Le transport aérien en Afrique pèse encore très peu à l’échelle mondiale. La forte croissance du PIB, l’urbanisation accélérée du continent et le développement des classes moyennes devraient cependant bouleverser la donne. L’IATA prévoit une croissance du trafic aérien de 5,7 % par an en moyenne jusqu’en 2034. Le secteur offre en outre d’importantes opportunités d’investissements – estimées à plus de 160 milliards de dollars US pour la seule acquisition de nouveaux avions. Mais les obstacles demeurent encore nombreux pour réaliser ce potentiel.

Abderrahmane Berthé, Président de l’AFRAA

Les compagnies aériennes doivent supporter des coûts d’exploitation élevés qui grèvent leur compétitivité. En cause notamment, le coût exorbitant du carburant, des taxes et des redevances onéreuses, des primes d’assurance plus élevées et de fortes contraintes réglementaires. Les droits de trafic et les tarifs sont soumis à des contrôles particulièrement restrictifs qui désavantagent bien souvent les opérateurs africains. Aujourd’hui, les liaisons intercontinentales restent l’apanage des compagnies aériennes étrangères qui assurent plus de 80 % du trafic. Pourtant, quelques opérateurs (parmi lesquels Ethiopian Airlines ou Kenya Airways) ont su relever ces défis avec succès. Pour favoriser de nouvelles réussites et permettre à l’initiative privée de se développer, des réformes en profondeur devront être engagées au niveau régional et continental.

Le problème est que, depuis plus de cinquante ans, des accords multilatéraux ont été conclus pour transformer le secteur de l’aviation sur le continent, sans qu’aucun d’eux ne soient mis en œuvre. Les nations africaines nouvellement indépendantes ont fondé l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA). Créée pour faciliter l’intégration des espaces aériens africains et rendre les compagnies du continent plus compétitives au niveau mondial, l’AFRAA n’est pas plus avancée qu’en 1968. En effet, les politiciens, toujours les premiers à participer aux sommets sur la libéralisation de l’aviation, ne font preuve d’aucune réelle volonté dans la mise en œuvre des recommandations. 

En 1988, vingt ans après la création de l’AAFRA, les États africains ont signé la décision de Yamoussoukro, un accord multilatéral avec 44 signataires, pour libérer le ciel africain. En 2022, cet accord n’a pas encore été mis en œuvre. En fait, en 2018, la décision de Yamoussoukro a été remplacée par un autre accord visant un marché unique du transport aérien en Afrique (SAATM). Cet accord semble avoir encore moins de chances d’être mis en œuvre, surtout qu’au lieu des 44 signataires d’il y a 30 ans, seuls 23 États ont pris la peine de s’engager. 

Dans le ciel africain, les routes sont détournées

Le transport aérien joue un rôle essentiel dans la facilitation des affaires, du commerce international et du tourisme. Lorsque les gouvernements verrouillent le secteur pour préserver leurs transporteurs nationaux, l’innovation du secteur privé est entravée. Dans les ciels africains, la sécurité est insuffisante, parfois mortelle, les routes sont détournées, puisqu’il faut souvent traverser l’Europe ou le Moyen-Orient pour aller d’une ville africaine à l’autre.

Pourtant, la déréglementation permettrait d’accroître la concurrence et offrirait une meilleure connectivité, ce qui réduirait les coûts de transports et fluidifierait les échanges commerciaux. C’est dire, seule la libéralisation effective du transport aérien permettra à terme l’augmentation du trafic, l’amélioration de la sécurité et la baisse des tarifs. Que ce soit en Afrique du Sud et au Kenya, en Côte d’Ivoire ou en Zambie, les initiatives allant dans ce sens ont déjà montré leur intérêt. La détermination politique des chefs des gouvernements africains sera clé pour une mise en œuvre du SAATM.

Moyen de transport le plus sûr, le moins cher et le plus facile à mettre en œuvre (surtout dans un contexte marqué par la faiblesse des infrastructures routières), le transport aérien représente pourtant une fantastique opportunité pour l’Afrique. Ayant une faible emprise au sol, les infrastructures aéroportuaires sont beaucoup plus faciles à sécuriser et à entretenir que le réseau routier. Voire ferroviaire ! Elles sont aussi moins chères, car une piste de 1 600 m suffit à tous les appareils court et moyen-courrier ; le différentiel de coût d’exploitation au kilomètre parcouru est largement compensé par le faible coût d’entretien des infrastructures aéroportuaires. Enfin, elles sont aussi assez faciles à exploiter, car elles sont très encadrées et normées.

