Depuis sa création, à Rabat il y a 55 ans en septembre 1969, à la suite de l’incendie criminel perpétré par un extrémiste contre la Mosquée Al-Aqsa, l’Organisation de la coopération islamique (OCI) a tenu quinze sommets au niveau des souverains et des chefs d’État ou de gouvernement, le dernier en date venant de s’achever à Banjul en Gambie

Tout d’abord, il convient de noter que le Sommet islamique est l’organe décisionnel suprême ; la nouvelle Charte de l’OCI, adoptée lors du 11ème Sommet tenu à Dakar en 2008, stipule que le Sommet islamique se réunit une fois tous les trois ans dans l’un des Etats membres, délibère et prend des décisions politiques, fournit des conseils sur toutes les questions liées à la réalisation des objectifs énoncés dans la Charte, et discute d’autres questions d’intérêt commun pour les Etats membres.

En règle générale, le projet d’ordre du jour et les projets de résolution, ainsi que la déclaration et le communiqué final, sont préparés par les hauts fonctionnaires et les représentants permanents au siège de l’Organisation, puis examinés et/ou renégociés, si nécessaire, lors de la réunion préparatoire au niveau des ministres des Affaires étrangères précédant le sommet.

La pratique a peu changé depuis la création de l’OCI ; Parmi les innovations, on peut noter que le sommet se concentre uniquement sur la négociation de décisions stratégiques, telles que le programme d’action décennal, tout en laissant les décisions opérationnelles, telles que les questions administratives et financières, au Conseil des ministres des Affaires étrangères.

Quels sont les points forts de ce sommet, en quoi diffère-t-il des précédents, quelles sont les nouveautés ?

Comme prévu, le sommet a adopté trois documents : la Déclaration de Banjul, le Communiqué final et une résolution sur la cause palestinienne et Al-Qods Al-Charif lors de la séance de clôture présidée par le Président de la Gambie, S.E. M. Adama Barrow.

AhmedToufiq

Le ministre des Habous et des Affaires Islamiques, Ahmed Toufiq, lors de la cérémonie d’ouverture du 15ème sommet de l’OCI

Parmi les résultats les plus remarquables du Sommet de Banjul, on peut citer la résolution sur la question de la Palestine et d’Al Qods Al Charif, ainsi que plusieurs paragraphes du Communiqué final et de la Déclaration de Banjul qui ont transmis un message fort à Israël et à la communauté internationale dans son ensemble lorsqu’ils appellent à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel et à la cessation de l’agression totale contre le peuple palestinien à Gaza et mettent en garde contre le danger de poursuivre le crime de génocide et de nettoyage ethnique

L’autre résolution notable du sommet est l’appel à la mise en œuvre de l’actuel «Programme d’action OCI-2025» et l’appel à entamer des consultations entre les États membres et les organes de l’OCI pour concevoir un nouveau Programme d’action 2026-2035.

Dans ce contexte, il y a lieu de mettre en exergue le discours retentissant et très fort adressé par SM Mohammed VI Roi du Maroc au 15ème sommet de l’OCI, tenu à Banjul les 4 et 5 mai derniers, qui sort des sentiers battus et qui transcende le genre de discours protocolaire, dont lecture a été donnée par le ministre des Habous et des Affaires Islamiques, Ahmed Toufiq, lors de la cérémonie d’ouverture. 

En effet, loin d’être un simple discours protocolaire de circonstance, il doit être interprété comme un discours d’orientation, une feuille de route complète, pour la réforme et le renouvellement de l’OCI de par la richesse des messages dont il regorge sur tous les défis auxquels est confrontée la Oumma Islamique et l’Afrique, aussi bien la question centrale de la Palestine et du conflit du Moyen-Orient, les défis climatiques, sécuritaires, et les défis économiques dus au nouveau contexte géopolitique induit par la guerre en Ukraine et à Gaza et de la pression sur les chaînes d’approvisionnement mondiales et les risques qui pèsent sur le transport et la navigation maritimes.  

