Le changement de la politique étrangère est défini comme étant toute modification des objectifs, des priorités et des ressources de la politique étrangère d’un État par rapport à l’environnement international ou par rapport à un pays (ou une région) de cet environnement. Cette modification peut aller d’un simple ajustement à une réorientation totale de la politique étrangère. (Charles Hermann)

Mr. El Hassane Hzaine a été Directeur général du Centre Islamique pour le Développement du Commerce (ICDT), l'organe subsidiaire de l'OCI basé à Casablanca, de 2011 jusqu'en novembre 2019.

Par El Hassane Hzaine

Généralement un ajustement intervient lorsqu’un gouvernement en place décide de donner une nouvelle impulsion à la politique étrangère qu’il menait auparavant tandis que la réorientation intervient avec un changement de régime ou avec une transformation de l’État.

Selon l’ampleur et le degré de changement les spécialistes distinguent entre quatre types: les changements d’ajustement ou d’adaptation (changement concernant l’effort et la portée), les changements de programme (des méthodes ou des ressources par lesquelles l’objectif ou le problème est abordé), les changements d’objectifs, les changements d’orientation internationale ; ces différents changements peuvent être le fait du leader; de la bureaucratie, la restructuration nationale ou les chocs externes.

Depuis les indépendances, les systèmes politiques africains ont enregistré une alternance entre régime militaires et régimes civils ou bien des régimes militaires à habillage civil car souvent les chefs des juntes au pouvoir cherchent souvent, après une phase de transition, à légitimer leur pouvoir par le recours aux urnes.

Les pays d’Afrique subsaharienne sont souvent impactés par les chocs externes émanant en particulier de l’ancienne métropole et l’environnement international et régional, ainsi lorsque le Président Mitterrand a été élu en mai 1981 il a décidé de faire évoluer les régimes en place en incitant les équipes en place à introduire des réformes  politiques à travers des conférences nationales (Discours de la Baule), de même les institutions financières internationales et les autres partenaires internationaux imposent souvent des conditionnalités avant l’ouverture de lignes de crédit ou des facilités commerciales  (respect des droits de l’homme etc.).

Récemment, la guerre en Ukraine a secoué le SUD global et l’Afrique puisqu’une nouvelle vague de coup d’Etats a conduit des officiers souverainistes au pouvoir encouragés d’une manière discrète par le groupe paramilitaire russe Wagner qui s’est installé en Libye et en Centrafrique.

L’autre facteur de changement c’est l’apparition d’une nouvelle génération de leaders politiques qui veut rompre avec l’establishment civil et militaire et qui porte les revendications populaires ; en effet, la plupart des crises politiques et des guerres civiles qui déchirent l’Afrique subsaharienne, en particulier francophone, sont une conséquence directe ou indirecte, soit d’une alternance politique mal négociée ou bloquée, soit d’une mauvaise gouvernance ou encore d’un pouvoir sans fin de mandat.

La plupart des systèmes politiques en place, à quelques exceptions près, ne permettent pas une alternance des forces vives de la nation notamment une circulation des élites de différentes ethnies ni de moyens démocratiques pour contrebalancer le bloc au pouvoir ou exprimer des revendications légitimes. Quelques havres de stabilité virent le jour tout de même dans les pays ayant réussi à assurer leur cohésion sociale et une relative prospérité économique et qui se sont dotés d’institutions fortes (appareil militaire professionnel, justice indépendante, société civile forte). (cas du Sénégal, du Kenya, du Botswana, de la Côte d’Ivoire, à titre d’exemple).

L’armée qui est la force la plus organisée joue un rôle nodal sur la scène politique en Afrique et souvent ce sont les coups de force et les interventions des militaires qui deviennent le modus operandi du changement politique et l’alternance alors que le changement par les urnes demeure un phénomène rare. l’intrusion de l’armée dans le champ politique n’est qu’une manifestation de la crise de la régulation politique et le malaise social.

Une nouvelle génération d’élite militaire et civile à l’assaut du pouvoir

Que ça soit le fait de militaires ou de civils, par la force ou par les urnes, le changement politique a impacté d’une manière directe la politique étrangère des pays concernés.

En effet, la nouvelle vague de coup d’états qui vit le jour depuis 2020 se distingue des précédentes par les changement opérés par la nouvelle équipe au niveau des alliances extérieures et l’orientation de la politique étrangère, si l’on prend l’exemple du Mali et du Burkina Faso et récemment du Niger, les chefs de la junte ont demandé le retrait des troupes étrangères de leur sol et cherché discrètement la protection de Moscou à travers la sollicitation des services du groupe russe Wagner à l’instar de la République Centre Africaine, de même qu’ils opérèrent des changements des codes miniers pour augmenter les recettes de l’état au détriment des compagnies étrangères.

Les dernières élections du 24 Mars 2024 en République du Sénégal, qui annoncent une nouvelle vague de changement par les urnes en Afrique, est très singulière d’abord par l’alternance relativement sereine entre le Président Macky Sall et le nouveau locataire du palais présidentiel le Président Bassirou Diomaye Faye ; l’autre singularité des dernières élections au Sénégal ce sont les annonces faites pendant la campagne électorale par le candidat Bassirou Diomaye Faye qui a promis de rétablir la souveraineté de son pays notamment en revisitant l’appartenance à la zone du Franc CFA et en renégociant les contrats pétroliers et gaziers ainsi que les accords de pêche, conclus par le passé.

