Les penseurs libéraux (David Mitrany, Ernst Haas) concepteurs de la théorie libérale de la paix suggèrent que le processus d’intégration régionale contribue à la paix en réduisant les tensions territoriales et les conflits et en augmentant le bien-être et la prospérité dans l’espace communautaire. Le processus d’intégration vise à remplacer la politique de puissance des États par une dynamique coopérative basée sur l’organisation de services publics internationaux communs. Les États qui choisissent de coopérer dans un secteur sont contraints par un effet de contagion graduel d’étendre leurs interactions à d’autres secteurs. Le processus d’intégration se renforce avec le temps et favorise la fin des conflits.

Le processus d'intégration vise à remplacer la politique de puissance des États par une dynamique coopérative basée sur l'organisation de services publics internationaux communs. Les États qui choisissent de coopérer dans un secteur sont contraints par un effet de contagion graduel d'étendre leurs interactions à d'autres secteurs. Le processus d'intégration se renforce avec le temps et favorise la fin des conflits.

Par El Hassane Hzaine

Toutefois, la rivalité est souvent transposée au sein des organisations d’intégration régionale censées pourtant réduire les conflits et les antagonismes, en particulier dans les pays du Sud, où les acteurs étatiques cherchent à maximiser leur pouvoir relatif et à préserver leur autonomie.

La logique du régionalisme repose sur les trois postulats suivants :

✓ Tout d’abord, l’intégration régionale dans un espace de marché élargi peut améliorer considérablement l’efficacité commerciale, faciliter la division du travail et les complémentarités et stimuler la croissance économique dans la région. Cette approche est principalement axée sur l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires au commerce et à l’investissement et sur le partage des biens publics.

✓ L’intégration économique régionale peut aider à surmonter les différences politiques et même à réduire le risque de confrontation militaire dans la région afin que davantage de ressources puissent être canalisées vers le développement économique.

✓ L’intégration régionale peut créer des réponses conjointes aux défis transfrontaliers communs, aux menaces et aux chocs externes, tels qu’un mécanisme de défense collective et l’exploitation conjointe des ressources, ou lutter contre l’impact du changement climatique comme la désertification, etc.

– Ces derniers temps, le Maghreb a connu des développements importants : l’Algérie a initié une alliance trilatérale en avril 2024, impliquant la Tunisie et la Libye, tandis que la Tunisie a reporté la nomination d’un nouveau secrétaire général de l’UMA et s’est écartée de sa politique de neutralité vis-à-vis du Sahara marocain en s’alignant sur l’Algérie. Les observateurs estiment que ces événements seraient motivés par des objectifs géopolitiques visant à isoler le Royaume du Maroc qui est monté en puissance depuis 2014 et qui a lancé de nouvelles initiatives d’intégration en Afrique.

Néanmoins, il semble y avoir un fléchissement de la position de la République Tunisienne suite à la décision de son Président SE Kais Saied de nommer Tarek Ben Salem comme nouveau secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe, pour un mandat de trois ans à compter du 1er juin 2024, en remplacement de Taieb Baccouche, décision interprétée par l’Algérie comme une victoire car le prédécesseur de Tarek Ben Salem était perçu comme «pro-marocain.»

Il est notoire que le Maghreb est fortement influencé par l’état des relations entre le Maroc et l’Algérie, qu’il s’agisse de confrontation ou de détente. La rivalité entre ces deux pays a entraîné des conséquences négatives, notamment l’échec des efforts d’intégration régionale. En conséquence, le Maghreb demeure la région la moins intégrée d’Afrique et du monde, selon les données de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement.

Dommages collatéraux des rivalités au Maghreb : revers de l’intégration régionale

Le Maghreb est la région la moins intégrée d’Afrique et du monde en raison des divergences idéologiques et des différends territoriaux entre les deux poids lourds de la région qui ont entravé le processus d’intégration régionale qui aurait pu être une solution idéale pour diluer les animosités et les rivalités, un peu comme l’intégration européenne qui a résolu la rivalité entre la France et l’Allemagne.