Côté flotte, en dehors des avions achetés par les grands groupes, les appareils africains sont d’abord des avions d’occasion et de location…  La plupart des compagnies n’ont pas suffisamment de liquidités pour acheter des appareils neufs.

250 nouveaux gros porteurs évalués à 160 milliards de dollars

En ce qui concerne les appareils d’occasion, on compte aujourd’hui 400 avions de plus de 17 ans au sud du Sahara. Or exploiter un avion ancien coûte plus cher en carburant, dont le prix a beaucoup monté… Pour autant, les avionneurs restent optimistes. Le mode aérien commence par intégrer les habitudes de transport des populations africaines.

Avec un taux de croissance considéré comme le troisième plus élevé au monde, le niveau de la demande sur le continent, en nette évolution, confronte les compagnies aériennes à des défis de capacités.

La flotte des compagnies aériennes devrait atteindre 1 560 avions d’ici les vingt prochaines années, selon le constructeur aéronautique Boeing. D’après son rapport d’étude CMO (Commercial market outlook) 2021, le géant américain projette que les compagnies aériennes du continent acquerront 1 030 nouveaux aéronefs au cours des deux prochaines décennies. Soit une augmentation de 3,6 % par an. Ceci pour répondre à l’évolution du trafic qui comprend une croissance du nombre de passagers évaluée à 5,4 % par an. 

Abdoulaye Coulibaly, Président de l’Association des transporteurs aériens francophones (ATAF)

Abdoulaye Coulibaly, Président de l’Association des transporteurs aériens francophones (ATAF)

Les estimations quant aux types d’appareils indiquent des acquisitions portant sur «des jets monocouloirs qui devraient représenter plus de 70 % des livraisons commerciales, avec 740 nouveaux avions soutenant principalement la demande intérieure et interrégionale. En outre, les transporteurs africains devraient avoir besoin de 250 nouveaux gros porteurs, y compris des modèles pour passagers et pour le fret, afin de soutenir les liaisons long-courriers et la croissance du fret aérien», renseigne le constructeur. Cet impressionnant carnet de commandes devrait coûter aux compagnies aériennes africaines la bagatelle de 160 milliards de dollars, sans compter les services après-vente (fabrication et réparation) évalués à 235 milliards de dollars.  Boeing justifie ses prévisions par la progression de certaines variables pertinentes qui stimuleront le développement de l’industrie aérienne en Afrique au cours des deux prochaines décennies. Notamment, «la croissance économique du continent qui devrait être de 3 % par an, l’initiative de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) et le marché unique du transport aérien africain qui stimuleront le commerce, le transport aérien et la coopération économique, l’évolution de la classe moyenne et la population active du continent qui devraient doubler d’ici à 2040, avec pour conséquence une augmentation de la demande de transport aérien ».  

Pour le constructeur européen Airbus, qui a 65% du marché africain des avions de ligne neufs, les compagnies aériennes du continent auront besoin de 1 100 nouvelles livraisons d’avions de transport de passagers et de fret d’ici 2040. Cela portera la flotte totale à 1 440 appareils, contre 680 en 2019. Cela représente essentiellement une transition vers des appareils de nouvelle génération tels que l’A220, la famille A320neo, l’A330neo et l’A350, apportant une amélioration significative de l’efficacité et une réduction importante des émissions de carbone par passager. La croissance de l’activité́ aérienne en Afrique d’ici à 2040 sera notamment portée par une augmentation moyenne du PIB de 2,8% CAGR sur la période. Un développement qui devrait s’appuyer, ces 20 prochaines années, sur le tourisme et le commerce intra-régional. Airbus prévoit que le trafic aérien en Afrique atteindra le niveau de 2019 entre fin 2023 et début 2025.

Et les innovations pour améliorer l’utilisation des flottes se multiplient : constructeurs et compagnies aériennes développent des initiatives dans ce sens. Pour le financement également, les bailleurs de fonds mettent en place de nouvelles possibilités liées à la compensation de CO².

Un apport fondamental vis-à-vis du secteur des institutions financières de développement consiste à appuyer les maîtres d’ouvrages pour une maîtrise des risques liés aux exigences environnementales et climatiques. Sur ce dernier point, certaines d’entres elles développent par exemple une analyse permettant d’estimer les émissions nettes de CO2  générées/économisées pour chacun des projets qu’elle entend financer (à travers l’outil «Bilan Carbone»). Mais il s’agit sans doute aussi pour ces institutions de rechercher de nouvelles opportunités d’interventions thématiques voire géographiques, de façon à favoriser un secteur aérien plus durable en tenant compte des innovations des acteurs du secteur.