Cela ne va pas sans nous rappeler les leaders nationalistes africains des années soixante, en particulier Feu le Roi Mohammed V, Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah ainsi que le mouvement des officiers libres ou « souverainistes » en Egypte et d’autres pays arabes, ou encore certains changements politiques en Amérique latine des pays appartenant à la mouvance Bolivarienne. Ces leaders  qui avaient comme point commun la volonté de parfaire le processus de décolonisation par l’adoption de mesures de nature à restaurer la souveraineté nationale politique économique et diplomatique notamment en demandant le départ des troupes étrangères de leur sol, en nationalisant ou en assurant le contrôle des principales sources de richesse de leur pays (nationalisation du canal de Suez , récupération des mines et des terres agricoles) et en assurant l’indépendance monétaire en créant des Banque centrales et une monnaie nationale. Sur le plan diplomatique ces leaders ont pris leur distance des anciennes métropoles dans un premier temps avant de créer le mouvement des pays non alignés qui exprimera leurs revendications sur la scène internationale et en appelant à l’unité du tiers monde (panafricanisme, panarabisme, tricontinentale).

Le réveil tardif de l’Afrique n’a pas que des inconvénients à savoir une indépendance en demi-teinte (pillage des richesses du pays pendant plus d’un demi-siècle par divers acteurs extérieurs, etc.) il a également un avantage de taille c’est qu’ils peuvent tirer les leçons des expériences passées et ne pas tomber dans leurs erreurs des régimes « souverainistes » qui se proclamaient du socialisme et du nationalisme économique mais qui ont raté leur développement économique et ont versé dans la démagogie et la conflictualité avec leur voisinage.

Il serait également judicieux de s’inspirer des expériences réussies du changement politique et de la gestion des relations avec les grandes puissances notamment le modèle marocain et malaisien de coexistence de plusieurs communautés, qui pourraient inspirer ces nouvelles élites civiles et militaires :

S’agissant de l’expérience Marocaine la plus proche des valeurs et des traditions africaines on peut mettre en exergue les mesures suivantes pour perdurer la stabilité et rassurer les partenaires internationaux :

  • Tout d’abord il faudrait procéder à une réconciliation nationale en instaurant une justice transitionnelle et en réparant les préjudices.
  • Ensuite, les autorités en exercice devraient introduire des réformes constitutionnelles profondes, si besoin ait, qui permettraient aux différents mouvements d’opposition et acteurs de s’exprimer sur la scène politique à travers des institutions élues démocratiquement. La réforme constitutionnelle devrait tenir compte des particularismes régionaux et ethnique en instaurant un système de régionalisation avancée permettant aux régions de gérer leurs affaires intérieures dans le strict respect de l’unité et l’intégrité territoriale du pays et interdire tout mouvement séparatiste.
  • Ensuite, il est impérieux pour les pays africains de procéder à des ajustements progressifs de leurs politiques étrangères sans changement de cap radical ou brutal, en suivant une politique de non dépendance entre les différentes puissances ; l’exemple du Maroc est très éloquent dans ce sens, il a progressivement changé de cap en diversifiant ses partenaires et ses alliances. La politique de diversification des partenaires et de non dépendance économique serait salutaire car il ne faudrait pas substituer un colonisateur par un autre.
  • Sur le plan diplomatique l’Afrique excelle certes dans le non alignement classique ; la preuve en est le vote des résolutions sur la guerre en Ukraine et la posture de neutralité dans ce conflit qui a permis, entre autres, à l’Afrique de maintenir les approvisionnements en céréales via des corridors maritimes agrées par les protagonistes sous couvert de l’ONU. Mais cela n’est pas suffisant il faudrait poursuivre une politique de non alignement active ou de multi alignement ; j’entends par là la nécessité d’adapter les positions en fonction des données du moment sans sombrer longtemps dans les zones grises (hedging) avec les principaux acteurs régionaux et internationaux.

Vers une nouvelle configuration de la région ouest africaine et du Sahel

Il n’y a aucun doute que l’accumulation des changements politiques dans la région ouest africaine contribuera à une nouvelle configuration géo politique car plusieurs acteurs extérieurs attendent avec impatience la pacification et la stabilisation de la région pour investir et exploiter richesses inestimables dont elle regorge notamment les minerais stratégiques et les sources d’énergie verte qui serviront la future révolution industrielle verte.

Avant l’arrivée de nouveaux partenaires, il faudra non seulement pacifier et sécuriser mais surtout il est impérieux de mettre en place les infrastructures (ports, autoroutes, voies ferrés etc.) et désenclaver la région du Sahel.

Dans ce contexte parmi les projets structurants de la région qui anticipent l’avènement d’investissements étrangers d’une nouvelle génération figurent les trois initiatives lancées par le Royaume du Maroc à savoir : le projet de gazoduc entre le Nigéria et le Maroc qui traverse plusieurs pays de la CEDEAO, le Processus des États africains atlantiques (PEAA), et la dernière initiative en date consistant à accorder aux nations du Sahel un accès à l’océan Atlantique. Ces deux dernières initiatives sont de toute première importance car elles contribueront à facilitation du commerce et à l’harmonisation des politiques à l’égard des partenaires étrangers notamment en mettant en commun les moyens juridiques économiques et politiques pour une exploitation des ressources (minières, halieutiques ou autre) d’une manière durable, respectueuse de l’environnement et socialement responsable qui profite avant tout aux populations africaines.

 

Article publié pour la première fois sur Afrimag