D’ailleurs, le discours n’a pas tardé à produire ses effets puisque le sommet a fait écho aux messages exprimés dans l’allocution de S.M. le Roi Mohammed VI dans les trois documents La Déclaration de Banjul, la résolution sur la Palestine et le Communiqué Final. (disponibles sur le site de l’OCI).

A cet égard, il convient de noter que le Sommet n’a pas seulement salué les efforts du Comité Al-Qods, présidé par SM le Roi Mohammed VI, pour sauvegarder les lieux saints islamiques à Al-Qods Ach-Charif et le rôle important joué par l’Agence Bayt Mal Al-Qods Ach-Charif ; mais il a également exprimé son appréciation et sa satisfaction à l’égard des nombreuses initiatives multilatérales prises par le Royaume du Maroc dans divers domaines, notamment de médiation diplomatique pour résoudre les conflits, sécuritaire, économique, culturel et humanitaire. Les contributions du Royaume du Maroc ont été citées plus d’une cinquantaine de fois dans le communiqué final avec en figure de proue les trois initiatives afro-atlantiques à savoir : le processus de partenariat entre les pays africains riverains de l’océan Atlantique (23 pays dont 13 sont membres de l’OCI), l’initiative d’accès des Etats du Sahel à l’océan Atlantique (les quatre pays font tous partie de l’OCI) et le projet de gazoduc Maroc-Nigeria.

Certainement les ondes de ce discours vont retentir dans les prochaines années à l’instar du Discours prononcé, sur un autre sujet, à Abidjan en 2014. Le discours de Banjul lance un véritable appel pour changer le paradigme de fonctionnement de l’organisation en appelant l’OCI :

✓ à redoubler d’efforts et à multiplier les initiatives à l’endroit de Pays africains les moins avancés pour les faire bénéficier des programmes et des plans de développement adoptés par les différentes instances de l’OCI ;

✓ à dépasser les paroles, la rhétorique et les bonnes intentions et s’orienter davantage vers la réalisation de «projets concrets dans le noble dessein de concourir à la paix et à la sécurité internationale, au développement durable, à la prospérité et au bien-être collectif.» (dixit SM le Roi Mohammed VI) ;

✓ à effectuer une évaluation réaliste et constructive des mécanismes de mise en œuvre du programme d’action décennal de l’OCI et «l’adoption d’approches renouvelées et de programmes innovants et réalisables»dans le but d’atténuer l’impact des crises. (dixit SM le Roi Mohammed VI) ;

✓ à l’accroissement de la part du commerce intra-communautaire et à lever les obstacles qui l’entravent et l’amélioration et l’harmonisation du cadre juridique des investissements et du commerce pour une meilleure intégration commerciale et surtout «productive» seule à même de soutenir l’expansion du commerce intra-OCI d’une manière pérenne et durable ;

✓ à opérer un saut qualitatif en matière d’actions de lutte contre le phénomène d’extrémisme et les discours de haine par un appel «à la vigilance, à la fermeté et à la coordination» (dixit SM le Roi Mohammed VI) à l’instar de la résolution proposée par le Royaume du Maroc adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Générale de l’ONU le 25 juillet 2023.

Le besoin persistant d’une réforme de l’OCI 

Dans le même esprit du Discours du Royaume du Maroc, S.A.R. le Prince Faisal bin Farhan Al-Saud, Ministre des Affaires étrangères du Royaume d’Arabie Saoudite, a pour sa part souligné dans son allocution l’importance de la restructuration et de la revitalisation de l’organisation en rappelant le plein soutien de son Pays aux efforts de réforme globale, visant à élever l’OCI à une position plus importante au niveau international, confirmant sa place de la deuxième plus grande organisation internationale après l’ONU.

