Le nouveau rapport de Swissaid «De l’ombre à la lumière» révèle la quasi-totalité des relations d’affaires existantes ou ayant existé entre 116 mines d’or industrielles africaines et 16 raffineries à travers le monde, sur une période s’étendant de 2015 à 2023. Au terme de cette enquête, Yvan Schulz & Marc Ummel, co-auteurs de l’étude, reviennent sur certains détails inédits.

«La plupart des raffineries doivent aller bien plus loin en matière de transparence»

 

AFRIMAG : Pourquoi cette enquête ?

Yvan Schulz & Marc Ummel : Swissaid s’est lancée dans cette étude afin de montrer qu’il est possible et nécessaire de créer davantage de transparence dans le secteur de l’or. La transparence est essentielle, car elle permet d’améliorer la situation des personnes qui travaillent dans les mines et de celles qui vivent à proximité. En effet, lorsqu’on connaît les chaînes d’approvisionnement, il devient possible de demander des comptes aux entreprises qui les composent et cela les conduit automatiquement à prendre davantage au sérieux leur responsabilité et à exercer leur devoir de diligence de manière plus rigoureuse et complète.

En d’autres termes, en faisant la lumière sur les relations d’affaires entre mines d’or industrielles d’Afrique et raffineries du monde entier, SWISSAID cherchait avant tout à améliorer les conditions de travail et de vie des populations dans les pays où a lieu l’extraction d’or.

AFRIMAG : Lors de cette enquête, avez-vous pu établir un lien rigoureux entre pays producteurs d’or en Afrique et pauvreté des populations, notamment les riveraines des mines ?

Yvan Schulz & Marc Ummel : Cela ne faisait pas partie des objectifs de notre étude. La question de savoir à quel point la population d’un pays bénéficie de la vente des ressources extraites de son territoire est complexe. Dans le contexte africain, on peut toutefois citer de nombreux exemples de pays dans lesquels l’extraction de ressources minières ou minérales ne profite que très peu à la population nationale – et pas du tout à la population locale, qui doit par ailleurs faire face à des retombées négatives (pollution, expropriation forcée, etc.). Ce que Swissaid a pu établir, c’est que des problèmes graves se posent dans la majorité des 125 mines d’or industrielles africaines identifiées. Ceux-ci incluent des violations des droits humains, des dégradations environnementales, des expropriations forcées, des atteintes à la santé, des actes de violence, notamment sexuelle, des flux financiers illicites et de la corruption. Swissaid a pris connaissance de ces cas au travers de rapports d’organisations de la société civile, de rapports d’organisations internationales, d’enquêtes journalistiques et d’études scientifiques, entre autres.

AFRIMAG : D’après votre rapport, les pratiques de ces raffineries en matière de transparence de leurs relations d’affaires sont mitigées. Comment l’expliquez-vous ?

Yvan Schulz & Marc Ummel : Notre étude montre en effet que la plupart des raffineries doivent aller bien plus loin en matière de transparence qu’elles ne le font actuellement. Notre analyse nous a menés à la conclusion que la raison principale pour laquelle elles ne le font pas est que les mines industrielles posent toute une série de problèmes (pour une liste, cf. réponse ci-dessus) auxquels elles ne veulent pas être associées. Pour les raffineries, ces problèmes représentent un important risque de dégât d’image. Tant que leur nom n’est pas lié à ceux des mines concernées par ces problèmes, les raffineries parviennent à éviter ce risque et donc à protéger leurs affaires et leur position sur le marché. C’est cela, et non la confidentialité des contrats ou la forte concurrence dans le secteur du raffinage d’or qui explique le mieux qu’elles tiennent tant au secret des affaires.

Ceci dit, plusieurs des raffineries que nous avons interrogées se sont montrées ouvertes à la discussion et ont accepté de parler avec Swissaid de leurs relations d’affaires et même des problèmes qui se posent dans les mines où elles s’approvisionnent. Pour nous, cela montre que le secteur dans son ensemble se doit d’augmenter son niveau de transparence.

AFRIMAG : Lors de cette enquête avez-vous mis l’accent sur l’or durable ? Et comment est-il financé et produit?

Yvan Schulz & Marc Ummel : L’or minier ne peut jamais être qualifié de «durable». Son extraction est toujours risquée, polluante ; elle consomme énormément de ressources et menace les écosystèmes, la biodiversité, etc. L’extraction d’or industrielle, en particulier, est terriblement peu efficiente ; elle génère 100.000 tonnes de déchets minéraux pour chaque tonne d’or extraite. Il faut donc déplacer et traiter des quantités phénoménales de minerais pour parvenir à produire ne serait -ce que quelques tonnes de doré (or brut) par année- et cela se fait largement grâce aux énergies fossiles, avec pour résultat des émissions carbones très considérables. Il n’est donc pas possible de parler d’or « durable ».

En revanche, on peut affirmer qu’il y a une énorme marge d’amélioration au niveau de l’impact social et environnemental des mines d’or, notamment des mines d’or industrielles d’Afrique, et que les entreprises impliquées dans ce secteur pourraient se comporter de manière bien plus responsable qu’elles ne le font à l’heure actuelle. Notre rapport vise à inciter le secteur à améliorer cet impact en faisant pression sur les raffineries, qui sont un acteur-clé dans les chaînes d’approvisionnement en or, afin qu’elles demandent davantage de garanties à leurs partenaires, les groupes miniers exploitant les mines d’or industrielles.