Cette interrogation agite depuis quelques semaines les commentateurs du transport aérien, dont d’ailleurs, je fais modestement partie. Elle part du constat que l’activité est plus ou moins revenue au niveau de 2019, année record s’il en fut. Il suffit de consulter les résultats pour s’en rendre compte : fin juin le nombre de vols commerciaux réguliers était en moyenne supérieur de plus de 4% à celui de 2019. Pour rappel, fin 2020 on était à moins 36%, à moins 20% en 2021 et à moins 12% en 2022.
Certes le nombre de passagers était encore inférieur de 4% en juin, mais le trafic domestique était déjà passé en positif de 2% alors que l’international était encore à la traine à moins 8%. Cette faiblesse du transport international est d’ailleurs entièrement dû au trafic chinois qui affiche -57% pour l’international alors que le trafic domestique est supérieur de 16% à celui de 2019. Et les prévisions montrent une nouvelle progression pour atteindre de l’ordre de 5 milliards de passagers à l’horizon 2026, avec certes une dose d’incertitude, comme il convient à toutes les prévisions.
La tendance à la croissance est d’ailleurs confortée par les énormes commandes d’avions depuis le début de 2023. A la suite du salon du Bourget, 1.459 commandes nettes avaient été enregistrées, après les 1.594 constatées pour toute l’année 2022. Et pendant ce temps, le nombre d’appareils stockés a encore baissé de 15% pour s’établir aux alentours de 4.000 alors qu’il était proche de 16.000 en 2020. Le carnet de commandes des deux plus gros constructeurs ne cesse de grimper à 7.967 pour Airbus et 5.579 pour Boeing soit plus de 13.500 avions pour les deux mastodontes. (Je tire tous ces chiffres du remarquable tableau de bord que le cabinet ID-Aero produit tous les mois). Voilà de quoi sécuriser pendant de longues années les chaines de montage non seulement des constructeurs, mais également des motoristes et des équipementiers. Voilà qui montre une confiance certaine dans l’avenir tout au moins quant aux professionnels du secteur d’activité.
Mais, dans le même temps, il est devenu de bon ton de prêcher une limitation de la croissance du transport aérien, voire même à viser sa stagnation, et pourquoi pas sa diminution. J’en veux pour preuve les mesures de limitation des vols dans de grands aéroports européens, comme Heathrow ou Amsterdam, aux décisions prises par certains gouvernements de réserver le transport aérien aux liaisons pour lesquelles le trajet en train est inférieur à 2h30, et aux taxations diverses qui ne vont pas manquer de frapper le secteur. Le lobby écologiste est en train de montrer son efficacité alors que celui du transport aérien reste encore à constituer entre tous les acteurs qui passent plus de temps à se dénigrer mutuellement qu’à agir de concert.
Et voilà maintenant que des voix s’élèvent pour réclamer un plancher pour les tarifs affichés par les compagnies essentiellement «low cost.» C’est le cas de l’Autriche et plus récemment de la France par l’intermédiaire de son Ministre des Transport Mr Clément Beaune. Je vais peut-être en étonner plus d’un en marquant tout mon intérêt pour de telles mesures. L’affichage de prix qui ne correspondent en aucun cas aux charges, ne serait-ce qu’au montant des taxes, est tout simplement insupportable et ce pour deux raisons. D’abord, pour autant que je sache, la vente à perte est interdite, or l’affichage d’un tarif correspond à la fourniture d’une prestation : un siège dans un avion pour un vol de l’ordre d’une heure, et cette prestation a un coût : en gros, 5 cents d’euros par kilomètre. Avec un trajet de l’ordre de 700 km, il est clair qu’en dessous de 35 euros, cela correspond à de la vente à perte. Et tous les «yield managements» du monde ne pourront pas changer les mathématiques. La deuxième raison est que l’affichage de ces tarifs prédateurs conduit les clients à considérer ces derniers comme une référence et par conséquent à dévaloriser le transport aérien.
Certes les «low costs» ont fait beaucoup pour démocratiser ce mode de transport. Ils doivent être loués et remerciés pour cela. C’est grâce à eux, mais aussi, faut-il le rappeler aux constructeurs qui ont créé des appareils de plus en plus efficaces et de moins en moins consommateurs de carburant, que beaucoup de couches de population ont pu utiliser l’avion. Mais le transport aérien est une activité d’une extrême complexité, qui demande d’énormes capitaux et un savoir-faire considérable de la part de tous les acteurs. Tout cela a un coût et celui-ci doit qu’on le veuille ou non, être supporté par les clients. Les prix ont augmenté de 30% en moyenne entre 2019 et 2023, et c’est très bien. Cela permet au transport aérien de pouvoir financer les énormes moyens qu’il faudra mettre en œuvre pour assurer la neutralité carbone, à la condition, bien sûr que ceux-ci soient mis au service de l’aérien et non du ferroviaire qui doit trouver les ressources pour assurer son propre développement sans piller la recette des concurrents.
Il semble bien que les tarifs soient amenés à rester au moins pour un temps au niveau où ils se trouvent actuellement. Pour autant le transport aérien a fait tellement de progrès depuis qu’il est devenu un transport de masse dans les années 1970, qu’il restera encore accessible à beaucoup de couches de population même si des niveaux minimums tarifaires lui sont imposés.