En effet, l’OCI a besoin d’une évaluation en profondeur de ses programmes et de ses stratégies opérationnelles pour fournir une assistance aux pays membres, en particulier aux pays les moins avancés (PMA) et à la Palestine. Cette évaluation devrait accorder la priorité aux projets et initiatives concrets et de dimension régionale plutôt qu’à la simple rhétorique et aux bonnes intentions ou à la limite aux projets nationaux ou locaux à faible impact sur l’intégration et la complémentarité intra-communautaire.

À cet égard, il convient de noter que de nombreuses tentatives ont été faites pour réformer l’OCI. Une initiative notable a été mise en avant par la Malaisie lors du 7e Sommet de l’OCI qui s’est tenu à Casablanca, au Maroc, en 1994, et qui s’est soldée par un audit organisationnel et à des recommandations de la part du cabinet international «Accenture.»

Depuis l’an 2000, plusieurs rénovations ont été initiées par les Secrétaires Généraux successifs (du Maroc, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite), notamment la révision de la Charte de l’OCI en 2008 et la mise à jour des règlements financiers et du statut du personnel et des règles de procédure. L’initiative la plus récente en date a eu lieu en 2018, avec des séances de brainstorming en vue d’une réforme globale qui se sont tenues à Djeddah et à Dacca. Toutefois, le Conseil des ministres des Affaires étrangères a décidé de suspendre toutes les réunions liées aux réformes jusqu’à ce que le Secrétaire Général mène les consultations nécessaires avec les États membres.

Tout effort de réforme futur devrait aller au-delà de l’amendement fragmentaire des règlements et procédures financiers et administratifs, au lieu de cela, il faudrait adopter une approche globale qui passe au crible tout le système de l’OCI. Le réalisme politique voudrait qu’on se focalise sur la restructuration des institutions opérationnelles tout en préservant la structure décisionnelle globale. Par exemple, les organes subsidiaires pourraient migrer vers des institutions spécialisées, rationalisant ainsi le système actuel à quatre niveaux (y compris les universités islamiques et les bureaux à l’étranger) en deux catégories : les institutions spécialisées et les institutions affiliées.

En outre, il est essentiel de finaliser le cadre organisationnel en créant un organe judiciaire, connu sous le nom de «Cour islamique internationale de Justice», et en veillant à sa promulgation officielle. Cette instance pourrait innover et créer un service juridique spécialisé (dans son règlement interne) pour se prémunir et faire des plaidoiries contre l’atteinte à l’image de l’Islam et ses symboles en Occident ou ailleurs. Une dynamisation des bureaux de l’OCI à l’étranger et des groupes OCI à Genève New York et Bruxelles est d’une égale importance que le reste des mesures suggérées.

Les initiatives de réforme doivent également s’attaquer au problème de la duplication et améliorer la coordination entre les institutions de l’OCI. Cela nécessite une décentralisation et une rationalisation, impliquant, si besoin est, le transfert des compétences du Secrétariat Général aux Comités Permanents et aux institutions spécialisées concernées. 

En termes de coopération économique, l’OCI est quelque peu à la traîne, en particulier par rapport à la Zone de Libre-échange africaine. Le régime de préférences commerciales de l’OCI (SPC OCI) n’a pas eu l’impact significatif attendu sur le commerce intra-communautaire pour plusieurs raisons :

✓ son champ d’application limité des produits, ne couvrant que 7 % des lignes tarifaires ;

✓ Plusieurs pays qui pèsent dans l’échiquier économique n’ont pas ratifié l’accord et ses protocoles ;

✓ Les pays préfèrent encore utiliser les accords préférentiels bilatéraux (ZLE) ou bien utiliser le régime commun de l’OMC plus simple.

Il est donc urgent de lancer de nouvelles négociations pour élargir la couverture des produits et réduire les droits de douane. Étant donné que le SPC OCI comprend un mode accéléré, nous pouvons lancer un cycle de négociations sur une base volontaire pour régler ces questions.

