En 2019, l’économiste Mark A. Doumba affirmait que « L’Afrique mérite de meilleures questions pour de meilleures réponses à son développement ». Devant l’échec des approches traditionnelles l’économiste soulignait que le succès des pratiques émergentes dépendra davantage de la qualité des politiques économiques que de « la croissance démographique et des super-cycles des matières premières ».
Le développement des social bonds serait-il une piste permettant de relever l’enjeu de mobilisation des financements à impact sur le contient africain ?
Le dispositif repose sur un cahier des charges élaboré par l’International Capital Market Association (ICMA), une organisation professionnelle internationale représentant des institutions financières parmi lesquelles l’International Finance Corporation. Dotée d’une compétence réglementaire pour le marché des obligations, l’ICMA a défini le social bond comme une obligation finançant exclusivement des projets à impact social positif sur une ou des population(s) cible(s), telles que les personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Ils permettent ainsi de financer des projets d’accès aux infrastructures vitales (eau potable, assainissement, etc.) ou l’accès aux services essentiels (santé, éducation, formation professionnelle, etc.).
Les Social Bond Principles (SBP) créés par l’ICMA et publié en 2017 définissent les quatre piliers de l’émission d’un social bond : l’utilisation des fonds levés par le bond, le processus d’évaluation et de sélection de projet financé, la gestion de fonds alloués et enfin, le reporting.
L’émission par Danone le 18 mars 2018 d’un social bond de 300 millions d’euros sur une durée de 7 ans au taux de 1% figure parmi les premières initiatives notables de la part d’une entreprise multinationale. Les produits de ce fond permettront de financer ou refinancer des projets sociétaux à impacts positifs dans cinq catégories : la recherche et l’innovation pour la nutrition médicale avancée, l’inclusion sociale, agriculture responsable, financement de l’entreprenariat, soins de santé de qualité et soutien parental.
Parmi les projets éligibles dont la liste était finalisée au 31 décembre 2020 figure le projet «Jibu» en Ouganda, Kenya et Rwanda qui permet aux entrepreneurs locaux de démarrer leurs propres franchises d’eau potable. Il représente 550 emplois créés 195 entreprises lancées et plus de 45 millions de litres d’eau potable distribués.
Du côté des « pure players » du financement c’est la Banque Africaine de Développement (BAD) qui figure parmi les acteurs boostant un levier qui fait écho à l’objet même de cette institution financière de développement en Afrique luttant contre la pauvreté et œuvrant pour l’amélioration des conditions de vie sur le continent. En mai 2018, elle a émis avec succès une obligation sociale de 1,25 milliard d’euros avec une échéance à 10 ans. Moins d’une heure après l’ouverture du carnet d’ordres, les investisseurs avaient déjà atteint la somme d’un milliard d’euros et le carnet d’ordre final s’est élevé à 1,7 milliards d’euros, constituent ainsi à ce jour la plus grande obligation de référence en Euro émise par la BAD.
Avec une stratégie sur dix ans, l’institution entend se concentrer sur cinq enjeux prioritaires : l’accès à l’électricité, la transformation agricole, la diversité économique et le développement du secteur privé, l’intégration des marchés régionaux et enfin, l’accès à des opportunités économiques et sociales.
Comme pour les green bonds, les projets sociaux financés s’inscrivent naturellement dans les Objectifs de Développement Durable (ODD) qui suscitent de plus en plus l’attention des émetteurs et investisseurs. La lutte contre la pauvreté, l’égalité des genres, la réduction des inégalités, le travail décent et la croissance économique constituent les ODD les plus régulièrement mis en avant lors de l’émission de social bonds. En ce sens, la BAD a notamment financé à hauteur de 65 millions d’euros la construction de l’autoroute Dakar Diamniadio, permettant ainsi d’améliorer les conditions de vie de nombreux sénégalais (réduction des temps de trajets entre la capitale et la banlieue, construction de deux postes de santé et quatre autres centres sanitaires, etc.) et d’apporter une vraie valeur ajoutée à l’économie sénégalaise.
Malgré la réussite de projets à impact social positif réalisés grâce aux social bonds, ces derniers suscitent néanmoins des critiques facteurs de freins pour les émetteurs et investisseurs. Certains acteurs soulignent notamment le temps d’émission d’un social bond, supérieur à celui d’une obligation classique ; la difficulté de mesurer les impacts sur le terrain ainsi que le fait que les projets à finalité sociale, généralement de montants relativement modestes, n’ont pas la taille critique pour attirer les investisseurs qui privilégient les grosses opérations.
Dans le sillage des Green bonds l’émergence des Social bonds vient donc enrichir la palette d’outils financiers en mesure d’opérer une transition vers une économie mondiale durable. Pour autant, si l’encours des green bonds à fin 2017 avait atteint 155,5 milliards d’euros, celui des social bonds se limitait encore à 8,8 milliards d’euros. Un écart lié en particulier à la difficulté encore non résolue de mesurer les intéractions entre capital financier et capital humain, contrairement aux liens avec le capital naturel mieux renseignés à ce jour.
S’il est encore trop tôt pour tirer des enseignements, nous pouvons d’ores-et-déjà anticiper plusieurs facteurs qui conditionneront l’implication des parties prenantes et l’impact effectif de ces outils :
– un ancrage territorial fort favorisant la prise en compte des spécificités locales et les logiques de filières ;
– une co-construction des projets et leur suivi avec les parties prenantes ;
– un calendrier d’actions clair qui engage ;
– des indicateurs d’impacts intelligibles ;
– la transparence et la pédagogie sur les résultats.
Plus d’information sur MutatioWatch, la note de veille sur les mutations normatives et sociétales liées aux enjeux ESG/RSE sur demande.
Pierre-Samuel Guedj
Président d’Affectio Mutandi
Président de la Commission RSE du CIAN – Conseil Français des Investisseurs en Afrique
0642198455
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