Décidément on n’apprend rien des mauvaises expériences. Voici revenir en force les promotions tarifaires qui ne correspondent à aucune réalité économique sans que pour autant personne ne s’avise d’alerter les autorités de la concurrence et des prix et sans que les responsables de la DGCCRF (La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la répression des Fraudes), ni d’ailleurs ceux de la DGAC s’auto saisissent de la question. Et on laisse tranquillement publier des offres qui sont soit de la vente à perte, soit de la publicité mensongère. Dans les deux cas, elles tombent sous le coup de la loi et ce dans tous les pays occidentaux.
La dernière en date est la compagnie espagnole LEVEL, filiale d’ailleurs du groupe IAG qui, faut-il le rappeler regroupe, entre autres, British Airways, Ibéria, Ibéria Express, et Vueling, qui a en son temps fait un passage rapide sur la destination Orly / New-York. Elle vient d’annoncer le lancement de ses vols au départ de Barcelone avec une offre de 74 € si j’ai bien lu pour un aller simple vers New-York. Sur le site de la compagnie on trouve d’ailleurs une offre à 319 € pour un aller-retour entre les deux mêmes villes.
Elle fait suite au lancement de la compagnie Norse Atlantic, une émanation de Norwegian, (on y retrouve les mêmes dirigeants), laquelle avait donné des leçons de marketing à toute la profession avant de s’effondrer lamentablement laissant sur le carreau des dizaines de milliers de passagers qui avaient cru aux propositions mirifiques du transporteur norvégien et tous les salariés de la compagnie eux-mêmes les premières victimes. Ils ont perdu leur emploi à un moment où il était si difficile de se recaser. Eh bien Norse Atlantic propose des aller-retours Paris / New-York à 219 € ! Qui dit moins ?
N’importe quel professionnel du transport aérien et du tourisme peut faire le même calcul simple à partir des prix de revient publiés par les transporteurs eux-mêmes. Une compagnie traditionnelle certes largement pénalisée par des charges élevées dues à un passé si difficile à solder affiche un coût au siège/kilomètre offert de l’ordre de 7 cents d’euro, une low cost classique est autour de 5 cents d’euro et une ultra lowcost de 3 cents d’euro. Alors il suffit de sortir sa calculette en sachant que la distance aller-retour entre Paris et New-york est de 11.664 km et qu’elle est de 12.332 km entre New-York et Barcelone.
Ainsi le prix de revient d’un siège sur l’aller-retour Barcelone New-York ressort à 369 € pour un ultra low cost, à 617 € pour une low cost normale et à 863 € pour un transporteur traditionnel. Sur les mêmes bases les aller-retours au départ de Paris reviennent respectivement à 350 €, 583 € et 816 € selon que l’on est un ultra low cost, normal low cost ou compagnie traditionnelle. Dans tous les cas de figure les tarifs promotionnels annoncés ne couvrent pas les coûts et ils représentent donc une vente à perte. Je précise que ces coûts correspondent à 100% de la capacité de l’appareil dans les deux sens, et ce tout au long de l’année.
Je connais bien l’objection des transporteurs qui s’adonnent à cette pratique : ils avouent, en privé, qu’ils ne mettent que très peu de sièges aux prix d’appel et qu’ils se rattrapent en faisant fonctionner le miraculeux « yield management », lequel consiste à maximiser la recette sur un vol et mixant les tarifs très peu chers mais très peu nombreux et réservés aux achats très précoces avec les prix plus raisonnables. Cette objection serait recevable si les tarifs annoncés indiquaient clairement la fourchette des prix : par exemple de 250 € à 1200 €. Ce serait plus honnête. Et d’ailleurs je remarque que les transporteurs qui se sont lancés dans cette politique très agressive ont tous connu des déboires importants jusqu’au moment où certains ont été amenés à déposer leur bilan. Le constat peut être fait aussi bien auprès des compagnies occidentales qu’asiatiques.
Le plus pernicieux est que ces pratiques mettent dans l’esprit du public des références qui n’ont rien à voir avec les charges réelles des entreprises. Je remarque aussi qu’on n’a toujours pas vu les agents de voyages dénoncer ces agissements. Ils les ont, au contraire renforcés en proposant à leurs clients les tarifs les moins chers que l’on pouvait leur trouver sans pour autant se préoccuper de la viabilité des transporteurs ainsi recommandés.
Si les autorités continuent à ne pas s’intéresser à cette anomalie, il restera aux distributeurs à boycotter systématiquement toutes les compagnies coupables au moins de mettre dans la tête des clients des prix qui ne peuvent pas les faire vivre, mais qui leur permettent de s’assurer d’une trésorerie artificielle à tel point que les compagnies ont eu un mal fou à rembourser les clients pour les vols qu’elles ont dû annuler pour cause du Covid.