que les lois même y ont augmenté ; cela suppose toujours qu’il n’y a point d’honneur chez les Chinois. Parmi nous, les pères, dont les enfants sont condamnés au supplice, et les enfants dont les pères ont subi le même sort sont aussi punis par la honte, qu’ils le seraient à la Chine par la perte de la vie.»

 

Le lecteur le voit bien que, pour Montesquieu, les cultures orientales (pas toutes) sont dans leur essence de nature despotique et il demande aux Occidentaux de s’en garder au nom même de la liberté qui est marqueur occidental. L’Occident, c’est la liberté. On n’y punit pas les parents en raison des fautes de leurs enfants.

Montesquieu rajoute, Chapitre XXI, De l’extension des peines : «C’est l’usage en plusieurs lieux de l’Orient d’exterminer la famille du coupable. Dans ces pays despotiques, on ne regarde les femmes et les enfants que comme des instruments et des dépendances de la famille. On les confisque, comme parmi nous on confisque les biens. Ils étaient une propriété du père et du mari.»

Et il n’y a pas que la Chine. «Au Japon (Rec. des voy., t. V., part. II, pp. 320 et 426), on étend la punition sur toute la famille dans la plupart des crimes : les mâles sont condamnés à mort, les femmes et les filles sont vendues comme esclaves (Ms. I, f° 261 – 262).»

Montesquieu s’oppose avec la plus grande fermeté à l’idée de justice orientale qui veut que la famille, sans distinction de ses membres, paie les fautes de ses enfants.

«L’Asie» de Montesquieu semble inspirer Emmanuel Macron qui fixe un nouveau cap pénal : « Il faudrait, dit-il, qu’à la première infraction, on arrive à sanctionner financièrement et facilement les familles, une sorte de tarif minimum dès la première connerie.» Et, puisqu’on a toujours plus zélé que soi, voici que, comble de fermeté, à la faveur d’une interview accordé au quotidien Le Parisien, loin d’essayer d’occidentaliser son Président, de le raisonner, Élisabeth Borne, Première ministre, décide d’être plus «asiatique» (au sens de Montesquieu) que lui : «C’est bien à cela que nous réfléchissons», dit-elle, et  avec l’air sérieux et sévère qu’exige un tel sujet, ajoute : «On veut des réponses très rapides, que les familles mesurent les conséquences des actes commis par leurs enfants. Et si le cadre légal existant n’est pas suffisant, alors, le cas échéant, on fera évoluer la loi.» Et le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, est commis à préparer un nouveau corps de lois. Il «est en train de regarder tout ce que l’on peut déjà faire à droit constant.» En effet, assure-t-elle, «aujourd’hui, quand un adulte commet un acte de cette nature, on peut avoir recours à une amende forfaitaire. C’est rapide et efficace. Ce n’est pas possible pour les mineurs. Nous allons donc construire un dispositif qui le permette.»

Si, depuis sa tombe, Saint Augustin entendait Élisabeth Borne, sans doute se retournerait-il, lui qui, d’une part, fut élevé dans une famille monoparentale, puisqu’il perdit jeune son père Patricius, ce qui n’empêcha pas sa mère Monique de savoir éduquer ses trois enfants, et, d’autre part, dans LesConfessions, lorsqu’il avoue avoir commis hors de toute nécessité et sans motif sérieux un larcin, une expérience négative de laquelle il tirera toutes les conséquences pour devenir ce qu’il est. Il arrive donc que la première faute soit salvatrice. Élisabeth Borne serait bien inspirée de lire les écrits de ce célèbre «Romain d’Afrique» à qui l’Occident doit tant. Sous ce rapport et pour faciliter la tâche de lecture, rappeler quelques titres de chapitres qui concerne notre thème :  

Saint Augustin termine le Livre Premier, avec le Chapitre XIX, Corruption de l’âme enfantine et immédiatement ouvre le Livre Deuxième par un titre éloquent : Chapitre premier, Augustin confesse son adolescence, puis les Chapitre IV, Augustin s’accuse d’un larcin ; Chapitre V, On ne pèche pas sans mobile ; Chapitre VI, En commettant son larcin, Augustin a fait le mal pour le mal ; Chapitre VII, Il remercie Dieu de lui avoir remis son péché ; Chapitre VIII, Ce qu’il a goûté dans son vol, c’est le plaisir de la complicité ; Chapitre IX, De quoi est fait ce plaisir et Chapitre X, Dieu est le Souverain bien.