En outre, un effort particulier sera fait par le COMCEC et le Secrétariat Général pour persuader certains pays d’adhérer à l’Accord SPC-OCI, à savoir : l’Indonésie, le plus grand pays de l’OCI en termes de population, membre de l’ASEAN et du G20 ; les pays d’Afrique de l’Ouest et les États membres de l’OCI d’Asie centrale (Républiques de la CEI) comme l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.

En ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, le Sénégal est le seul pays d’Afrique de l’Ouest à avoir ratifié l’Accord SPC OCI, mais il n’a pas pu participer aux négociations commerciales en tant que membre à part entière car il n’a pas reçu la dérogation de l’Union économique et monétaire ouest-africaine qui est une union douanière depuis l’an 2000. Le Nigeria est dans une situation similaire : il a besoin d’une dérogation de la CEDEAO pour adhérer au régime préférentiel de l’OCI.

Comme il a été mentionné dans le discours de S.M. le Roi Mohammed VI, il est urgent de «consacrer plus d’attention et de soin aux pays membres africains les moins développés de l’OCI afin de les aider à relever les différents défis qui affectent leur développement et leur progrès.»

En effet, les pays les moins avancés constituent environ 40% des États membres de l’OCI et une partie importante de l’Union africaine. Par conséquent, il est urgent de rationaliser et de revisiter les programmes épars d’assistance technique actuels où les agences de l’OCI travaillent en vase clos. Cet objectif peut être atteint grâce à un cadre intégré multi-institutions doté d’un fonds spécial de développement dans le but de remédier aux insuffisances des pratiques actuelles d’assistance technique fragmentées et dispersées.

Une attention particulière devrait être accordée également à la recapitalisation du Groupe de la Banque islamique de développement (BID) afin de faciliter la collecte de fonds pour les grands projets et les initiatives qui attendent leur exécution. Je vais citer quelques projets, auxquels j’étais témoin lors de mon passage à l’OCI, et dont les études de faisabilité sont disponibles : le projet de ligne maritime Dakar- Djeddah, le réseau de parcs et aires protégées en Afrique de l’Ouest et le projet de chemin de fer Dakar -Port Soudan.

En outre, afin d’alléger la pression sur les budgets nationaux et de combler efficacement cette lacune, l’OCI devrait créer un équivalent du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Ces mesures sont indispensables pour s’aligner sur l’évolution de la coopération économique de l’OCI, qui est appelée à s’orienter davantage vers une nouvelle génération de projets et d’initiatives régionaux très capitalistiques tels que ceux initiés par le Royaume du Maroc au profit des pays africains. 

Enfin, certains accords économiques de l’OCI ont besoin d’une mise à niveau tels que l’Accord Général de Coopération Economique, Technique et Commerciale entre les Etats membres de l’OCI, l’Accord-cadre sur les préférences commerciales de l’OCI et l’Accord sur la protection et la garantie des investissements et ce afin de booster la complémentarité et l’intégration commerciale et productive.

Avant de conclure, il est important de souligner que l’un des principaux obstacles à l’efficacité des programmes des agences de l’OCI dans la fourniture d’une assistance technique aux pays membres est l’appropriation limitée des projets par les pays bénéficiaires. Par conséquent, il est crucial de renforcer l’engagement des pays membres dans les initiatives des institutions de l’OCI. Cela peut être accompli en encourageant les contributions financières des pays membres et en intégrant les projets de l’OCI dans leurs programmes de développement nationaux et régionaux.

En conclusion, étant donné que la phase de Brainstorming sur la réforme de l’OCI est terminée, la phase actuelle nécessite une coalition de pays clés représentant les trois régions de l’organisation pour concevoir un document stratégique qui servira de base aux négociations au sein des organes décisionnels ; ce type de coalition, composée du pays hôte de l’OCI, de la troïka et des pays accueillant les quatre Comités Permanents est une condition sine- qua-non pour l’élaboration d’un document de réforme consensuel. L’externalisation de cette tâche à de grands cabinets de conseil ou à des institutions nationales ou même de l’OCI est inopérante pour cette tâche d’après l’expérience passée.

 

Article publié pour la première fois sur Afrimag