Plus que jamais le spectre d’une année blanche dans le secteur de l’éducation nationale en Tunisie hante les esprits, suscite craintes, mécontentement et parfois même un tantinet sentiment de résignation.
Alors que l’année scolaire touche à sa fin et qu’il ne reste plus que quelques semaines pour le déroulement des examens nationaux, notamment le baccalauréat, rien ne semble infléchir la volonté des syndicats des enseignants du secondaire notamment d’aller jusqu’au bout de leur mouvement pour obtenir toutes leurs revendications.
Les rounds de dialogue successifs, qui ont réuni le ministère tunisien de l’Education et la fédération générale de l’enseignement secondaire, se sont transformés, par la force des choses, en un dialogue de sourds.
Dans ce bras de fer, les positions sont inconciliables et un compromis, qui permettrait de mettre un terme au mouvement de rétention des notes entamé depuis le premier trimestre, demeure improbable.
Le gouvernement craint l’effet domino
Manifestement dans le contexte difficile que traverse le pays, secoué par une grave crise des finances publiques et des négociations à rebondissements avec le FMI, le volet financier a été la pierre d’achoppement.
Le département de tutelle est dans l’impossibilité de répondre aux exigences salariales des syndicats, jugées excessives et peu réalistes. En effet, pour le gouvernement le fait de céder à ces pressions l’expose à des défis insoutenables pouvant susciter une explosion sociale dans d’autres secteurs d’activités.
Vraisemblablement, les chances de résoudre de sitôt cette crise profonde semblent infimes. Même l’intervention personnelle du président de la République n’a pas pu débloquer la situation.
Croyant bien faire, le chef de l’Etat tunisien, Kaïs Saïed, a écarté le ministre de l’Education avec lequel les syndicalistes s’entendaient mal, nommant à sa place un ex-dirigeant à la centrale syndicale, Mohamed Ali Boughdiri, qui n’a pu et su trouver une piste de sortie honorable et ce, malgré la multiplication de ses annonces rassurantes.
En effet, les points de désaccords paraissent insolubles. Ils concernent l’effet financier rétroactif des promotions professionnelles (2022-2023), ainsi que la revalorisation de la prime de rentrée scolaire et son effet financier rétroactif pour les années 2020-2021-2022.
La Fédération générale de l’enseignement secondaire attend, également, la publication des textes de loi qui devraient permettre l’application des clauses de l’accord du 9 février et une clarification du processus de régularisation des enseignants en situation « précaire ».
Des revendicateurs difficiles à satisfaire
De toute évidence, de telles revendications constituent, à n’en point douter, un pactole difficile à mobiliser dans la conjoncture actuelle.
Dès lors, la radicalisation du mouvement des enseignants qui, à l’appel de leurs structures syndicales, refusent de remettre les notes des examens pour le troisième trimestre de suite, a fini par provoquer une forte réaction des autorités. Ces dernières ont brandi la menace de retenir les salaires des enseignants récalcitrants. A ce propos, le ministère de l’éducation a appelé les enseignants, qui n’ont pas remis les notes du premier et deuxième trimestres, à assumer leurs responsabilités nationales, pédagogiques et administratives et à prendre l’initiative de remettre les notes à l’administration dans les délais prévus par les notes de service émises à cet effet.
Cette situation inextricable n’a pas fini d’exaspérer, d’accroître les souffrances et la colère des élèves et de leurs familles qui ne savent plus jusqu’à quand va durer ce feuilleton qui assène un coup de butoir au système éducatif, en général et à l’école publique en particulier.
Les élèves et, surtout, leurs parents, ne savent plus à quel saint se vouer. Ils n’ont, toujours, pas la moindre idée des notes de leurs enfants durant toute cette année.
Et avec la fin de l’année, qui se pointe, et le maintien du blocage des notes, les écoles se dirigent vers une situation inédite, qui est celle de voir choisir entre une année blanche, ou la décision de faire réussir tout le monde, sans revenir aux notes.
Dans les deux cas de figure, la décision va avoir de très lourdes conséquences.
D’ores et déjà, des parents d’élèves ont chargé un collectif d’avocats de porter plainte contre les syndicats de base de l’enseignement de base et de l’enseignement secondaire, pour annuler la décision qu’ils avaient prise de retenir les notes des élèves pour le premier et second trimestre.
En même temps, le président de l’association tunisienne des parents et des élèves (ATUPE), Ridha Zahrouni, a appelé le président de la République à intervenir afin de résoudre la crise de l’enseignement public et mettre fin à la décision de rétention des notes des examens des deux premiers trimestres.
Face à l’impuissance des pouvoirs publics, les actions menées par le milieu associatif et les parents arriveront-elles à sauver l’année scolaire d’un véritable désastre ?
Les prochains jours seront décisifs et le jusqu’au boutisme des syndicats risque de s’étioler face à la colère qui gronde dans la société et qui a gravement altéré l’image des syndicats de l’éducation qui, pour parvenir à leurs fins, prennent les élèves et leur avenir en otage.