Dans L’Esprit des Lois, ouvrage majeur conçu et rédigé en vingt ans, mais oublié de nos jours, Montesquieu s’oppose avec la plus grande fermeté à l’idée de justice orientale qui veut que la famille, sans distinction de ses membres, paie les fautes de ses enfants. Et inversement, rien en Occident n’est fondé en raison pour que les enfants paient les crimes de leurs parents. C’est un point de droit essentiel qui est aujourd’hui ouvertement remis en cause, en France, par la cohorte des calomniateurs. La France deviendrait-elle une «nation de calomniateurs?» 

Parce que la peur de l’étranger grandit l’objet immigration, elle conduit de façon inexorable à des mesures fausses et extrêmes, notamment celle de réclamer, comme principe de réorganisation et mode de recomposition des familles, la suspension des prestations sociales.

Certes, il n’est pas vrai de dire ou de tenter de faire croire que la France n’a pas vu son portrait socialprofondément changer avec et par l’immigration. Un regard sur le demi-siècle passé l’illustre d’évidence. Mais dans L’identité de la France, Fernand Braudel n’a pas manqué de montrer, exemples à l’appui, comment depuis l’Âge de Bronze, l’immigration n’a cessé de faire des apports majeurs. Et, non loin de nous, qui eut pensé que les Normands, les Vikings, les saccageurs, ces légendaires pilleurs du Nord, deviendraient de bons Normands ?  

Certes les calomniateurs en tirent un semblant de satisfaction immédiate, un plaisir à punir les parents. Mais avec de telles décisions si l’on connaît le point de départ, nous ignorons tous le point d’arrivée. On entend punir au premier acte, demain on punira les parents pour les rêves de leurs enfants dans lesquels ceux-ci commettent des actes délictueux : «Un Marsyas songea qu’il coupait la gorge à Denys. Celui-ci le fit mourir, disant qu’il n’y aurait pas songé la nuit s’il n’y eut pensé le jour. C’était une grande tyrannie : car, même quand même il y aurait pensé, il n’y avait pas attenté. Les lois ne se chargent de punir que les conditions extérieures.»

Les calomniateurs œuvrent d’abord contre eux-mêmes.

Mais quel est donc le destin qui est appelé à prendre corps si jamais les propagandistes zélés de cette punition aveuglent atteignant leur objectif ? Destin : au moment même où ils crient à la fin de la vieille civilisation française, à la décivilisation pour reprendre leur jeton verbal, à ce grand péril culturel imposé par des hordes d’immigrés ensauvagés, ce sont eux-mêmes qui, sans s’en apercevoir l’ombre d’un instant, se font propagateurs enthousiastes de la punition à l’orientale telle que Montesquieu la définit. Immense paradoxe. Pour préserver leur culture occidentale, ils introduisent à l’insu de leur propre gréles ferments d’une autre culture et proposent, par un nouveau corps de lois «orientales», d’adopter des mœurs asiatiques qu’ils prétendent combattre à grand renfort d’oukases et de batteries.

C’est cela l’inculture, refus obstiné de la pensée, qui est aux élites politiques (et intellectuelles) ce que la prétendue décivilisation serait aux masses. En réalité, il n’y a pas de conflit entre ces deux camps. L’un et l’autre poussent dans le même sens historique : l’orientalisation de la France.

Dans ses célèbres Principes de la philosophie du droit ou Droit naturel et Science de l’État en abrégé, Hegel a judicieusement exposé ce qu’est le «Tout éthique», ou si l’on veut toute société humaine organisée, par l’emboitement dialectique (contradictoire et successif) l’une dans l’autre des trois grandes sphères éthiques connues : la Famille, la Société civile et l’État, en montrant comment la première (Famille) fondait la seconde avant qu’elle-même selon ses contradictions internes ne se décompose et cède sa place à la seconde sphère (Société civile) qui, à son tour, elle-même minée par ses contradictions, ne suscite l’apparition nécessaire de la troisième sphère (État) qui, in fine, relève et retient les première et seconde sphères, pour créer la totalité éthique. Dans cette optique, chambouler la première sphère, c’est-à-dire la Famille, n’est-ce pas prendre le risque de déstructurer la seconde, la Société civile, puis l’État ?

Ces dernières années, tout a été fait pour affaiblir les familles et l’autorité parentale. Dès lors, peut-on s’étonner des conséquences dialectiques sur la Société civile et l’État ? Sur ce point, dans son ouvrage qui nous sert ici de point d’appui, Montesquieu n’aura eu de cesse de mettre en garde. Peut-être le temps est-il revenu de le lire avec attention pour ceux qui ne l’avait pas fait et, armé d’un peu de courage intellectuel, le réétudier avec assiduité.  

En tous les cas, et parce qu’il s’agit de jugement, si nous devions emprunter une balance de justice pour accorder les poids aux théories des punisseurs des parents, si ensuite nous mettons ceux-ci sur le plateau de droite et Montesquieu, L’esprit des Lois à la main, sur le plateau de gauche, de quel côté pencherait la raison si ce n’est du côté du philosophe originaire de La Brède, petite commune de la Gironde (Nouvelle-Aquitaine) dont nous appelons ici les secours.