En effet, la rivalité durable entre l’Algérie et le Maroc a gravement entravé l’intégration maghrébine, entraînant des revers répétés pour les efforts de coopération régionale comme la CPCM et l’UMA. Les hésitations de l’Algérie, en partie motivées par les craintes de concurrence et de suprématie économiques marocaines et tunisiennes, ont joué un rôle important, le conflit du Sahara marocain a compliqué la situation et attisé la rivalité.

Certes, le différend n’est que la partie visible de l’iceberg, car le problème sous-jacent est la concurrence stratégique entre les deux pays. L’Algérie vise à assurer son leadership et devenir l’hégémon du Maghreb en empêchant le Maroc de recouvrer son intégrité territoriale et en le confinant aux frontières laissées par les colonisateurs, qui l’avaient amputé de plusieurs provinces, y compris entre autres les provinces sahariennes du sud.

Le Comité Permanent Consultatif du Maghreb (CPCM) 1964-1975 : un projet d’intégration mort-né

Quatre pays – la Tunisie, le Maroc, l’Algérie et la Libye – ont créé la CPCM en 1964 pour initier l’intégration économique, ce projet a été encouragé par la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et en particulier son secrétaire exécutif Mr Kardiner. Le CPCM est né d’un besoin de coopération économique du Maghreb, en partie en réponse au projet d’union douanière de la Communauté économique européenne au début des années 1960 (environ 70 % des échanges économiques du Maghreb se faisaient avec l’UE) qui menaçait les économies maghrébines qui dépendent de l’accès au marché de la CEE dans le cadre de préférences commerciales spéciales.

Les trois tâches que s’est assignées le comité, à savoir l’harmonisation douanière pour développer les échanges économiques intra-maghrébins, l’harmonisation des secteurs secondaire et tertiaire et la coordination des relations avec la Communauté économique européenne, ont été difficilement accomplies. Le comité fut dissous en 1975, principalement en raison du conflit au Sahara marocain et des différences de modèles de développement entre l’Algérie socialiste et le Maroc et la Tunisie, qui avaient suivi la voie du libéralisme économique.

Aucun des objectifs du CPCM n’a été atteint en raison des rivalités et des différences idéologiques entre les poids lourds du Maghreb. Le colonel Mouammar Kadhafi n’était pas d’accord avec les autres chefs d’État en raison de son alignement sur l’Égypte, tandis que le Président algérien de l’époque et son ministre de l’Économie accusaient le Maroc et la Tunisie de favoriser la pénétration du capital étranger occidental au Maghreb.

L’Union du Maghreb arabe (UMA) : une organisation en situation d’inertie

Une nouvelle ère de détente intermaghrébine a ouvert la voie, le 17 février 1989, à une rencontre historique des chefs d’État de l’Algérie, de la Libye, du Maroc, de la Mauritanie et de la Tunisie à Marrakech, où ils ont signé le traité fondateur de l’Union du Maghreb arabe (UMA). L’émergence de l’UMA est intrinsèquement liée aux événements en Europe, notamment l’Acte unique européen de 1986, aux défis posés par l’islamisme radical, notamment en Algérie avec le Front islamique du salut, et en Tunisie avec le mouvement Ennahda, ainsi qu’à la realpolitik des dirigeants maghrébins.

L’UMA est une tentative de construire un marché économique commun pour les pays membres. Elle peut également être qualifiée de communauté de sécurité, puisque l’article 14 stipule que « toute agression à laquelle l’un des États membres est exposé sera considérée comme une agression contre les autres États membres ». L’article 15 ajoute que « Les États membres s’engagent à ne permettre sur leur territoire respectif aucune activité ou organisation qui menace la sécurité, l’intégrité territoriale ou le système politique de l’un quelconque des États membres. Ils s’engagent également à ne pas adhérer à un pacte ou à une alliance militaire ou politique dirigée contre l’indépendance politique ou l’unité territoriale des autres États membres. »

– Suite à l’accession au trône de S.M. le Roi Mohammed VI au Maroc, l’élection du Président Abdelaziz Bouteflika en Algérie et la levée de l’embargo de l’ONU sur la Libye, les cinq membres ont relancé le processus de l’UMA en avril 1999, mais il a été ébranlé, une fois encore, par la crise des relations maroco-algériennes et la fermeture des frontières en 1994 suite à l’attentat perpétré contre l’hôtel Atlas Asni à Marrakech.