À l’échelle mondiale, le fret dépasse déjà de 9% les niveaux d’avant la crise, et de plus de 23% sur le seul continent africain. Si le fret au départ et à destination de l’Afrique sera multiplié par 2,5 d’ici à 2040, le trafic passagers O&D sur le continent devrait plus que doubler (2,3) également sur la même période.    Ces perspectives s’expliquent par le fait que les moteurs fondamentaux de la demande de trafic restent inchangés : une croissance économique plus rapide que la moyenne mondiale, une population jeune et croissante, l’urbanisation et le développement de la classe moyenne. Le potentiel du transport aérien en Afrique reste important en raison des infrastructures de transport terrestre limitées, de l’abondance des ressources naturelles qui facilitent le commerce et des nombreuses opportunités touristiques.  Au cours des dix dernières années, des améliorations significatives ont été apportées au secteur sur tout le continent, notamment la création du marché unique du transport aérien africain (MUTAA) et la modernisation des flottes des compagnies aériennes nationales. Ainsi, des transporteurs tels qu’Ethiopian Airlines, Air Sénégal, South African Airways, Air Côte d’Ivoire, EgyptAir, Uganda Airlines et Air Tanzania, exploitent aujourd’hui des appareils parmi les plus modernes et innovants au monde, comme l’A350, l’A330neo, l’A320neo et l’A220. La capacité́ de l’industrie aéronautique à favoriser un développement économique en Afrique est indéniable, selon Airbus. Non seulement l’aviation permet aux populations de se déplacer, mais elle favorise également l’intégration régionale, crée des emplois et permet le commerce intérieur, intra-africain et mondial.  

Avec la pandémie, les compagnies africaines ont découvert de nouveaux marchés, le fret. Il faut dire que la crise sanitaire mondiale de Covid-19 a eu pour effet de redessiner la carte mondiale du fret aérien. L’an dernier, la demande internationale a décliné dans toutes les régions, sauf en Afrique où les transporteurs se sont montrés assez résilients.

Les transporteurs d’Afrique détiennent maintenant la même part du marché mondial de fret international que les transporteurs d’Amérique latine (2,4 %), annonçait l’IATA, qui regroupe quelque 290 compagnies aériennes.  En 2020, les transporteurs d’Afrique ont réalisé la plus forte croissance internationale parmi toutes les régions du monde. Pour le seul mois de décembre, la demande internationale, mesurée en tonnes-kilomètres de chargement (CTK), a augmenté de 6,3 % en glissement annuel.  De leur côté, les transporteurs du continent sud-américain ont enregistré une baisse de 20,3% des volumes de fret international. «La reprise du fret aérien dans la région a été affectée par les conditions économiques adverses dans des marchés comme le Mexique, l’Argentine et le Pérou».  La performance des transporteurs africains, quoique marginale, a été soutenue par le dynamisme de l’activité sur le corridor Afrique – Asie.

Afreximbank pousse pour une plateforme de location d’aéronefs

Pr. Benedict Oramah, Président de la Banque Africaine d’Import-Export (Afreximbank

Afreximbank est sur le point de lancer une plateforme qui louerait des aéronefs aux compagnies aériennes africaines, afin de satisfaire les besoins de mobilité et de logistique, dans le cadre du commerce intra-africain. L’institution travaille avec une des compagnies aériennes leaders en Afrique pour mettre en place cette plateforme, parce qu’elle veut retirer aux compagnies africaines qui le souhaiteront le risque financier qui consiste à acquérir ces avions. L’idée est d’équiper des compagnies avec ces avions, sans qu’elles n’aient à prendre de dettes qui pèseraient sur elles. La solution proposée par Afreximbank se veut complémentaire de différentes actions qu’elle dit avoir menées, notamment dans le financement des compagnies aériennes comme Air Ivoire, Ethiopian Airlines, mais aussi des transporteurs aériens au Nigeria. La Banque dit aussi être en discussion avec les compagnies africaines pour réduire la complexité dans les paiements, et favoriser l’ouverture de nouvelles lignes aériennes en Afrique.

Selon une étude produite par la Commission économique pour l’Afrique, il faudrait 243 nouveaux avions au continent pour répondre aux besoins de logistiques par voie aérienne, si la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est effectivement mise en œuvre.