Mais il est un autre mot de Charles Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, qui nous invite à méditer : «Que lorsque le principe de la république [l’égalité] est dans toute sa force, on n’a presque pas besoin de loi.»

Or c’est bien à cette faiblesse-là que la France est aujourd’hui confrontée et qu’elle a créé de toutes pièces. Elle ne remédiera à son désarroi que si et seulement si elle se décide à élaborer un corps de lois qui relève de la civilisation française à laquelle Les Lumières ont donné lettres et noblesse. Mais, en campagne pour les présidentielles de 2017, le 4 février, Emmanuel Macron dira : «Notre culture, ça ne peut plus être une assignation à résidence. Il n’y aurait pas la culture des uns et la culture des autres, il n’y aurait pas cette formidable richesse française, qui est là, dont on devrait nier une partie, il n’y a d’ailleurs pas une culture française, il y a une culture en France, elle est diverse, elle est multiple. Et je ne veux pas sortir du champ de cette culture, certains auteurs ou certains musiciens ou certains artistes, sous prétexte qu’ils viendraient d’ailleurs.»

Deux semaines plus tard, le 21 février, à Londres, il réfute ses contradicteurs en argumentant : «Je voyais les tracts que certains camarades distribuaient à l’entrée du building, très gentiment, pour vous expliquer toutes les raisons pour lesquelles j’étais un odieux personnage, ils disaient ’’Emmanuel Macron, il ne croit pas à la culture française’’ Bon, c’est défendu, généralement, par des gens qui ont oublié de lire, qui pensent que la culture française relève, je cite le programme d’un de mes opposants, de l’art français. J’ai dit : ‘’Il n’y a pas une culture française.’’ Mais c’est la vérité, ou alors que ceux qui disent cela aillent me dire si Picasso, Chagall et quelques autres sont dans la culture française, dans leur définition. Parce que moi, l’art français, je ne l’ai jamais vu. Il y a des cultures, et il y a bien une culture qui est en France. Nous avons notre culture, notre littérature, notre peinture, nos valeurs qui vont avec, notre langue, qui est ce qui nous tient. Et c’est la fierté de ce pays. Mais cette culture s’est toujours vécue avec des racines profondes mais comme éminemment ouverte, généreuse, accueillant les talents de l’étranger. Et qu’est-ce qui a fait la littérature française, la peinture française, la musique française, la danse française ? La capacité à faire émerger des génies de notre pays mais à, chaque fois, d’agréger des talents de l’étranger. J’aime plus que tout notre langue, notre culture, ce qui fait ce trésor, mais en même temps, elle a toujours été ouverte. Elle s’est toujours construite dans la capacité à en agréger d’autres, à faire venir les talents d’ailleurs. À faire que des jeunes ou moins jeunes qui venaient de partout ailleurs en Europe, ou dans le reste du monde, devenaient constitutifs de la culture française.»

La France aurait donc «une culture» mais qui ne serait pas française. Le piquant dans ces mots est la mention faite de Picasso et de Chagall qui furent deux amis de Senghor qui, lui, définira fort bien la culture française sans rejeter les apports venus de l’étranger, y compris «nègres», avec entre autres les poématiques de Paul Claudel et de Saint John Perse.  

Bref, dans la mesure où «il n’y a pas une culture française» et que prévaut et s’impose son «multiple» et son «divers» susceptibles d’agréger les apports étrangers, alors pourquoi les Français n’importeraient-ils pas, afin de les greffer, les coercitions orientales contre lesquelles Montesquieu livrera un grand combat philosophique.

Il ne nous reste plus qu’à sourire, pour ne pas en rire. Sans vouloir être caustique, nous pouvons dire que l’incapacité théorique d’Emmanuel Macron à définir «la» culture française et les méprises qu’il formule sont dues au climat. Sans doute est-ce «la ruse» (hégélienne) du climat (montesquiesien qui est à l’œuvre. Le climat oriental (chaleur) orientalise, en France, la punition des parents pour les délits de leurs enfants.

Mais la France aura beau suspendre ou supprimer les prestations sociales («les revenus nets de redistribution») pour punir les familles qui, en leur sein, comptent un ou plusieurs délinquants, cela ne résorbera en rien le mal qui la ronge : la crise de la Ban-Lieue qu’elle est encore bien incapable de penser. Car, pour cela, il lui faudra d’abord se débarrasser de toutes les scories cognitives qui entravent l’accès au toucher de l’essence ou de l’être qui fait Ban-Lieue.