Malgré la conclusion de 37 conventions et accords en matière économique et commerciale, les réalisations de l’UMA ont été très maigres, loin des attentes et des objectifs d’intégration envisagés par ses fondateurs. Nous ne pouvons citer que quelques initiatives réussies, telles que la création de l’Union maghrébine des employeurs (UME) en février 2007, l’Union maghrébine des foires en janvier 2008 et la Banque maghrébine d’investissement et de commerce extérieur (MBIFT) fondée en décembre 2015 avec un capital modeste de 500 millions USD.

Il est évident que la rivalité a engendré d’importants dommages collatéraux, entraînant des revers répétés dans le processus d’intégration maghrébine, comme en témoignent la dissolution de la CPCM et l’inertie de l’UMA. Ces revers sont principalement attribuables aux tergiversations de l’Algérie, qui a promu l’idée d’un « Maghreb des peuples », suggérant qu’une intégration maghrébine véritable n’était pas envisageable sous les régimes actuels. Au-delà des discours, l’Algérie a toujours redouté les économies plus compétitives du Maroc et de la Tunisie, craignant qu’une libéralisation des échanges ne permette à ces dernières de conquérir le marché algérien, au détriment des industries locales. De plus, l’Algérie a toujours exprimé des inquiétudes quant à une possible revendication du Sahara oriental par le Royaume du Maroc, une fois le conflit du Sahara occidental résolu.

Quelles nouvelles voies pour la renaissance du Grand Maghreb ?

Malgré son implication dans les nouvelles initiatives atlantiques, le Maroc n’a pas négligé le processus de l’UMA, la nouvelle stratégie d’intégration est compatible à la fois avec l’UMA et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), elle complète ces deux accords régionaux et peut aider à relever les défis géopolitiques.

Lors du 33ème Sommet de la Ligue des Etats Arabes tenu à Manama en mai 2024, S.M. le Roi Mohammed VI a souligné dans un message, dont la lecture a été donnée par le Chef du Gouvernement Aziz Akhannouche, que :

« Nous constatons, à notre grand regret, que la complémentarité et l’intégration économiques entre les pays de notre Organisation demeurent en deçà de nos attentes, même si nos Etats disposent de tous les atouts pour y parvenir.[…]

Dans ce contexte, Nous ne pouvons que déplorer, une fois de plus, le fait que l’Union du Maghreb Arabe ne remplisse pas le rôle naturel qui lui revient, en appui au développement commun des Etats maghrébins, en garantissant, notamment, la libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services entre ses cinq pays membres. »

Quelle vision réaliste pour redynamiser l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ?

La relance de l’Union du Maghreb arabe (UMA) est subordonnée à la réalisation d’un ensemble de conditions préalables essentielles :

Tout d’abord, la revitalisation de l’UMA passe par la mise de côté du différend entre le Maroc et l’Algérie sur le Sahara marocain, qui est en passe d’être résolu au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a reconnu le Plan d’autonomie proposé par le Royaume du Maroc en 2007 comme la seule solution sérieuse et crédible.

Deuxièmement, il est également d’une importance vitale de rouvrir les frontières et de reprendre les relations diplomatiques entre Rabat et Alger, cela peut faciliter les visites diplomatiques et la participation des deux pays aux réunions et événements organisés au siège de l’UMA à Rabatet en Algérie ;

Troisièmement, comme l’a souligné S.M. le Roi Mohammed VI, «il convient d’adopter une approche réaliste qui croit en l’idée de construire un projet commun et respecte les principes de bon voisinage, de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale des pays. Il importe aussi de se garder de toute ingérence dans leurs affaires, et de s’abstenir d’alimenter les velléités de division et de séparatisme.» (Discours au 33e Sommet de la Ligue des États arabes, Manama, 15 mai 2024)

Il est indéniable que la stratégie actuelle de l’UMA, conçue selon le paradigme traditionnel de l’intégration régionale inspiré du modèle de Bela Balassa et de l’expérience européenne, n’est pas pleinement adaptée aux réalités géopolitiques du Grand Maghreb. Une approche plus pragmatique est nécessaire, et à cet égard, la nouvelle stratégie marocaine d’intégration africaine, illustrée par les initiatives royales atlantiques, pourrait servir de base solide pour redynamiser l’UMA à plusieurs titres :

✓ Cette approche ne remet pas indéfiniment les résultats tangibles tant attendus, qui sont constamment repoussés. Les domaines prioritaires de coopération sélectionnés peuvent conduire à des résultats immédiats. Ainsi, l’UMA peut initialement se concentrer sur les questions transversales auxquelles tous les pays sont confrontés, en mettant en avant la sécurité alimentaire, le transport et la logistique, le changement climatique, les migrations illégales, le terrorisme et la criminalité, entre autres

✓ Elle donne la priorité aux projets régionaux en tant qu’outil pour booster l’intégration notamment à travers des pipelines et le gazoduc et des corridors vers l’atlantique, la connectivité et la coopération dans le domaine des transports et de la logistique etc. ;

✓ Elle est basée sur un « régionalisme ouvert », elle est inclusive, les initiatives marocaines favorisent les synergies et le partenariat avec d’autres régions comme le Sahel et l’Atlantique Nord. Dans cette optique, nous pensons que l’UMA devrait être progressivement ouverte à l’adhésion aux pays du Sahel et au Sénégal conformément à l’article 17 du Traité de Marrakech.

✓ Enfin, le cadre institutionnel souple efficace du Processus des États d’Afrique atlantique (PSAA), qui ne comporte qu’un secrétariat permanent et des coordonnateurs, pourrait servir de modèle pour la mise en place de nouveaux projets et/ou institutions de coopération de l’UMA. Cette approche vise à réduire les charges financières pesant sur les États et à atténuer les différends sur les structures institutionnelles.

Quatrièmement, le rôle clé des institutions dans l’intégration régionale a été largement reconnu par les universitaires(SIOTIS). Trouver un équilibre entre les intérêts des pays d’origine et la réalisation des objectifs collectifs des organisations internationales reste un défi important pour les secrétariats et les fonctionnaires internationaux. À cet égard, le Secrétaire général et le personnel de l’UMA portent une lourde responsabilité sur leurs épaules ; ils doivent redoubler d’efforts et donner la priorité aux intérêts collectifs de la communauté avant tout et rester libres de toute influence de leurs pays d’origine.

Je pense que les paramètres de recrutement devraient être révisés en sélectionnant de nouveaux profils de haut niveau, en particulier des technocrates expérimentés dans le travail dans des contextes multilatéraux et les organisations internationales. Il va sans dire que le règlement des arriérés de contribution obligatoires et l’augmentation du budget du Secrétariat de l’UMA ainsi qu’une recapitalisation de la Banque maghrébine d’investissement et de commerce extérieur (MBIFT) sont d’une importance capitale.

Cinquièmement, il est également urgent de réévaluer certains protocoles et programmes tout en préservant la structure décisionnelle globale et les principes établis par le Traité de Marrakech. La priorité devrait être accordée à la mise en œuvre des protocoles et programmes de l’agenda de l’UMA les plus faciles à implémenter. Cette approche consiste à reporter à une étape ultérieure les questions les plus complexes et difficiles, telles que l’établissement de la zone de libre-échange ou de l’union douanière.

Enfin, il est également impératif que les acteurs régionaux et internationaux, notamment l’UE, adoptent une nouvelle approche proactive et coordonnée pour soutenir le développement économique du Grand Maghreb et encourager le changement de paradigme du processus d’intégration.

 

Article publié pour la première fois sur Afrimag